Caisses vides, coupes antisociales: au-delà des référendums...

Caisses vides, coupes antisociales: au-delà des référendums…

Les élections nationales d’octobre 2003 ont déplacé le centre de gravité politique à droite. Au Conseil fédéral, le duo Blocher-Merz s’emploie à transformer l’essai, Couchepin y travaille en matière d’assurances sociales, Leuenberger relance ses projets néolibéraux en matière de privatisation et de libéralisation… Ce phénomène devait se traduire par une acentuation de la politique des «caisses vides» que nous dénonçons sans répit, axée sur les baisses d’impôts pour les possédants d’un côté, et l’austérité pour les salarié-e-s de l’autre.

Les événements depuis fin 2003 ont confirmé notre analyse. Rappelons la situation au printemps dernier. Le 16 mai 2004, la population disposant du droit de vote a pu se prononcer sur un «paquet fiscal» qui devait entraîner une baisse des recettes de 1,5 milliard pour la Confédération et de 2,5 milliards pour les cantons. Le Conseil fédéral annonçait qu’il présenterait, après le vote du 16 mai, un nouveau programme d’économies pour compenser la diminution des revenus fédéraux provoquée par ledit paquet. Il articulait un montant de l’ordre de 2 milliards.

Le 16 mai, le «paquet» a été refusé par deux tiers des votant-e-s, avec une participation relativement élevée (50,3%), en dépit d’une campagne furieuse du Conseil fédéral, des Partis bourgeois et des grandes associations patronales. economiesuisse avait fait savoir que «…le paquet fiscal [était] pour elle un enjeu majeur».1 Pour ces milieux, le vote du 16 mai donc été une claque!

Contre la volonté populaire…

Début juillet dernier, Hans-Rudolph Merz faisait la une des médias. Il révélait que les Conseil fédéral l’avait chargé, sur sa demande, de «réfléchir» à une série de mesures financières qualifiées de «provocantes». En vrac, diminuer les dépenses de l’Etat de 40%, privatiser les assurances sociales, supprimer toute aide à la construction de logement, privatiser les CFF, etc. Rien de bien nouveau dans le procédé. Ni dans le contenu. Toutes les mesures envisagées, et bien d’autres, figurent dans le célèbre Livre blanc publié par le grand patronat il y a plus de 10 ans. Pas besoin de beaucoup réfléchir, donc: Merz n’a eu qu’à couper/coller. Sa dernière nouveauté la «Flat Tax», suppresison de la progressivité de l’impôt, au nom de la «simplification» du système est une idée dont rêvaient Ronald Reagan et Margaret Thatcher il y a des lustres déjà.

L’objectif est transparent: tous les 6 mois, avec la régularité d’un métronome, les médias mettent un avant de telles «provocations». Lorsque, quelque temps après, le Gouvernement annonce qu’il ne va diminuer les dépenses «que» de 10%, les journalistes peuvent pousser un ouf de soulagement et enjoindre la fameuse opinion publique à se réjouir: on l’a échappé belle! (pv)

Mais, ce revers n’a pas freiné l’ardeur des artisans de la politique des caisses vides. Le lendemain du vote, Merz déclarait que le nouveau plan d’austérité était maintenu, malgré tout.2 Quelques semaines plus tard, comme s’il ne s’était rien passé, le Conseil fédéral a présenté un sévère programme d’économies portant exactement sur le même montant que celui annoncé avant le 16 mai: 2 milliards. Principales cibles: les employé-e-s de la Confédération (1000 postes supprimés), les dépenses sociales, l’aide au développement, l’asile et le trafic régional.3

Ici, on pense à la France. Le Gouvernement de Chirac a reçu une formidable paire de gifles lors des élections, régionales en mars, et européennes en juin. C’est à peine s’il a eu le soutien d’un électeur sur cinq. Or, ce gouvernement n’a pas démissionné et poursuit imperturbablement ses attaques brutales contre les exploité-e-s et les opprimé-e-s (privatisation d’EDF, augmentation du temps de travail, démantèlement de la sécurité sociale, lois liberticides, etc.). Ce paradoxe s’explique principalement par le fait que le grand vainqueur de ces élections, le PS, ne veut pas transformer sa victoire électorale en mobilisation active contre le Gouvernement et sa politique. Parce que la rue lui fait peur sans doute, mais surtout parce que, sur le fond en tout cas, il partage des orientations proches de celles des actuels occupants de l’Elysée /Matignon. Aussi n’offre-t-il qu’une perspective: attendre sagement l’alternance, soit les prochaines élections présidentielles, en…2007. Pas de quoi faire trembler les Sarkozy et autres Raffarin.

Il faut une autre stratégie

En Suisse, la situation est pire sous certains aspects, en ce sens que le PSS ne constitue pas un parti d’opposition, même bienveillante. Depuis plus de soixante ans, il est pleinement intégré dans un Gouvernement dominé par la droite. Dans son optique, les batailles référendaires auquel il se rallie ou se résout, parfois in extremis, ne sont guère utilisées pour stimuler la combativité et la mobilisation des salarié-e-s. Il s’agit plutôt d’exercer une pression pour obtenir des partenaires de droite, au sein du Gouvernement, une ou deux concessions, en modérant le rythme de telle ou telle attaque. De ce point de vue, tel ou tel succès a pu être remporté. Mais aujourd’hui, cette tactique fait long feu. Face à une droite plus musclée et plus décidée, même une victoire référendaire éclatante, du comme le 16 mai dernier, ne permet plus d’obtenir de concessions sous la coupole fédérale. En témoigne le programme d’austérité présenté par le Gouvernement après le 16 mai, identique à celui prévu avant cette date.

Quant au paquet fiscal lui-même, le Conseil fédéral a annoncé, avec une tranquille arrogance, qu’il allait le soumettre à nouveau au vote, sans modification notable. Il est même probable qu’on y ajoute un quatrième volet, une baisse substantielle de l’imposition des bénéfices des entreprises (manque à gagner de quelque 100 millions pour la Confédération et 700 millions pour les cantons). Seule différence: au lieu de lier les diverses mesures en un seul paquet, elles vont être présentées successivement.

Ainsi, les référendums, s’ils sont indispensables, ne suffisent plus. A dire vrai, ils n’ont jamais suffi. Il est urgent de soumettre aux salarié-e-s des perspectives en positif, sous la forme de propositions de réformes fiscales, sur lesquelles réfléchir et s’engager. Nous y travaillerons.

Pierre VANEK

  1. Le Temps, 11 mars 2004
  2. NZZ, 17 mai 2004.
  3. NZZ, 12-13 juin, 1er juillet et 20 août 2004.