Cannabis: nouvelle initiative pour contrer la réaction prohibitioniste

Cannabis: nouvelle initiative pour contrer la réaction prohibitioniste

Le 14 juin 2004, la révision de la nouvelle loi sur les stupéfiants a été enterrée par le Conseil national (cf. solidarités n° 47), mettant fin à plus de dix ans de travaux. «Le vent a tourné» écrivait l’éditorialiste du
24 heures en septembre 2003. En effet, alors que le débat au Conseil des Etats en décembre 2001 tranchait en faveur de la dépénalisation de la consommation du cannabis et la légalisation de la production à des fins psychotropes, le tournant politique à droite enregistré lors des dernières élections fédérales annonçait un retournement politique du Conseil national, lequel s’est manifesté dans ce débat, en prenant le risque de remettre en cause la politique dites des quatre piliers (prévention, thérapie, réduction des risques dont la prescription d’héroïne, et la répression).

Les arguments apparus dans le débat parlementaire sont connus de longue date. Le courrant prohibitionniste, particulièrement vivant en Suisse romande, n’a pas fait dans la dentelle: «le cannabis est une drogue dangereuse, qui met la jeunesse en danger vital». Le comité de l’Association faîtière pour une politique d’abstinence en matière de drogue, où siège Christophe Blocher, a même publié au lendemain du vote une annonce invitant le National à stopper la consommation débordante de cannabis.

Avec un lobbying très actif, le comité romand contre la révision de la LStup a mobilisé plusieurs psychiatres qui ont dénoncé les effets néfastes du cannabis sur la santé psychique des adolescents. Ce point doit être clairement débattu: quelques études ont en effet montré que le risque de troubles psychiques sévères chez des jeunes adolescents gros fumeurs de cannabis est augmenté. Mais pour l’ensemble des praticiens, d’autres facteurs de risque doivent également être examiné, en particulier la vulnérabilité avant la consommation, les difficultés relationnelles avec l’entourage, les conflits sociaux et familiaux par exemple. Une attention particulière à ces différents risques doit de toute façon être encouragée dans les politiques sanitaires de prévention ainsi que des mesures concrètes, dont l’information ciblée, l’aide aux adolescents en difficulté, etc. De toute façon, la politique répressive actuelle n’a pas limité la consommation de cannabis chez les jeunes. Bien au contraire! Les chiffres sont connus: ces dix dernières années, la consommation de cannabis a triplé chez les jeunes entre 15 et 19 ans et 44% de ceux-ci ont déjà goûté ce produit psychotrope (qui agit sur le psychisme), à savoir près de 500000 jeunes en Suisse!

Les partisans de la dépénalisation se trouvent aujourd’hui dans tous les milieux professionnels: l’Office fédéral de la santé publique regrette le choix du conseil national, de même que la Communauté nationale de travail politique de la drogue qui rassemble une trentaine d’organisations, ainsi que l’Association faîtière des enseignants suisses, et la Fédération suisse des fonctionnaires de police. Pour l’ensemble de ces organisations, la loi actuelle pose problème à cause de ses incohérences, en particulier pour les consommateurs de cannabis. La nouvelle loi, de l’avis même du procureur de St Gall, aurait mieux protégé la jeunesse.

Rappelons ici que la criminalisation du cannabis remonte aux années trente lorsque les USA, en 1937, ont décrété «la dangerosité» du cannabis et en ont fait une substance illégale. Les arguments étaient résumés dans la peur des groupes culturels minoritaires et des noirs chez qui la consommation de cannabis pouvait provoquer des révoltes sociales et des grèves.

En Suisse, le cannabis est classé comme stupéfiant depuis 1951, suite à une décision politique, inspirée des mouvements prohibitionnistes, lesquels ont réussi à imposer leurs vues dans les institutions de l’ONU jusqu’à nos jours.

C’est évidement dans un contexte similaire de peur des mouvements dans la jeunesse d’une part, et de sa marginalisation hors du modèle social dominant que la droite choisi la voie répressive, se prévalant de volonté pédagogique par les bienfaits de l’interdit dans le processus éducatif et dans la normalisation sociale. Le nombre de dénonciations pour consommation de cannabis a double entre 1990 et 2001 atteignant près de 30000 cas, et entraînant une surcharge dans les prisons.

Alors que la pauvreté et la misère sociale ne font que croître sous les effets du néo-conservatisme, avec l’augmentation généralisée du stress, de la précarité et de l’insécurité dans la population, l’hypocrisie des milieux réactionnaires continue de banaliser la consommation abusive des psychotropes légaux (produits pharmaceutiques en premier lieu, sans parler de l’alcool et du tabac) permettant de fuir une réalité toujours plus insupportable.

Quelques jours après la victoire des conservateurs, une nouvelle initiative pour la dépénalisation de la consommation du chanvre et sa prévention intitulée «Pour une politique raisonnable en matière de chanvre protégeant efficacement la jeunesse» a été déposée à la Chancellerie fédérale. Ce texte est soutenu par un front politique large. Le comité d’initiative comprend des représentants du PRD, du PS, des Verts, de la justice, de la police, ainsi que des organisations de parents, des médecins et des experts en prévention. Il est possible que des responsables politiques du PDC s’associent aux initiants. Ce texte tient compte des accords internationaux, tout en demandant que la consommation des substances psychoactive du chanvre ne soit pas punissable, de même que sa possession, l’acquisition ou la culture du chanvre pour son usage personnel. Enfin, la Confédération doit assurer la protection de la jeunesse par des mesures adéquates. La publicité sera interdite.

Après les échecs successifs des initiatives «Jeunesse sans drogue» en votation populaire en 1997 et «Droleg» en 1998, la prescription médicale d’héroïne avait été acceptée par le peuple. Nous devons soutenir cette nouvelle initiative qui correspond aux positions de notre mouvement. Nous avons en effet toujours été favorables à la dépénalisation de la consommation du cannabis par principe: la répression de l’usage de produits psychoactifs est d’une part inefficace mais surtout, elle constitue une limite intolérable à la liberté et à la responsabilité individuelle, et n’a aucun sens dans des situations de dépendance psychique ou physique nécessitant une intervention thérapeutique.

Gilles GODINAT

Pour plus d’information, il est utile de consulter les sites web suivants: www.cannabistrot.net et www.chanvre.cannaweb.ch.