Jeunes gays et lesbiennes: une homosexualité mieux acceptée?

Jeunes gays et lesbiennes: une homosexualité mieux acceptée?

Depuis que la visibilité des gays et lesbiennes a gagné la rue et que la tolérance à leur égard semble s’être accrue en Suisse romande, beaucoup s’imaginent qu’il est plus facile pour les jeunes, aujourd’hui, de faire leur coming-out. Pourtant, la majorité des études récentes montrent que les adolescents gays et les jeunes lesbiennes se suicident 6 à 10 fois plus que les jeunes se sentant hétérosexuels, au point de constituer le sujet d’interventions au niveau international à l’exemple de la table ronde organisée par la commission santé de la commission des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève en avril 2003. La révélation de son homosexualité s’effectue dans un univers restant hétéronormatif et plus ou moins homophobe, même si les homosexuel-le-s ont conquis de nouveaux droits. Rencontre avec Marco Tuberoso, animateur du groupe «Jeunes Lesbigays» de l’association vaudoise VoGay.

L’homosexualité est-elle mieux acceptée par les jeunes gays et lesbiennes par rapport aux années 1990?

Oui, l’homosexualité semble mieux acceptée par les jeunes que je rencontre, et je vois trois facteurs à cette acceptation. D’abord, l’Internet offre la possibilité de trouver des informations sur l’homosexualité, de se sentir moins isolé avec sa différence, et de pouvoir faire des rencontres avec des partenaires de même sexe. Les nouvelles technologies favorisent ainsi une meilleure acceptation par les jeunes et offre un processus de socialisation différent. Ensuite, les médias traditionnels, comme la télévision, véhiculent depuis quelques années des images positives de l’homosexualité qui permettent aux jeunes de s’identifier à des modèles plus proches de leur vécu. Grâce à cette image médiatique, plusieurs jeunes me relatent une meilleure acceptation par leurs ami-e-s hétérosexuel-le-s: cela fait «in», par rapport aux séries télévisées les plus récentes, d’avoir un-e homosexuel-le dans son entourage. Toutefois, quand je regarde l’émission de TF1 «Queer 5» [cinq gays du Marais parisien relookant un hétérosexuel, tous les samedis à 18h45, ndlr], je ne peux m’empêcher de penser que l’image véhiculée catalogue les gays dans la catégorie «Cage aux folles». Elle les caricature par des clichés efféminés restant les mêmes depuis vingt-cinq ans, en dépit de l’acceptation de l’homosexualité par la société, et qui ne collent pas avec la réalité que je connais.

Cela veut-il dire que vous rencontrez surtout des jeunes gens et des jeunes filles au clair avec leur orientation sexuelle?

Par rapport à la gradation du coming-out1, j’observe un phénomène de reconnaissance plus précoce: une définition en tant que bisexuel-le peut intervenir rapidement; elle permet une meilleure acceptation des pulsions profondes, car certains jeunes pensent que la bisexualité est mieux acceptée socialement. Je constate aussi un passage aux relations sexuelles avec des partenaires de même sexe de plus en plus jeune, grâce à l’Internet, et y voit un net changement au cours de ces dix dernières années. Le contact avec une sub-culture gay et lesbienne semble plus tardif, par peur du «milieu» et des associations, peut-être à cause d’un risque de catalogage définitif, jugé dangereux, mais aussi à cause d’un désintéressement général des jeunes, gays ou non, pour les milieux associatifs. Nous axons actuellement la promotion du groupe jeune sur une manière d’être plus globale, et non réductible à la sexualité et au «chat» comme sur Internet. C’est dans le même esprit qu’agit le groupe des étudiant-e-s gays et lesbiennes de l’Université de Lausanne, l’EGaL, pour éviter une nouvelle forme d’isolement découlant d’une philosophie individualiste. D’autre part, bien que le groupe soit ouvert aux 16-25 ans, je rencontre essentiellement des jeunes âgés en moyenne de 20 à 21 ans. De même, nous avons en moyenne une à deux filles présentes dans le groupe, mais leur sous-représentation reste pour moi difficile à expliquer; cela relève peut-être d’une socialisation différente et d’une prise de conscience de leur homosexualité plus tardive que pour les jeunes hommes, mais ces hypothèses restent à vérifier.

En dépit de la mode, l’homosexualité n’est pas pour autant une réalité acceptée d’emblée comme une «normale». Quelles sont les principales difficultés ressenties par les jeunes?

Je vois une nette différence entre la ville et la campagne: il est plus facile de s’affirmer gay ou lesbienne en vivant à Lausanne que dans des villes plus petites, dans la campagne vaudoise, voire dans des cantons plus traditionnels. D’autre part, je constate que les membres du groupe Jeunes lesbigays sont surtout des étudiant-es au gymnase ou à l’université, et que peu proviennent de la filière professionnelle. Selon les témoignages que j’ai recueillis, les étudiant-e-s reçoivent souvent un message positif lors de l’annonce de leur homosexualité, alors que les jeunes apprenti-e-s tendent à le cacher dans leur sphère sociale et professionnelle. Ensuite, j’observe de manière générale que la famille reste un passage difficile pour les jeunes: les mères sont au courant de l’homosexualité de leur enfant alors que les pères ne le savent pas ou le vivent difficilement. L’acceptation par la famille proche reste toujours un facteur essentiel dans le vécu des jeunes: par exemple, un jeune d’origine serbe m’a affirmé qu’il est exclu qu’il révèle son homosexualité à ses parents et qu’il se mariera pour se conformer à leurs attentes. Concernant les jeunes venant au groupe, je peux constater une différence suivant le milieu socio-culturel d’origine: les jeunes vivant à Lausanne rencontrent moins de difficultés que ceux/celles de la périphérie pour le rejoindre, ne serait-ce que pour justifier à leurs parents leur sortie un vendredi soir.

Quelles actions et quels messages seraient à promouvoir pour faciliter l’intégration des jeunes homosexuel-les?

La prévention du Sida et des MST est un message de fond à maintenir et je vois une bonne prise de conscience des jeunes sur ces risques. Elle est d’autant plus importante à poursuive, que le multi-partenariat se produit de plus en plus précocement; mais là, je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas d’une spécificité gay, mais bien plus d’un phénomène de société plus général. Ensuite, une meilleure information plus décentrée vers les régions suburbaines est à promouvoir pour éviter l’amalgame «gay-pédéraste-pédophile» encore trop répandu. VoGay est parvenu, avec le concours de certaines infirmières scolaires, à développer une information dans les écoles lausannoises. Dans un proche avenir, il faudrait faire de même dans des villes plus petites et à la campagne, même si nous risquons de nous heurter à des représentations plus traditionnelles. Enfin, je constate dans ma pratique une consommation importante d’alcool et de cannabis chez les jeunes, qui pourrait renvoyer au besoin de combler un manque affectif et de compenser une différence2. Là encore, une information adéquate et non-stigmatisante peut aider les jeunes gays et lesbiennes à se vivre égaux à leur entourage immédiat.

Entretien réalisé par Thierry DELESSERT

  1. Le coming-out se décompose généralement en deux phases principales: d’abord, un coming-out interne qui est lié à la prise de conscience d’une différence fondamentale et à la représentation de la personne au sujet de l’homosexualité en général (souvent thématisée comme une «homophobie intériorisée»); ensuite, un coming-out externe qui se caractérise par la révélation de l’orientation sexuelle à l’entourage, la relation avec la communauté homosexuelle et la sexualité avec des partenaires de même sexe.
  2. L’enquête sur la santé des gays genevois de 2003 montre qu’ils consomment deux fois plus de tabac que les hétérosexuels, un tiers de plus d’alcool, de cannabis et autres drogues.

Liens utiles: Groupe Jeunes Lesbigays, tous les premiers et troisièmes vendredis du mois à 19h30. EgaL, étudiants gays et lesbiennes de l’Université de Lausanne. Sur: www.vogay.ch. RainbowLine, permanence téléphonique d’aide aux jeunes gays et lesbiennes, 19-22 heures: 0848.80.50.80 (tarif normal).

Pour en savoir plus: Cochand Pierre, Singy Pascal, Weber Orest, Dennler Gilles, Perception du système de soins par les jeunes homosexuels de Suisse romande, service de psychiatrie de liaison, DUPA, projet FNS n° 3346-63219, 2003. Häusermann Michael, Wang Jen, Projet santé gaie. Les premiers résultats de l’enquête sur la santé des hommes gais de Genève, Dialogai, 2003.