Emploi: la concurrence sauvage

Emploi: la concurrence sauvage

Accroissement du chômage, augmentation
impressionnante du nombre de frontaliers, taux
de personnes actives par rapport à la population
résidente parmi les plus élevé d’Europe, tertiairisation de
la main-d’oeuvre: le paysage économique genevois est
en train de se transformer radicalement du fait de la libéralisation
du marché de l’emploi qu’entraînent les
accords bilatéraux. En cause, les conditions de la libre
circulation des personnes. Ne pas comprendre l’évolution
de ce processus, c’est prendre le risque de réactions
épidermiques, voire populistes.

Formation

Depuis des années, les employeurs du canton de Genève ne forment plus, par exemple, de
bouchers, ni de chocolatiers: c’est le résultat d’une politique migratoire basée sur l’importation
de main-d’oeuvre formée et bon marché. Bien que moins flagrant puisque des écoles existent,
le phénomène est identique pour la formation d’infirmière. Le patronat suisse laisse à
d’autres pays le soin d’investir dans la formation. Inutile de dire que si ces aberrations existaient
déjà sous un régime de contrôle de la main-d’oeuvre, elles vont s’accentuer dans un
marché dérégulé. À l’évidence, il sera toujours moins cher d’engager un boucher venant
d’ailleurs que d’accepter les coûts de formation d’un apprenti. L’apprentissage dans le canton
de Genève va en prendre un méchant coup, il n’avait pas besoin de cela…

Donnons tout d’abord quelques chiffres peut-être rébarbatifs,
mais essentiels pour appréhender l’évolution de
l’emploi de ces dernières années dans un marché du
travail qui était jusqu’alors contrôlé. En effet, à Genève la
force de l’habitude fait oublier à certains que plus de
5000 postes de travail, en moyenne et par an, étaient
soumis depuis plus de cinquante ans à un contrôle
rigoureux, notamment en ce qui concerne le niveau des
salaires proposé par le patronat. Ça n’a l’air de rien à
première vue, au regard des 201000 postes à plein
temps et des 58617 postes à temps partiel qui existaient
en 2001 dans le canton, mais cela représente la quasitotalité
des emplois occupés par la main-d’oeuvre immigrée
«importée» dans le canton.

C’est après la Seconde Guerre Mondiale, lorsque le
patronat suisse est allé chercher de la main-d’oeuvre
bon marché au sud de l’Italie, que le canton s’est doté
de moyens de régulation du marché de l’emploi.
L’intransigeance des milieux syndicaux d’alors, qui
redoutaient des pressions à la baisse ou la stagnation
sur les salaires, a été déterminante. Or, depuis le 1er
juin 2004, ce contrôle a complètement disparu. Si, du
côté des frontaliers, les chiffres étaient restés stables
depuis la fin des années 1960 se situant autour des
30 000 personnes, au début des années 2000, ils ont
commencé à grimper pour atteindre 39 000 en décembre
2003, et 41 183 en juin 2004. La progression
actuelle, de l’ordre de 1000 personnes par mois, si
elle se poursuit, amènerait l’économie genevoise à
employer à la fin de l’année plus de 47 000 travailleurs
résidant dans les régions frontalières. En ajoutant à
cela les quelques 21 768 personnes qui habitant sur le
canton de Vaud et travaillent à Genève, on peut dire
sans risque de se tromper qu’à la fin de l’année 2004,
ce sera à plus de 70 000 personnes, soit à un quart de
la population active du canton, que les responsables
de l’économie de notre canton imposeront un va-etvient
journalier. Ces déplacements perpétuels de
populations ne vont pas sans entraîner toutes sortes
de conséquences très néfastes: sur le plan de l’environnement
avec une augmentation inutile de la pollution
due au transports, un déséquilibre intrinsèque sur
le plan de la formation (voir encadré) et enfin, sur le
plan économique, une concurrence accrue entre tous
les salarié-e-s accompagnée de la libéralisation du
marché du travail. Voilà l’avenir que le patronat et son
bras armé étatique nous proposent.

La méthode Coué revient au galop

Cadre juridique

Pour mettre un terme a cette sous enchère salariale, c’est à la partie la
plus diligente qu’il devrait incomber la responsabilité de mettre en route
le processus d’extension des conventions collectives, des contrats types
ou même l’élaboration de CCT par le tribunal prévu à cet effet. Le pouvoir
judiciaire devant obligatoirement répondre à cette demande tout en
consultant les parties. Aujourd’hui malheureusement, l’impulsion pour la
rédaction de contrat type de travail dépend d’une hypothétique majorité
des partenaires sociaux (salariés, patrons, Etat) et seulement s’il est
constaté un abus manifeste et répété dans la sous-enchère.

Dans ces conditions, on s’étonne de voir certains journalistes,
ou même certains magistrats fidèles à la
méthode Coué, nous dire que tout va bien depuis la
dérégulation complète du marché du travail de juin
2004. On pourrait leur rappeler, par exemple, qu’alors
que, pour l’ensemble de la Suisse, le taux de chômage
officiel a diminué du fait de la reprise économique et
aussi, soyons juste, du fait de la baisse des indemnités
de chômage, à Genève il augmente. Nous avions, à la fin
du mois de juillet 2004, 7% de personnes au chômage,
soit plus de 15 000 personnes, alors qu’en Suisse ils
n’étaient que 3,6%, sans parler des 21 756, demandeurs
d’emploi. Et cette tendance va continuer, à moins
qu’elle ne soit jugulée artificiellement par la suppression
des occupations temporaires que la droite parlementaire
et l’UDC entendent faire voter par la majorité du
Grand Conseil genevois.

Pas d’abus manifeste et répété

Pour tous ceux qui se situent du côté des salariés et
contre le capital, ce dont il est question aujourd’hui sur
le marché du travail ce n’est pas seulement de mettre en
exergue les abus manifestes et répétés menant à la
sous-enchère salariale, mais c’est de comprendre qu’il
est pratiquement impossible d’empêcher un patron
exerçant son activité à Genève, d’encourager, par exemple,
une secrétaire maîtrisant 4 langues, employée dans
le centre de la France et payée au SMIC, soit 1200
francs suisses, voire même au chômage, à venir s’installer
dans un studio en zone frontalière et à travailler
pour un salaire de 4000 francs à Genève. Le patronat,
mettant ainsi en concurrence directe cette femme avec
sa collègue résidente dans le canton, employée de
banque ou d’assurance avec le même niveau de formation,
qui travaille, elle, pour 5000 francs. Cette dernière
personne, si elle se retrouve au chômage, ne pourra
d’ailleurs pas accepter de travailler pour 1000 francs de
moins par mois en habitant sur le territoire cantonal
sans se paupériser. A terme, elle rejoindra elle aussi la
zone frontalière. A cela s’ajoute le fait qu’à Genève seules
40% des entreprises sont régies par des conventions
collectives et encore moins ont inscrit dans ce
texte un salaire minimum.

Voici dressé, en quelques mots, le tableau des dangers
qui guettent le monde du travail dans un proche avenir.
Si rien n’est fait pour tenter de combattre cette dérégulation
sauvage du marché du travail, c’est d’une véritable
bombe à retardement xénophobe dont il est question.

Syndiquez-vous!

Dans ces conditions, nous sommes décidés à imposer
la mise sous toit de conventions collectives, la création
de contrats-type dans tous les secteurs qui ne sont pas
protégés par de tels textes et l’extension des conventions
collectives là où elles existent, incluant un salaire
minimum, branche par branche et secteur par secteur,
qui permette à chacun de vivre et de travailler dignement
sur le territoire cantonal. Malheureusement, la
majorité politique actuelle au Grand Conseil, UDC comprise,
le patronat et l’administration s’opposent à de telles
mesures, un projet de loi allant dans ce sens a été
rejeté dernièrement, c’est pourquoi il nous faudra changer
cette majorité, y compris au Conseil d’Etat.
L’impulsion pour la rédaction de contrat type de travail
dépendant d’une hypothétique majorité des partenaires
sociaux (salariés, patrons, Etat). De cette manière, nous
donnerons une réponse adéquate à la libéralisation sauvage
du marché du travail (bilatérales I) et à son extension
aux pays de l’Est en tentant de sauvegarder l’unité
des salarié-e-s. Mais quoi qu’il advienne, le renforcement
de l’action syndicale dans les entreprises est
déterminant dans cette résistance.

Rémy PAGANI