Les yeux de la ville: les habitants et leur territoire...

Les yeux de la ville: les habitants et leur territoire…

Entretien avec Christian
Ferrazino, conseiller
administratif ADG (solidaritéS
– Indépendants).

La ville vient de recevoir le «Prix
fédéral de l’Innovation, A pied, c’est
sûr» pour les aménagements
éphémères réalisés par ton
département en 2003. Et l’édition
2004 vient de se terminer avec un
certain succès. D’où est partie cette
idée dès 2001?

Elle est née dans le cadre de la journée
«En Ville sans ma voiture» et de la
«Semaine de la Mobilité», dont le but est
de favoriser une autre utilisation du
domaine public. Nombreux étaient celles
et ceux qui nous demandaient de saisir
cette occasion pour essayer de tester des
rues où l’on rencontre un certain nombre
de problèmes (trafic, anonymat, etc.),
en proposant un autre aménagement.
Nous avons privilégié l’idée d’essayer de
modifier l’espace durant quelques mois,
plutôt que sur un temps plus court, et de
le faire à la belle saison. Ces aménagements
éphémères ont comme particularité
un travail en commun entre habitants,
architectes, urbanistes et créateurs
pour expérimenter un autre usage du lieu
par un aménagement différent, tout en
tenant compte des animations possibles.

Comment vous parviennent les
demandes des habitant-e-s?

Cela dépend, prenons l’exemple de la rue
des Savoises. A l’origine, il y a une
demande de la Maison des Associations
qui compte beaucoup d’usagers qui ont
demandé que l’on sécurise l’endroit. On
est déjà venu les voir avec un projet de
rue piétonne mais ils voulaient autre
chose: améliorer une rue où passaient
chaque jour 4000 voitures. Dans le cadre
d’une séance de concertation publique,
des idées ont commencé à germer et le
statut actuel est né de ce débat. Cela a
abouti à casser le transit de la rue en
détournant les voitures sous l’immeuble
qui les ramène vers le Bd. St-Georges.
On a ainsi réduit le trafic à moins de cent
voitures par jour. S’agissant d’un aménagement
éphémère, il devait être supprimé
à la fin du temps imparti. Mais une
pétition pour son maintien a été déposée
par des usagers, habitants et commerçants,
ce qui, pour ces derniers était tout
a fait nouveau.

Est-ce que des propositions émanent
également des autorités ou de
l’administration?

Pour le moment on a assez de travail pour
essayer de répondre d’abord aux demandes
qui nous viennent des habitants et des
usagers. Ces propositions font l’objet de
mises au concours, d’invites auprès d’étudiants
ou d’artistes. Chaque année, deux
projets sont proposés aux étudiants et
celui qui est primé est réalisé par l’étudiant
lui-même. Nos collaborateurs l’aident,
mais l’étudiant vient travailler au bureau
dans les locaux de la ville.

Pour les autres projets, on propose un
jury composé des représentants des
habitants, des architectes et des collaborateurs.
Le jury examine les projets
déposés et choisit. Personnellement, je
n’interviens quasiment pas mais je vais
présenter en séance publique le projet
retenu pour voir s’il répond à l’attente
des habitants et des usagers du lieu.

Avez-vous une méthode d’évaluation
pour connaître l’impact à court et à
long terme de ces réalisations et quel
retour vers la population?

On n’a pas le temps de retourner vers elle
qu’elle vient déjà vers nous! Pour 2004,
j’ai déjà trois pétitions sur mon bureau.
Une de l’îlot 13, déposée par des habitants
du quartier de la rue des Gares, avec
500 signatures, qui demande de maintenir
la réalisation et de fermer la rue à la
circulation. Il s’agit effectivement d’une
belle réalisation, effectuée à moindre
coût. C’est la preuve que l’on peut avoir
beaucoup d’effets avec une intervention
légère. La seconde pétition qui nous est
parvenue d’habitants et de commerçants
(ce qui pour ces derniers une fois encore
est tout à fait nouveau), concerne l’aménagement
de la rue Jean-Violette, qui relie
la rue Prévost Martin à la rue des Voisins.
Les personnes qui y vivent ou y travaillent
souhaitent aussi voir cette réalisation
maintenue. Le troisième lieu qui a donné
entière satisfaction, est celui aménagé sur
le terrain situé à l’angle Rue Rousseau –
Rue du Cendrier, utilisé comme parking,
et aménagé en lieu d’animations, dans
l’attente de pouvoir y construire un
immeuble d’habitation.

La droite attaque toujours sur la
question de la démocratie
participative reprochant au conseil
administratif de ne consulter que
ceux qui l’arrangent.Ton avis sur la
représentativité des usagers qui se
déplacent lors des rencontres que
vous organisez?

On peut commencer par rappeler aux
détracteurs que le plus ancien endroit où
la démocratie s’est exprimée est la rue, le
domaine public, soit le forum. Quoi de
plus démocratique que de vouloir restituer
la rue à ses habitants? Tout un chacun
peut venir s’y exprimer. Comme ces
aménagements ne sont pas voués à
durer, comment peut-on nous reprocher
de ne pas consulter tous les habitants de
la ville, et de nous limiter à inviter par affichage
et informations diverses ceux d’un
quartier ou d’une rue? On écoute, là où le
projet est destiné à être réalisé, puis on
fait un bilan. Bien évidemment, le canton
reste l’autorité compétente pour répondre
aux demandes que nous relayons.

Est-ce que parfois l’un des projets
cadre avec un projet d’aménagement
urbain de la commune, ou bien c’est
à côté, en plus?

Cela s’intègre totalement dans la politique
que nous voulons développer, soit
revaloriser les quartiers, les rues, les places, pour rendre à la rue son rôle d’espace
de transition sociale pour les habitants.
On ne peut plus se satisfaire de
rester parqués dans des immeubles d’où
on ne ressort que comme passants anonymes.
Les rues de nos quartiers voient
passer des habitants qui ont des noms,
des visages, qui sont censés pouvoir se
rencontrer, dialoguer. On imagine des
aménagements qui restituent à la rue le
rôle social qu’elle a perdu.

Les critiques de la droite portent
systématiquement sur une volonté
supposée de ta part, de ne mettre en
place que des aménagements qui
empêchent les voitures de rouler.
Mais n’y a-t-il pas, sous jacente, une
critique bien plus fondamentale qui
peine à se dire?

Bien sur, car la démarche va bien au delà.
La plus grande force des aménagements
éphémères est de permettre à tous les
habitants, et avant tout aux nombreuses
communautés étrangères de Genève, de
pouvoir participer activement à l’animation
de leur quartier. Si on fait le bilan des
deux dernières années, on doit notamment
remercier les Africains, les
Vietnamiens, les Latinos-américains et
aussi, cette année, les Serbes. Si nous
avons si bien réussi à animer ces lieux,
c’est par l’implication et l’engagement de
ces différentes communautés étrangères
qui nous montrent ainsi la richesse de
leur culture et leur capacité à participer
pleinement à la vie collective. C’est donc
un objectif qui va bien au-delà qu’un simple
aménagement du lieu.

Est-ce que ces réalisations
impliquent aussi tes trois collègues
de l’Alternative au sein du Conseil
administratif? Est-ce une politique
qui passe également dans
l’administration?

Il y a toujours des gens plus enthousiastes
que d’autres, mais le CA soutient les
Yeux de la Ville, comme il soutient les
Marchés des 4 saisons, La rue est à
vous, la Semaine de la mobilité, et les
manifestations qui visent à permettre à
nos rues et nos quartiers de devenir des
lieux de rencontre animés.

Comment vois-tu l’évolution de ce
concept?

Il se modifie à chaque exercice. On tire
ainsi de l’exercice 2004, qu’il faut favoriser
et privilégier des matériaux simples
qui s’adaptent au milieu urbain et qui
sont très rapides à monter et démonter:
bois, structures métalliques, par opposition
au sable qui demande un travail
compliqué. C’est plus simple de démonter
une petite balustrade en bois, en fer
ou en aluminium, que de devoir enlever
des m3 de sable.

Ensuite, il est important de tenir compte
avant tout de la valeur d’usage du lieu
considéré. Un aménagement éphémère
n’est pas une démarche conceptualiste
pour se faire plaisir. L’intérêt d’intégrer la
démarche artistique est de permettre de
requalifier un lieu sous cet aspect, mais
pour autant qu’on n’ait pas besoin d’un
mode d’emploi à lire et à relire. Ce fut le
cas lors de la réalisation de la rue du
Beulet en 2003, que les habitants se sont
immédiatement apropriée. Nous n’avions
pris comme surface au sol, au centimètre
près, que l’espace de stationnement
en épi qui était en zone bleue. On a construit
une estrade de plusieurs niveaux
avec des plantations venues du jardin
botanique et les habitants on pu se rendre
compte directement que, soit ils
avaient un alignement de voitures avec
les inconvénients connus et le peu d’esthétisme
que cela comporte, soit ils
avaient un endroit qui non seulement
donnait une autre lisibilité à la rue, mais
aussi permettait des usages séduisants:
gamins en jeux, parents venant prendre
l’apéritif dans la rue, etc. Cela changeait
complètement l’approche sociale du lieu.
Une telle expérience illustre parfaitement
les buts que nous entendons poursuivre,
ce d’autant plus que, dans le cas de la rue
du Beulet, l’expérience a été initiée par
les habitants eux-mêmes.

Entretien réalisé par Jacques MINO