Festival de la Bâtie: «Le Hurloir» entre Erevan et Genève

Festival de la Bâtie: «Le Hurloir» entre Erevan et Genève

L’artiste réunionnais Thierry Fontaine présentera au Festival de la Bâtie une œuvre intitulée Le Hurloir. Cette exposition est réalisée en collaboration avec l’association Utopiana (voir solidaritéS, n° 39), dont la vocation est de réfléchir aux conditions de la transition culturelle dans les pays ex-soviétiques, notamment en Arménie. Entretien avec Thierry Fontaine.

Qu’est-ce que le Hurloir?

Le Hurloir est un canal, un dispositif microphone/haut-parleur, qui relie l’espace sonore de deux régions du monde connectées entre elles par Internet. L’émetteur est positionné dans un espace public, et transmet en temps réel la totalité des sons – volontaires ou ambiants – à chaque instant. Les sons parviennent immédiatement à un espace public éloigné par le biais d’Internet. Ce dispositif avait précédemment été installé entre la place du marché de Saint-Denis de la Réunion et le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris. Il le sera pendant le festival de la Bâtie entre la Place des Volontaires à Genève et la Place Charles Aznavour à Erevan.

Pourquoi avoir choisi de mettre en rapport Erevan et Genève?

La mise en rapport de deux régions du monde très éloignées du point de vue de leur représentation, c’est-à-dire de l’idée que l’on se fait d’elles, place le Hurloir dans une situation de médiateur. Dans le système planétaire politique, économique et culturel actuel, ce type de médiation n’est jamais envisagé. Le message – le motif communiqué – est par nature imprévisible, il renvoie à «l’impossible communication». Dans le même temps, il brise les conventions du dialogue, et établit un autre mode d’écoute, en forçant à se demander: quel est le cri de l’autre?

Le Hurloir est-il une œuvre politique?

Le rapport entre l’Arménie et la Suisse, ou entre la Réunion et la France, correspond à un choix politique. Le pays qui crie est celui qui cherche un espace d’écoute sur la planète, sans l’avoir trouvé jusqu’ici. Il y a une direction du cri, qui est à sens unique. Du Sud vers le Nord, de la Réunion à la France, autrement dit: d’une région créole à une région en voie de créolisation. Ou alors: du Caucase vers les Alpes, on pourrait dire aussi du Mont Ararat en Arménie vers le Mont-blanc, d’une région biblique vers une région qui ne cesse de faire l’exégèse de la bible…

Cette mise en rapport de régions distantes témoigne-t-elle d’une volonté de réfléchir sur les identités nationales et l’influence de la mondialisation sur elles?

Il ne s’agit pas seulement de réfléchir aux identités nationales dans le contexte actuel de la mondialisation, mais bien de franchir le seuil identitaire pour aborder, même timidement, la question du partage. Une fois émis, le cri n’est plus à celui qui crie: il appartient à la planète. D’une certaine façon, la planète ne peut l’ignorer.

Entretien réalisé par
Razmig KEUCHEYAN