Énergie solaire: rien de nouveau sous le soleil!
Énergie solaire: rien de nouveau sous le soleil!
«Il faut se garder de croire, malgré le silence des traités modernes de physique à cet égard, que lidée de faire travailler la chaleur solaire soit récente»
Augustin Mouchot
Les naïfs, trompés par la désinformation dominante, croient malheureusement encore que les inventions permettant dexploiter lénergie solaire seraient le produit de la géniale économie de marché mondialisée. Il nen est rien et il nen était rien non plus il y a plus dun siècle lorsquen 1869 Augustin Mouchot, inventeur et expérimentateur de pratiquement tous les procédés de conversion du rayonnement solaire en énergie utile, publiait «La chaleur solaire et ses applications industrielles» doù cette citation est extraite.1
Limpasse énergétique actuelle nest pas une fatalité. Un autre mode dapprovisionnement énergétique abondant, propre, renouvelable était possible et le reste. Mais ce mode ne pourra être instauré tant que le mode de production capitaliste dominera la Planète. En effet, la crise énergétique actuelle a été indirectement programmée dès le début du XXème siècle par labandon de toute recherche et développement des procès de conversion de lénergie solaire en chaleur, électricité et force motrice à lavantage des énergies fossiles pétrolières et nucléaires. Ces énergies étaient certes plus performantes mais leur choix découlait avant tout du fait dêtre marchandisables, donc plus rentables pour laccumulation capitaliste, au détriment de la formation dune dette écologique dont la facture serait payée en privations, pollutions et vies humaines par les générations futures.2
Ainsi la filière solaire a été abandonnée, dénigrée, gadgétisée et taxée de curiosité alors quil sagissait dune technologie vitale pour la survie de millions dêtres humains dès la découverte de nouveaux stocks naturels gaziers, pétroliers puis uranifères pour le dernier en date et probablement le dernier exploitable.
Pour les lecteurs sous lemprise des drogues distillées par la science spectacle qui douteraient des potentialités du gisement solaire, il suffit de leur rappeler qu«aussi incroyable que cela puisse paraître, le stock dénergie terrestre [fossile] tout entier ne pourrait fournir que quelques jours de lumière solaire».3 Au cas où cette autorité en la matière ne les convainquait pas ils pourront se référer aux nombreux ouvrages récents ou anciens.4
Des inventions qui auraient pu sauver la Planète
Tous les procédés permettant dutiliser lénergie solaire étaient connus, expérimentés et utilisés au début du XXème siècle; rappelons brièvement quelques cas. En 1767, le Genevois Horace Bénédict de Saussure atteignait 160°C dans son four pour la cuisson des aliments.5 Mais déjà au XVIIIème siècle, le four solaire dAntoine Laurent Lavoisier lui permettait datteindre des températures de 1755°C. En 1874 fut construit à Las Salinas, sur le haut plateau dAtacama au Chilli, un distillateur solaire qui produisit 23 tonnes deau douce par jour ensoleillé à 0.001 $ le litre! et qui a fonctionné pendant 40 années date à laquelle cette eau douce ne fut plus nécessaire. En 1878 le moteur solaire dAugustin Mouchot actionnait la presse dimprimerie de lExposition Nationale à Paris. Dès 1913, une installation de pompage solaire irriguait 200 hectares de champs de cotons à Méadi en Egypte.
Quant à lénergie nécessaire aux bâtiments, dès le début du siècle passé, des capteurs solaires plans, produits industriellement, chauffaient leau dinnombrables maisons californiennes. Le terme de «maison solaire» dont on se gargarise aujourdhui, était utilisé dès 1920 dans la presse de Chicago pour décrire ces «Crystal Houses» chauffées essentiellement par les apports solaires.6 Enfin, une maison solaire avec stockage dénergie au moyen de 62 m3 deau, fut construite en 1931.
En ce qui concerne la conversion directe du rayonnement solaire en électricité dont on parle tant aujourdhui, sa découverte date de linvention de Becquerel en 1839 et les premières démonstrations de cellules photovoltaïques étaient produites dès 1931.7 La voiture électrique de Baker, alimentée par des photopiles montées sur son toit, roulait déjà il y a un demi-siècle. Bref, les applications de lénergie solaire étaient innombrables et fort avancées comme en témoignent force gravures, photos et publicités de lépoque.
Le capitalisme a éclipsé le solaire
Il ne fait aucun doute que si ces inventions navaient pas été méprisées la généralisation de lexploitation de la filière solaire directe aurait permis de prévenir, entre autres catastrophes, laccumulation de déchets radioactifs à hauts risques, lépuisement des ressources fossiles et les changements climatiques provoqués par leffet de serre. À ce propos on peut dire que faute davoir utilisé leffet de serre dans des installations solaires dès leur découverte il y a plus dun siècle, ce même effet de serre, produit par le choix fossile, menace aujourdhui la Planète. Mais le dénigrement de lénergie solaire sous toutes ses formes permettait de faire place nette au marché du fossile et dinstaurer ainsi le pillage et le gaspillage dénergie non renouvelable. Il ne sagit pas dun quelconque déterminisme technologique mais du choix conscient de privilégier la filière fossile par les actionnaires-réactionnaires. Ainsi les filières concurrentes aux convertisseurs solaires se suivent: au gaz déclairage inventé en 1799, succède le pétrole dont le premier gisement fut découvert en 1859 et enfin l«atome pour la paix» lancée par la Conférence de Genève en 1955.
La plupart des inventeurs des procédés de conversions de lénergie solaire nétaient pas dupes sur lissue de leurs découvertes. Ils pressentaient déjà que les immenses bénéfices quapporterait à lhumanité la mise en uvre de leurs procédés ne produiraient pas de bénéfices pour lindustrie capitaliste censée les exploiter. Leur acharnement inventif nétait pas seulement le fruit dune curiosité scientifique mais sustenté par la conscience dune pénurie énergétique inévitable. «Quelques milliers dannées, gouttes dans locéan du temps, épuiseront les mines de charbon de lEurope, si, dans cet intervalle, on na recours à lassistance du soleil» écrivait John Ericsson en 1868, linventeur des machines à vapeur et à air chaud mues par le soleil. Au même moment Mouchot sinquiétait: «Ainsi, dans un avenir lointain sans doute [ ] lindustrie ne trouvera plus en Europe les ressources qui sont en partie la cause de son essor prodigieux, que fera-t-on alors?». Puis quelques années après: «Quand les provisions accumulées dans le passé seront épuisées, nous serons bien obligés de nous contenter bon gré mal gré de ce que le soleil nous fournira au jour le jour».8
Déjà en 1869, à laube du capitalisme, Auguste Mouchot, écrivait: «Si dans nos climats lindustrie peut se passer de lemploi direct de la chaleur solaire, il arrivera nécessairement un jour où, faute de combustible, elle sera bien forcée de revenir au travail des agents naturels. Que les dépôts de houille et de pétrole lui fournissent longtemps encore leur énorme puissance calorifique, nous nen doutons pas. Mais ces dépôts sépuiseront sans aucun doute: le bois qui, lui, cependant, se renouvelle nest-il pas devenu plus rare quautrefois? Pourquoi nen serait-il pas de même un jour dune provision de combustible où lon puise si largement sans jamais combler les vides qui sy forment?[ ] On ne peut sempêcher de conclure quil est prudent et sage de ne pas sendormir à cet égard sur une sécurité trompeuse».9
Le capitalisme crépusculaire
Une nuit énergétique tombe sur la Planète. Irrémédiablement? Cest du moins ce quaffirment certains «écologistes» fatalistes pour qui «Nous navons pas le temps dexpérimenter nos sources dénergie visionnaires».10 Ce catastrophisme tourne à leugénisme lorsquon lit effaré qu«Un mode de vie soutenable [ ] nest possible que pour une population terrestre comprise dans une fourchette de 1 à 3 milliards» et comme «en aucune manière les énergies renouvelables ne sont susceptibles de remplacer quantitativement les énergies fossiles» reste «la normalisation de la population mondiale».11 Faute dentrevoir une issue politique à la barbarie productiviste, soit la mise sous contrôle définitif par lensemble des êtres humains des ressources terrestres, des procès de production et de la distribution des produits, toutes les dérives réactionnaires deviennent possibles.
La bourgeoisie nest pas en reste et les déclarations de bonnes intentions de ses idéologues écologiques qui prétendent «inverser la tendance» ne doivent plus faire illusion.12 Depuis sa prise de contrôle discrétionnaire des choix dapprovisionnement énergétique, des ressources à exploiter, des procédés de transformation et des critères de distribution, la classe dominante à toujours privilégié la satisfaction de ses propres besoins daccumulation à celle des besoins vitaux des populations quelle exploite, pille et opprime. Ainsi, le développement de lénergie solaire fut et demeure incompatible avec laccumulation capitaliste.
Notre coterie helvético-mondialisée ne fait pas exception, elle donne le ton avec ses discours prétentieux et mensongers en taisant le fait embarrassant quaprès plus dun siècle dinnovation et dindustrialisation prodigieuses, le 80% de lénergie consommée en Suisse est toujours pillée hors de ses frontières et seul le 0.4% de lénergie consommée est tirée du rayonnement solaire direct!13
Mais la bourgeoisie nest pas prête à en tirer les leçons pour autant. Elle ne voit dans le solaire quune nouvelle source de profits: «Si nous encourageons maintenant les techniques davenir dans ce pays, nous pourrons les vendre à dautres. Il ne tient quà nous de saisir cette chance économique» sexclame Regine Aeppli Wartmann, conseillère nationale, coprésidente de lAgence suisse des énergies renouvelables, agence qui vise «le marketing global des énergies renouvelables».14 Que les idéalistes se désillusionnent: le soleil «qui nenvoie pas de factures» saccorde mal avec le Marché qui ne cherche quà en encaisser.
Dans le développement du capitalisme il ny a de durable que le capital lui-même; lexplosion de ses fortunes qui est inversement proportionnelle à laccroissement de la misère humaine et des déficits publics le confirme.15 Quil soit dictatorial, belliqueux ou liberticide, le capitalisme cherchera toujours à «faire du fric» en exploitant le travail des humains et de la nature. À son grand regret, le business du solaire ne lui en donne pas loccasion. Pourtant, face à lévidente nécessité de brancher enfin la Planète sur le Soleil, il est bien forcé de faire semblant dy croire.
Rien nest pourtant perdu si les consciences séveillent car «ce qui nécessaire maintenant cest un grand débat national qui réexamine le système capitaliste sans oublier aucune de ses erreurs cachées derrière les tabous qui ont empêché pendant si longtemps de remettre en question la validité sociale de ce système».16 Ce débat peut alors conduire lhumanité à instaurer un mode de production «sans possession, une action sans aucun sentiment de suffisance, un développement sans domination».17
François ISELIN
- Augustin Mouchot, La chaleur solaire et ses applications industrielles, Ed. Gauthier-Villars, Paris, 1869.
- Développements in F. Iselin «Spécificités techniques de la production capitaliste», Inprecor n°461/462, 2001 et «Le choix des forces productives», Contretemps, n°4, mai 2002.
- Nicholas Georgescu-Roegen, Demain la décroissance, Favre, Lausanne, 1979, p. 31.
- Voir par exemple: Hermann Scheer, Le solaire et léconomie mondiale, Solin, Actes Sud, 2001; A. B. Meinel et M.P. Meinel, Applied Solar Energy, Addison Wesley, USA 1976; Jacques Percebois, Lénergie solaire, perspectives économiques, CNRS, Paris 1975 et les autres cités dans cet article.
- René Siegrist, Le capteur solaire de Horace-Bénédict de Saussure, Passé-Présent, Genève, 1993.
- Donald Watson, Le livre des maisons solaires, Létincelle.
- F. Daniels, Direct use of the suns energy, Yale, Yale, 1964.
- M. C-W. Siemens, «Utilisation de la chaleur et des autres forces naturelles», Revue scientifique, n° 10, 5.3.1881.
- Mouchot, op. cit.
- James Lovelock, «Lénergie nucléaire est la seule solution écologique», Le Monde, 1.6.2004.
- Jean Brière, «Le drame palestinien et la crise écologique», texte de son exposé à lUni-Lausanne dans le cadre de la Conférence sur un seul Etat démocratique Palestine/Israël 23-25 juin 2004.
- Pour la Suisse, voir par exemple «Energie extra», informations de loffice fédéral de lénergie (OFEN) et «Energie Environnement», revue de la Conférence romande des délégués à lénergie.
- Energie extra, juin 2004.
- Energie Extra, avril 2001.
- Dans le canton de Vaud, le nombre de millionnaires a doublé en dix ans. 24 Heures, 17.6.2004.
- Barry Commoner, séminaire de Lake Itasca 1976 sur lavenir de léconomie de marché.
- Bertrand Russell à propos de ses observations en Chine, cité par Joseph Needhan, La science chinoise et lOccident, Seuil, 1969.