Les coeurs, les esprits et la résistance irakienne

Les coeurs, les esprits et la résistance irakienne

Nous avons traduit ci-dessous la déclaration du Freedom Socialist Party (www.socialism.com), rendue publique le 18 août dernier à Seattle. Ce petit parti de la gauche radicale US fait le point sur la résistance populaire irakienne à Nadjaf et dans tout le pays. Il en appelle aussi à la poursuite des mobilisations anti-guerres aux Etats-Unis, indépendamment de la machine électorale du Parti démocrate. Ce texte se veut un antidote à la confusion entretenue par les médias dominants et aux hésitations qui commencent à diviser le mouvement anti-guerre aux Etats-Unis. (réd)

La Vallée de la paix est un cimetière de 5 miles carrés situé à Nadjaf, qui abrite la Mosquée de l’Imam Ali. C’est aussi le site de l’offensive US la plus meurtrière depuis le soulèvement sunnite de Falludjah, en avril dernier. Les espoirs de gagner les Irakiens et le monde arabe aux objectifs impérialistes US seront enterrés ici avec les victimes du conflit, quel que soit le vainqueur de la lutte armée qui se déroule actuellement dans cette ville.

Comme au Vietnam, il y a quarante ans, les Etats-Unis ont renoncé à la prétention de gagner les cœurs et les esprits en Irak. Aujourd’hui, «l’armée de libération» US s’efforce d’infliger la punition la plus sévère à ceux qui résistent, tout en faisant appel cyniquement à la police et aux forces militaires irakiennes pour mener ses combats à sa place. Déjà, les commandants US à Nadjaf accroissent le nombre de miliciens irakiens tués et ordonnent aux journalistes de quitter le site de la bataille, comme ils l’avaient fait au Vietnam.

En dépit des nouvelles d’Irak, le mouvement anti-guerre US semble avoir été absorbé par la campagne présidentielle de John Kerry. C’est une terrible erreur. Kerry n’a aucune intention de changer la politique étrangère US de façon significative. Qu’il y ait des protestations massives dans la rue, voilà la seule raison pour laquelle la Maison Blanche et le Congrès – les républicains comme les démocrates – arrêteront cette terrible guerre.

C’est notre devoir de défendre la résistance irakienne en ce moment critique. Nous devons exiger que les Etats-Unis abandonnent l’Irak et le Moyen-Orient! Retrait des troupes! Plus un sou pour la guerre et les profiteurs de guerre! Des réparations pour les victimes de l’agression US!

Une bataille idéologique pour le futur

Les combats entre les marines US et les partisans d’un jeune imam du nom de Moqtada al-Sadr, qui conduit la milice du Mehdi, ont éclaté le 5 avril dernier à Nadjaf.

Sadr demande que l’occupation US cesse immédiatement et que le gouvernement irakien mis en place par les Etats-Unis se retire pour que des élections démocratiques puissent avoir lieu.

Sadr a jusqu’ici refusé de reconnaître le gouvernement intérimaire du Premier ministre Iyad Allawi et de participer à la Conférence nationale irakienne, qui se tient actuellement à Bagdad. Celle-ci est chargée de désigner une assemblée intérimaire afin de superviser le gouvernement jusqu’aux élections de janvier 2005.

Le soulèvement de Nadjaf a dominé les débats de la Conférence de Bagdad. Le 16 août, ses délégués ont voté l’envoi de représentants pour rencontrer Sadr, mais ce plan a fait long feu, au moins provisoirement, en raison des menaces de violences.

Maintenant, selon certaines sources, un groupe de la Conférence a rencontré Sadr et demande l’immunité pour la milice. Nous ne savons pas exactement si une trêve a été décidée, ni comment les Etats-Unis se positionneront par rapport à un tel accord.

Un soulèvement croissant

Le soulèvement conduit par l’armée du Mehdi s’est installé dans huit villes du sud et du centre, y compris Bagdad. Les Sunnites ont manifesté par milliers à Falludjah, le 15 août, pour soutenir les combattants de Nadjaf et protester contre les menaces US d’attaquer la Mosquée de l’Imam Ali, où Sadr est supposé se tenir. Cette mosquée est considérée comme l’un des lieux saints de l’Islam et la référence du chiisme, parce que l’Imam Ali, cousin du prophète Mahomet, y est enterré.

Durant ces quelques derniers jours, des centaines de Chiites ont rejoint Sadr à Nadjaf et forment un bouclier humain autour de la Mosquée de l’Imam Ali, où il a trouvé refuge avec ses combattants. Jusqu’ici, les Etats-Unis n’ont pas osé attaquer la mosquée par crainte de susciter une explosion de colère dans tout le monde arabe.

Cependant, des forces US continuent de combattre l’armée du Mehdi à Nadjaf et dans les autres villes. Le 16 août, ils ont attaqué des miliciens à Sadr city, un faubourg populaire de Bagdad, faisant 14 morts et 122 blessés, parmi lesquels de nombreux civils.

Moqtada al-Sadr et l’armée du Mehdi

L’assaut US sur Nadjaf a un objectif: éliminer l’armée du Mehdi et tuer son leader, Moqtada al-Sadr. Sadr est un leader politique âgé de 30 ans, dont le grand oncle, le père et deux frères ont été assassinés par le régime de Saddam Hussein dans les années 80 et 90.

Son grand oncle a fondé le Parti de l’appel islamique et a été un leader religieux proche de l’Ayatollah Khomeini d’Iran. Son père a créé le Séminaire religieux actif qui, entre autres choses, a fourni une aide sociale aux plus pauvres des pauvres dans le sud de l’Irak. Saddam Hussein a fait tuer la famille de Sadr parce, qu’il craignait qu’elle développe une base politique indépendante qui puisse menacer son emprise sur le pouvoir absolu.

L’armée du Mehdi est peu organisée et repose sur 1000 à 7000 volontaires irakiens faiblement armés, dont une grande partie vient des faubourgs les plus pauvres de Bagdad et du sud de l’Irak. Ils ont déjà montré leur détermination à jeter dehors les occupants en dirigeant des attaques contre les troupes US et britanniques dans une demi-douzaine de villes irakiennes en avril. Quelques-unes de ces attaques ont été couronnées de succès et ont permis de reprendre le contrôle aux autorités locales mises en place par les Etats-Unis. A Nadjaf, ces miliciens n’ont pas cessé de contrôler certains quartiers depuis avril.

Le gouvernement fantoche irakien a donné le feu vert à l’attaque US

Avant d’approuver l’attaque en cours à Nadjaf, le Premier ministre intérimaire irakien Iyad Allawi a tenté de couper Sadr de ses partisans en lui offrant une opportunité de participer aux élections parlementaires prévues en janvier 2005. Allawi a aussi offert une amnistie limitée aux membres de la milice qui n’auraient tué personne et se rendraient à la police dans les 30 jours. Ses propositions ont eu peu d’effet.

Le 6 août, Sadr a rejeté les propositions d’Allawi en disant aux journalistes: «Les occupants doivent s’en aller et ensuite le processus démocratique pourra commencer en Irak». Son engagement à combattre «jusqu’à la dernière goutte de mon sang» peut avoir été plus un bluff qu’une réalité, mais le fait demeure qu’il n’est pas un leader militaire. Il est douteux qu’il ait la compétence de dissoudre la milice, une armée populaire qui s’est formée spontanément pour combattre l’occupation.

Des divisions apparaissent

Tout le monde ne soutient pas l’attitude pro-US d’Allawi. Seize des trente membres du Conseil provisoire de Nadjaf ont démissionné pour protester contre l’attaque menée par les Etats-Unis, comme l’a fait Jawdat Kadam Najim al-Quraishi, le Vice-gouverneur de Nadjaf, qui a dit aux reporters: «Je démissionne de mon poste pour dénoncer toutes les opérations terroristes US en cours contre cette ville sainte».

Jeudi dernier, le directeur des affaires tribales du Ministère irakien de l’intérieur a annoncé sa démission en disant qu’il ne pouvait pas travailler avec le gouvernement intérimaire, étant donné «le carnage et l’agression barbare des forces dirigées par les Etats-Unis à Nadjaf».

Il y a quatre jours, le chef de la police de Nadjaf a ordonné à tous les journalistes, à leur traducteurs et chauffeurs, de quitter la ville dans les deux heures sous peine d’arrestation. Les nouvelles télévisées US ont rapporté que seuls les journalistes non exposés pourraient rester. Mais les hommes de la presse britannique racontent une autre histoire.

Selon Adrian Blomfield – The Telegraph – alors que le délai était presque échu, un sniper a fait feu sur l’hôtel Sea, qui abritait la plupart des reporters. Pourtant, trente journalistes de plusieurs pays étaient déterminés à rester dans la ville.

Ensuite, la police en armes a investi l’hôtel, tentant d’arrêter les journalistes. Lorsqu’ils ont essayé de parler avec le gouverneur de Nadjaf, le policier en faction devant son bureau leur a dit: «Si vous ne partez pas dans le délai imparti, nous vous abattrons».

Selon Blomfield, «cela en était assez pour la plupart, à l’exception d’une poignée de journalistes US et britanniques qui se sont terrés dans l’hôtel, tandis que le délai expirait».

Et maintenant?

Personne ne sait vraiment ce qui va se passer maintenant en Irak. Mais il est clair qu’aux Etats-Unis, quel que soit le président élu en novembre, il continuera à servir les intérêts des seigneurs du pétrole et des autres vautours des grandes entreprises qui ont fait main basse sur l’Irak depuis l’invasion et l’occupation.

Tandis que l’Irak se révolte ouvertement contre l’occupation, ce n’est pas le moment que les forces anti-guerres se dissolvent dans le rêve de créer un «Parti démocratique épris de paix». En fait, John Kerry a déclaré tout à fait clairement qu’il était pour la guerre et qu’il ne fallait pas compter sur lui pour faire autre chose que d’envoyer 40 000 hommes de plus en Irak.

C’est le peuple irakien et non l’un ou l’autre des partis jumeaux de la destruction capitaliste qui mérite notre soutien. Nous devons exiger la fin immédiate de cette guerre massivement prédatrice et immorale!

Freedom Socialist Party