Bologne... envoie la sauce

Bologne… envoie la sauce

Bienvenue à Bologne la trois fois rouge: pour son passé politique, pour la couleur de ses briques et pour sa célèbre sauce viande et tomates. Bologne n’est hélas plus très rouge aujourd’hui puisque les réformes universitaires qui sont parties de cette belle cité sont parmi les plus libérales qu’on ait jamais vues en Europe, et font davantage référence à la bourse et aux grands trusts économiques qu’à l’énorme patrimoine intellectuel qu’elles prétendent s’approprier. Pour faire le point de la situation à l’Université de Neuchâtel, nous avons rencontré Hervé Martinet, président de la Fédération des Etudiants Neuchâtelois (FEN). Petit tour d’horizon de ce qui attend les étudiant-e-s cette année.

Pour leurs partisans, quels devaient être les avantages des réformes de Bologne?

Si elles étaient appliquées avec les moyens adéquats (ce qui est loin d’être le cas pour l’instant), elles seraient sensées permettre aux étudiant-e-s une plus grande mobilité en assurant une uniformisation des titres au niveau européen.

Il y a donc déjà, selon toi, des problèmes dans l’application même de ces réformes?

Oui, car il était prévu dans le projet initial que les universités dégagent un financement supplémentaire pour permettre le passage au nouveau système dans les meilleures conditions possibles, mais ce financement n’ayant pas été accordé, les réformes, déjà lourdes à mettre en place dans des conditions optimales, sont introduites de manière complètement chaotique. Les étudiant-e-s en sont évidemment les premières victimes, car alors qu’ils/elles s’attendaient à une amélioration de la qualité de leur formation, ils voient non seulement qu’il n’en est rien, mais qu’en plus la durée des études s’allonge! A cela s’ajoute un manque de communication flagrant entre les différentes universités, ce qui est du plus mauvais augure à l’heure où l’on parle de système unifié. Ainsi, il était prévu, dans le cadre du Triangle d’Azur (les universités de Neuchâtel, Lausanne et Genève), de démarrer les réformes de manière simultanée, pour éviter une «concurrence déloyale» (au niveau des titres) entre universités romandes. Or, cette inégalité est exactement ce que nous voyons aujourd’hui.

En dehors de ces questions logistiques, qu’est-ce qui explique l’opposition de nombreux groupes d’étudiant-e-s à ces réformes?

Les étudiant-e-s qui ont pris soin de se tenir informés se sont vite rendus compte que les initiateurs du projet avaient réfléchi et agi avec la volonté délibérée de faire de l’économie un partenaire décideur prioritaire, pour ne pas dire le seul partenaire vraiment pris en considération. Pour te donner un exemple de l’esprit marchand qui préside à ces décisions, voilà le titre d’une journée organisée le 30 septembre à Zürich par la Conférence des Recteurs des Universités Suisses (CRUS), à laquelle nous avons été invités: «Nouveaux bachelors et masters des universités: compétences spécifiques aux emplois et revendications du marché du travail». Voilà à quoi ils réduisent l’Université! Ce qu’il en résultera inévitablement (et on commence déjà à le voir), c’est une inégalité de traitement des matières enseignées en fonction de leurs débouchés économiques et de leur rentabilité à court terme. Ainsi, tout ce qui relève de la recherche fondamentale, même en sciences naturelles, risque de se voir peu soutenu, et je ne parle même pas de matières plus spéculatives. A Neuchâtel, je crois que nous pouvons dire que s’il y a bien une faculté en danger, c’est celle des lettres et sciences humaines. L’économie se soucie peu des philosophes, des historiens ou des linguistes. Les petits effectifs d’étudiant-e-s dans une faculté, comme on l’a vu avec l’institut de théologie, sont aussi pénalisants et risquent d’amener à des délocalisations et à des concentrations, dans la logique actuellement en vigueur des pôles d’excellence.

En dehors des réformes de Bologne, on parle aussi beaucoup de nouvelles taxes universitaires…

Certaines déclarations ont été faites, de manière plus ou moins informelle, sur une uniformisation des taxes au niveau fédéral, et un passage à une taxe universitaire unique de 5000 francs, ce qui serait un obstacle extrêmement sérieuse pour les étudiant-e-s de classe moyenne et inférieure. On n’en sait pas davantage aujourd’hui, mais tout comme l’Union Nationale des Etudiants Suisses (UNES) dont nous sommes membres, nous nous battons pour obtenir une annulation totale de la taxe et une gratuité absolue des études sur tout le territoire helvétique. Nous n’entrons donc pas en matière sur une éventuelle hausse des taxes. Nous nous opposons également au remplacement du système de bourses par un système de prêts, car cela limiterait l’accessibilité des études et ne ferait que favoriser la reproduction des élites.

Le mot de la fin?

N’oublions pas que le travail de l’Université profite à long terme au bien-être de la société, et qu’un investissement fait en ce sens n’est jamais perdu. Nous invitions les étudiant-e-s conscients de cette réalité et des menaces qui pèsent sur notre Université à nous rejoindre pour travailler ensemble à la sauvegarde des acquis sociaux dans ce domaine essentiel pour la collectivité.

Entretien réalisé par David L’ÉPÉE