Emploi: la concurrence sauvage
Emploi: la concurrence sauvage
Accroissement du chômage, augmentation
impressionnante du nombre de frontaliers, taux
de personnes actives par rapport à la population
résidente parmi les plus élevé dEurope, tertiairisation de
la main-doeuvre: le paysage économique genevois est
en train de se transformer radicalement du fait de la libéralisation
du marché de lemploi quentraînent les
accords bilatéraux. En cause, les conditions de la libre
circulation des personnes. Ne pas comprendre lévolution
de ce processus, cest prendre le risque de réactions
épidermiques, voire populistes.
FormationDepuis des années, les employeurs du canton de Genève ne forment plus, par exemple, de |
Donnons tout dabord quelques chiffres peut-être rébarbatifs,
mais essentiels pour appréhender lévolution de
lemploi de ces dernières années dans un marché du
travail qui était jusqualors contrôlé. En effet, à Genève la
force de lhabitude fait oublier à certains que plus de
5000 postes de travail, en moyenne et par an, étaient
soumis depuis plus de cinquante ans à un contrôle
rigoureux, notamment en ce qui concerne le niveau des
salaires proposé par le patronat. Ça na lair de rien à
première vue, au regard des 201000 postes à plein
temps et des 58617 postes à temps partiel qui existaient
en 2001 dans le canton, mais cela représente la quasitotalité
des emplois occupés par la main-doeuvre immigrée
«importée» dans le canton.
Cest après la Seconde Guerre Mondiale, lorsque le
patronat suisse est allé chercher de la main-doeuvre
bon marché au sud de lItalie, que le canton sest doté
de moyens de régulation du marché de lemploi.
Lintransigeance des milieux syndicaux dalors, qui
redoutaient des pressions à la baisse ou la stagnation
sur les salaires, a été déterminante. Or, depuis le 1er
juin 2004, ce contrôle a complètement disparu. Si, du
côté des frontaliers, les chiffres étaient restés stables
depuis la fin des années 1960 se situant autour des
30 000 personnes, au début des années 2000, ils ont
commencé à grimper pour atteindre 39 000 en décembre
2003, et 41 183 en juin 2004. La progression
actuelle, de lordre de 1000 personnes par mois, si
elle se poursuit, amènerait léconomie genevoise à
employer à la fin de lannée plus de 47 000 travailleurs
résidant dans les régions frontalières. En ajoutant à
cela les quelques 21 768 personnes qui habitant sur le
canton de Vaud et travaillent à Genève, on peut dire
sans risque de se tromper quà la fin de lannée 2004,
ce sera à plus de 70 000 personnes, soit à un quart de
la population active du canton, que les responsables
de léconomie de notre canton imposeront un va-etvient
journalier. Ces déplacements perpétuels de
populations ne vont pas sans entraîner toutes sortes
de conséquences très néfastes: sur le plan de lenvironnement
avec une augmentation inutile de la pollution
due au transports, un déséquilibre intrinsèque sur
le plan de la formation (voir encadré) et enfin, sur le
plan économique, une concurrence accrue entre tous
les salarié-e-s accompagnée de la libéralisation du
marché du travail. Voilà lavenir que le patronat et son
bras armé étatique nous proposent.
La méthode Coué revient au galop
Cadre juridiquePour mettre un terme a cette sous enchère salariale, cest à la partie la |
Dans ces conditions, on sétonne de voir certains journalistes,
ou même certains magistrats fidèles à la
méthode Coué, nous dire que tout va bien depuis la
dérégulation complète du marché du travail de juin
2004. On pourrait leur rappeler, par exemple, qualors
que, pour lensemble de la Suisse, le taux de chômage
officiel a diminué du fait de la reprise économique et
aussi, soyons juste, du fait de la baisse des indemnités
de chômage, à Genève il augmente. Nous avions, à la fin
du mois de juillet 2004, 7% de personnes au chômage,
soit plus de 15 000 personnes, alors quen Suisse ils
nétaient que 3,6%, sans parler des 21 756, demandeurs
demploi. Et cette tendance va continuer, à moins
quelle ne soit jugulée artificiellement par la suppression
des occupations temporaires que la droite parlementaire
et lUDC entendent faire voter par la majorité du
Grand Conseil genevois.
Pas dabus manifeste et répété
Pour tous ceux qui se situent du côté des salariés et
contre le capital, ce dont il est question aujourdhui sur
le marché du travail ce nest pas seulement de mettre en
exergue les abus manifestes et répétés menant à la
sous-enchère salariale, mais cest de comprendre quil
est pratiquement impossible dempêcher un patron
exerçant son activité à Genève, dencourager, par exemple,
une secrétaire maîtrisant 4 langues, employée dans
le centre de la France et payée au SMIC, soit 1200
francs suisses, voire même au chômage, à venir sinstaller
dans un studio en zone frontalière et à travailler
pour un salaire de 4000 francs à Genève. Le patronat,
mettant ainsi en concurrence directe cette femme avec
sa collègue résidente dans le canton, employée de
banque ou dassurance avec le même niveau de formation,
qui travaille, elle, pour 5000 francs. Cette dernière
personne, si elle se retrouve au chômage, ne pourra
dailleurs pas accepter de travailler pour 1000 francs de
moins par mois en habitant sur le territoire cantonal
sans se paupériser. A terme, elle rejoindra elle aussi la
zone frontalière. A cela sajoute le fait quà Genève seules
40% des entreprises sont régies par des conventions
collectives et encore moins ont inscrit dans ce
texte un salaire minimum.
Voici dressé, en quelques mots, le tableau des dangers
qui guettent le monde du travail dans un proche avenir.
Si rien nest fait pour tenter de combattre cette dérégulation
sauvage du marché du travail, cest dune véritable
bombe à retardement xénophobe dont il est question.
Syndiquez-vous!
Dans ces conditions, nous sommes décidés à imposer
la mise sous toit de conventions collectives, la création
de contrats-type dans tous les secteurs qui ne sont pas
protégés par de tels textes et lextension des conventions
collectives là où elles existent, incluant un salaire
minimum, branche par branche et secteur par secteur,
qui permette à chacun de vivre et de travailler dignement
sur le territoire cantonal. Malheureusement, la
majorité politique actuelle au Grand Conseil, UDC comprise,
le patronat et ladministration sopposent à de telles
mesures, un projet de loi allant dans ce sens a été
rejeté dernièrement, cest pourquoi il nous faudra changer
cette majorité, y compris au Conseil dEtat.
Limpulsion pour la rédaction de contrat type de travail
dépendant dune hypothétique majorité des partenaires
sociaux (salariés, patrons, Etat). De cette manière, nous
donnerons une réponse adéquate à la libéralisation sauvage
du marché du travail (bilatérales I) et à son extension
aux pays de lEst en tentant de sauvegarder lunité
des salarié-e-s. Mais quoi quil advienne, le renforcement
de laction syndicale dans les entreprises est
déterminant dans cette résistance.
Rémy PAGANI