Fonction publique: durcir le mouvement

Fonction publique: durcir le mouvement

Nous avons demandé à Andrée Jelk, institutrice, Conseillère municipale ADG (solidaritéS), membre du SSP, de la SPG (Société Pédagogique Genevoise) et du bureau du Cartel Intersyndical du personnel de l’Etat et du secteur subventionné, de rappeler le développement du mouvement de la fonction publique à Genève, durant ces derniers mois, et de préciser les enjeux immédiats de la mobilisation en cours, à la veille de l’assemblée générale des salarié-e-s, convoquée le 14 septembre.

Peux-tu rappeler les raisons qui ont conduit les salarié-e-s de la fonction publique genevoise à organiser deux grèves en mai dernier?

Le mouvement de la fonction publique a commencé à se mobiliser en décembre dernier pour protester contre le budget du Conseil d’Etat pour 2004 (la droite y est majoritaire et le Département des finances est entre les mains de la libérale Martine Brunschwig Graf). Le ton est monté au fil du printemps pour aboutir, en mai, à deux grèves, d’une demi-journée d’abord, puis d’une journée entière, et à deux manifs qui ont rassemblé plus de 10000 à 15000 personnes chacune. Au cœur des revendications: le respect des mécanismes salariaux – indexation, augmentations statutaires, primes de fidélité [annuelle, elle croît en principe au fil des années] – mais aussi la création de nouveaux postes pour faire face aux besoins les plus pressants. La force du mouvement a surpris et révélé une grande frustration parmi les salarié-e-s.

Le mouvement a surpris par sa force et sa détermination. Pour quelles raisons a-t-il réussi à mobiliser si massivement? Comment la droite a-t-elle réagi?

En pleine période d’affrontements, après le premier débrayage de mai, la droite parlementaire a durci le ton pour imposer au Conseil d’Etat de nouvelles coupes dans son budget initial. Parallèlement, elle a déposé des projets de loi provocateurs: abolition du statut de fonctionnaires, suppression de l’indexation semestrielle, etc. Tout s’est passé comme si la majorité parlementaire bourgeoise voulait priver l’Exécutif de toute marge de manoeuvre et précipiter une épreuve de force. Le mois suivant, le Grand Conseil avalisait un véritable budget d’austérité (à mi-chemin entre le projet initial du Conseil d’Etat et les propositions les plus radicales de la droite parlementaire): en gros, la moitié des augmentations salariales statutaires ont été supprimées, il n’y a pratiquement eu aucune création de postes, l’accord hospitalier est passé à la trappe [il prévoyait notamment la création de 158 postes indispensables, de 2004 à 2006, ndlr] et les subventions de nombreuses institutions ont été amputées. Dans ce contexte, l’assemblée générale du mouvement a convoqué deux nouvelles manifestations en juin, mais décidé de repousser l’échéance d’une nouvelle grève en septembre.

Y a-t-il eu des contacts entre les organisations syndicales et le Conseil d’Etat pendant l’été, notamment pour discuter du futur budget 2005 et de ses incidences sur les services publics?

De décembre 2003 à juin 2004, il n’y avait eu aucune négociation avec la fonction publique, mais une succession d’oukazes de la droite. Depuis le vote du budget, en juin, le Cartel intersyndical a rencontré une délégation du Conseil d’Etat à cinq reprises. Comme préalable, l’Exécutif voulait que nous disions OUI au Plan Financier Quadriennal, un programme d’austérité brutal, et à GE-Pilote, une resucée du New Public Management. Nous avons clairement refusé. Pour la dernière fois, le 6 septembre, l’Exécutif a annoncé, qu’en matière de salaires, il n’avait (pratiquement) rien à donner et qu’il reconduirait la formule de 2004. Pour les d’effectifs, il proposerait au Grand Conseil la création de 75 postes dans l’Instruction Publique, ce qui implique une poursuite de la détérioration de l’encadrement. Dans les autres départements, on procéderait, au mieux, à des mutations internes. Le projet de budget de l’Exécutif ne sera d’ailleurs pas rendu public avant la fin du mois…

Au cours de ses dernières rencontres avec le Conseil d’Etat, le Cartel a-t-il indiqué quelles étaient pour lui les revendications prioritaires?

Nous avons insisté sur des objectifs unificateurs comme l’indexation intégrale, qui concerne aussi les retraité-e-s et touche par ricochet l’ensemble du privé. Le maintien du statut de la fonction publique, qui s’oppose à la précarisation de l’emploi. La prise en compte de l’engorgement des services et des besoins de la population et le refus du Plan Financier Quadriennal comme critère pour la création de nouveaux postes. Enfin, si certains mécanismes salariaux sont différés dans l’immédiat, la fixation d’un terme clair pour le retour à la normale, l’application de l’accord hospitalier signé et l’ouverture de discussions sur la question des subventions.

Comment penses-tu qu’il soit possible, aujourd’hui, de renforcer le mouvement et de forcer la droite à des concessions?

Tout d’abord, il est essentiel de durcir notre action syndicale, ce qui signifie que, dans l’immédiat, le recours à la grève est incontournable. Sans la grève, aucun rapport de force sérieux ne peut être construit, tant au plan syndical que politique. En même temps, nos organisations doivent se préparer à une mobilisation longue. En effet, la droite craint avant tout un mouvement qui s’installe dans la durée, s’élargit à d’autre secteurs, permet le dialogue entre salarié-e-s et usager-e-s et suscite un véritable débat politique. Il faut savoir organiser la lutte sur les lieux de travail, descendre dans la rue, s’adresser à la population, saisir chaque occasion de négocier (pour autant que l’Etat y consente), marquer des pauses, renforcer nos organisations et repartir au combat. Nous devons à la fois garder le contrôle des rythmes de la confrontation et nous donner les moyens de développer un rapport de force sur plusieurs mois. Par exemple, pour la journée d’action du 23 septembre, la SPG (école primaire) a décidé de faire une matinée «portes ouvertes», pour renforcer le contact avec les parents, puis une après-midi «portes fermées» de grève.

Entretien réalisé par Jean BATOU