Fonction publique vaudoise: résistance de longue durée

Fonction publique vaudoise: résistance de longue durée

Dans le canton de Vaud, le mouvement de la fonction publique est animé par trois organisations: la Fédération des sociétés de fonctionnaires (FSF), qui revendique 8500 adhérent-e-s, la Fédération syndicale SUD (Solidaires – Unitaires – Démocratiques), qui en revendique 7000, et le Syndicat des Services Publics (SSP) qui en revendique 2500. Le jeudi 14 octobre, nous nous sommes entretenus avec Aristide Pedraza, membre du Secrétariat fédéral de SUD à propos des perspectives du mouvement de la fonction publique et du combat pour la défense du service public et des prestations dans ce canton.

Quelles sont les revendications défendues par Sud face au Conseil d’Etat?

Dans les négociations directes avec le Conseil d’Etat, nous disons clairement non à toute réduction des salaires, des emplois ou des prestations. Des économies sont possibles en revanche sur les postes hiérarchiques qui n’ont cessé de se multiplier, notamment dans les «hors classes» et les «ressources humaines», de même que sur les frais liés à l’introduction du new public management (expertises juridiques, audits financiers, etc.). Nous estimons aussi que les recettes fiscales de l’Etat sont sciemment sous-estimées (au moins de 120 millions), et que la perception de recettes nouvelles, frappant les groupes sociaux privilégiés, est tout à fait possible, à hauteur de 220 millions.

Nous refusons l’augmentation de la charge de travail, qui a déjà atteint la limite du supportable, ainsi que toute forme de licenciement dans le public ou le parapublic. Nous demandons l’ouverture immédiate de négociations sur la Caisse de pension de l’Etat (CPEV), où une série de mauvais coups se préparent (allongement de 35 ans à 37,5 ans de la durée de cotisation, augmentation de la part des salarié-e-s – de 9 à 10% –, baisse des rentes). Le Conseil d’Etat doit rendre public aujourd’hui l’ensemble de ses plans. Nous exigeons enfin le respect du droit de grève et le paiement des heures de grève.

Comment comptez-vous toucher aussi les usagers et l’ensemble de la population?

Le lien avec les usagers est un élément central de notre stratégie, depuis toujours. Le Conseil d’Etat refuse de discuter de son option «Budget 0», et donc de l’amputation de l’ensemble des prestations, avec les organisations du personnel. Cependant, nous avons ouvert une brèche en engageant une négociation sur la surcharge et la pénibilité du travail dans le public. Le Conseil d’Etat, après de très dures pressions, a accepté d’ouvrir une négociation du même ordre dans les EMS. La charge et l’intensité actuelles du travail sont intenables. Elles témoignent de la dégradation programmée d’un service public essentiel et rendent inévitables les coupes de prestations à très court terme.

En tout état de cause, les négociations ne représentent qu’un aspect de la lutte. Par exemple, le Conseil d’Etat a refusé de discuter de la réduction du Revenu minimum de réinsertion (RMR) et de l’Aide sociale vaudoise (ASV). Il a même refusé d’envisager une prime pour Noël pour les plus défavorisé-e-s. Nous réfléchissons au lancement d’une lutte d’envergure à ce sujet, avec l’ensemble des forces populaires, comprenant également un volet d’intervention parlementaire.

Les attaques se multiplient contre les salarié-e-s, la prévoyance sociale et le service public. C’est une tendance lourde du capitalisme dans ses nouveaux habits néolibéraux. Comment organiser la lutte sur la durée en évitant la démoralisation?

Notre référence stratégique c’est la résistance de longue durée. Comme nous l’apprennent nombre de luttes récentes (notamment celle des enseignants-es français-es), l’assaut frontal, avec des mouvements de grève et des manifestations de masse, pour emporter des batailles centrales, ne peut être qu’un élément de la lutte. Il ne garantit pas le succès. Il faut étendre, complexifier et approfondir le conflit. Il faut établir une situation d’«insurgence», de protestation et de dissidence permanentes. Nous entendons plutôt saturer l’adversaire de conflits à tous les niveaux, montrer que le conflit est ouvert, légitimer la lutte et construire la confiance dans l’action collective. De ce point de vue, il n’y a pas de petits enjeux. Par exemple, nous soutenons le combat de quelques dizaines d’inspecteurs du Service des autos qui refusent de se faire sucrer une indemnité. Ce combat prépare la lutte contre la privatisation prévue de ce service. De façon plus générale, nous diffusons un «Petit manuel d’autodéfense à l’usage des employé-e-s de l’Etat de Vaud», qui décrit nos droits et les moyens de les défendre. Nous ne déclinons aucun terrain de confrontation: syndical, bien sûr, mais aussi juridique, politique, référendaire, parlementaire…

La prise de conscience de la dimension internationale et européenne de la lutte n’est pas un inconvénient. Rien ne serait pire que de nous enfermer dans le cadre des rapports de force helvétiques, qui nous sont très défavorables, en particulier en Suisse alémanique.

Dans l’immédiat, quelles mesures de lutte préconisez-vous pour tenter de faire reculer le Conseil d’Etat?

Le 23 septembre, nous étions 7-8000 dans la rue. Le 28 septembre, nous avons réussi une demi-journée de grève et rassemblé 10’000 personnes dans la rue. Le 5 octobre, enfin, la grève a duré une journée et la manif a réuni 12-15’000 personnes. L’AG du 28 octobre décidera de la suite à donner à un mouvement qui a été jusqu’ici en crescendo. Un préavis de grève a été déposé pour le 10 novembre. Jusqu’ici, le noyau dur de la résistance s’est manifesté dans l’enseignement, avec des points d’appui non négligeables dans le social subventionné et dans l’administration. Nous avons été nettement plus faibles au CHUV.

Nous envisageons trois scénarios possibles qui peuvent se combiner l’un avec l’autre. D’abord, la grève reconductible, pour autant qu’une fraction significative du personnel se déclare prête à la soutenir. Pour cela, nous sommes favorables à la multiplication rapide d’assemblées sur les lieux de travail et dans les secteurs pour mesurer le niveau d’adhésion que nous arriverons à gagner à une telle option. Ensuite, la semaine d’actions intégrée inter-secteurs, sur le modèle de Genève, avec des grèves et une ou deux grosses manifs de rue. Enfin, la résistance de longue durée, combinant grève administrative et non coopération; il s’agit de restreindre le travail à la seule relation aux usagers. En dernière instance, les travailleurs-euses décideront sur les lieux de travail, dans les assemblées générales et dans les assemblées syndicales.

Entretien réalisé par Jean BATOU