Manifeste anticapitaliste pour une autre Europe
Manifeste anticapitaliste pour une autre Europe
Le 15 février 2003 a marqué une date dans lhistoire. Par dizaines de millions, sur toute la planète, les peuples se sont levés pour empêcher la guerre. Cette mobilisation sans précédent traduisait aussi une intense volonté politique: imposer, aux classes dominantes, la paix universelle, une justice équitable, la solidarité internationale, légalité sociale. Ce jour-là marque aussi la naissance dune autre Europe. Désormais, cette nouvelle Europe den bas, soppose à lUnion Européenne, instrument étatique de loligarchie financière et industrielle.
Le monde du travail sest remobilisé. Dans presque chaque pays, les classes travailleuses ont été engagées dans des manifestations et des grèves sectorielles, interprofessionnelles, et générales. Après lItalie, lEspagne, La Grèce, la France , qui ont été à la pointe, des pays comme lAllemagne et lAutriche ont montré une combativité exemplaire et ont secoué les bureaucraties syndicales les plus puissantes et monolithiques. LAgenda 2010 se heurte à une résistance opiniâtre et Schröder, discrédité, a dû abandonner la présidence du SPD pour sauver le Parti aux élections futures.
Londe de choc du mouvement anti-guerre nest pas prête de sépuiser. Les manifestation de rue, un an après le déclenchement de la guerre de Bush, ont été, une fois de plus, très nombreuses, surtout en Espagne, en Italie et en Grande-Bretagne. Elles continuent à peser sur la «politique officielle». Contre toute attente, Aznar lami de Bush a été renversé dans les élections parlementaires, par une intervention spectaculaire du peuple: celui-ci prenait sa revanche sur le viol flagrant dune opposition anti-guerre massive, de même que sur un méprisable mensonge dEtat.
La conclusion est claire: la politique de «guerre permanente» et la politique néolibérale sont impopulaires et rejetées. A des gouvernements de droite qui sont chassés par le vote populaire, succèdent des gouvernements de centre-gauche mais qui ne rompent pas avec la politique néolibérale et impérialiste. La force sociale des mouvements anti-guerre et du Forum Social Européen devrait se prolonger sur le terrain politique, dans les élections, et par la formation dun mouvement politique anticapitaliste, large et pluraliste.
Les élections européennes de juin 2004 seront loccasion de se battre en faveur des revendications et propositions pour lesquelles le mouvement altermondialiste européen sest mobilisé sans relâche: contre la Constitution de lUE réactionnaire, antidémocratique et antisociale; contre la guerre impérialiste et le militarisme européen, pour la paix et le
désarmement général, dabord dans nos propres pays; contre la politique néolibérale et pour un programme social anticapitaliste.
1. Une vie décente pour tous et toutes, en Europe et dans le monde
La question sociale conditionne la vie de millions de personnes; cest leur priorité. Chaque homme, chaque femme a droit à un emploi plein et stable, à un salaire décent, à un revenu de remplacement viable (face au chômage, à la maladie, à linvalidité ou à la vieillesse), à un logement, à une éducation et à une formation professionnelle, à des soins de santé de qualité.
Cela implique aussi des améliorations, au-delà de la récupération des reculs imposés ces vingt dernières années sur ces différents aspects. Cela implique également un redressement radical de la position toujours inférieure des femmes dans la société du point de vue social, politique, légal, institutionnel. Les conditions environnementales font partie de notre bien-être. On ne peut dissocier la politique économique des critères indispensables du développement durable, laménagement du territoire, la mobilité et les systèmes de transport, lexploitation rationnelle des ressources naturelles, lagriculture et la sécurité alimentaire.
En quête du profit maximum, les patrons et les gouvernements prétendent que tout cela nest ni finançable ni praticable. Mais depuis 1970, la richesse produite dans lUE (avant lélargissement) a doublé, avec une population stationnaire. Lénorme bond en avant de la productivité du travail (progrès techniques, intensité du travail, réorganisation du processus productif) a profité à la classe possédante. Il faut sattaquer à lénorme inégalité sociale par une redistribution radicale des richesses en faveur du monde du travail et pour (re)-développer le secteur public. Il faut arrêter la privatisation rampante de notre biosphère qui subordonne nos vies au profit capitaliste.
Dans ces conditions on peut le dire: oui, notre société est en état de générer le bien-être pour toutes et tous, en Europe et dans le monde.
2. Rompre avec la politique néolibérale: nos vies valent mieux que leurs profits!
LUE a mis en place, à travers le traité de Maastricht, un système institutionnel qui impose une contrainte budgétaire de fer. La Banque Centrale Européenne sest érigée en garde-chiourme de cette orthodoxie monétariste-néolibérale. Cela permet de réduire radicalement les allocations sociales et empêche une politique économique alternative. En appauvrissant la masse de la population et le secteur social et public de lEtat, la privatisation devient inévitable. Le Capital y trouve un vaste terrain très lucratif. Son objectif nest pas la relance de léconomie, mais le rétablissement du taux de profit des capitaux.
Cette politique économique et son support institutionnel doivent être démantelés. Il faut supprimer les critères de Maastricht et le «Pacte de Stabilité». Nous militons, comme le mouvement social international, pour une Taxe Tobin qui mette en question le capitalisme néolibéral et ses institutions internationales (FMI, BM, ), ainsi que la spéculation financière, et soutienne une autre politique sociale.
Nous luttons dans nos pays, et au niveau européen, pour légalité sociale par le plein emploi, le développement des services publics, les investissements sociaux, le salaire minimum garanti.
3. Une Europe pacifique contre lEurope-Puissance
Le Sommet de Lisbonne (mars 2000) a fixé comme objectif à lUE de devenir léconomie la plus performante au monde! Cela ne peut reposer que sur la force économique, monétaire, technologique, politique, culturelle, médiatique et militaire face aux deux autres grandes puissances, les Etats-Unis et le Japon, face aux pays de la périphérie, face aussi au monde du travail au sein de lUE. LUE sest présentée comme un impérialisme pacifique, civilisé, légal, humanitaire, multilatéraliste, onusien. Et pour la première fois, les classes dominantes les plus identifiées à la construction de lEurope ont gagné une certaine légitimité populaire en sopposant à la classe dominante américaine. Elles ont été «aidées» en cela par la politique «sans foi ni loi» de Bush.
Nous navons aucune illusion sur les plans que lUE prépare. Nous disons:
- Non à la guerre! LUE doit rejeter la guerre comme moyen de trancher des conflits internationaux.
- Rupture avec les USA et leur politique de guerre permanente et préventive «contre le terrorisme»; sortie de lOTAN!
- Non à leuro-militarisme en voie de constitution! Retrait de toutes les troupes euro-impérialistes (de lUE et des ses pays-membres)! Pas dinterventions «militaires rapides» au nom de lhumanitaire! Dissolution de lEurocorps et des brigades spéciales!
- Liquidation de toutes les armes de destruction massive (nucléaires, chimiques)!
- Non à lindustrie darmement européenne, non à lexportation darmes; reconversion des entreprises existantes pour la production civile.
4. Défendre nos libertés démocratiques
La stratégie de «guerre sans fin» a été un levier puissant pour attaquer les libertés démocratiques et restreindre lespace dactivité des masses populaires. Créant une atmosphère permanente dincertitude et de peur, les classes dominantes veulent nous imposer ce choix: «pour assurer votre sécurité, il faut réduire vos libertés». Cest au nom de la lutte contre le terrorisme que Bush a légalisé le terrorisme dEtat. Et Sharon lui emboîte le pas.
Dès septembre 2001, lUE avait utilisé «la lutte contre le terrorisme», non pour attaquer les groupes terroristes, inexistants alors en Europe, mais pour mettre hors-la-loi, le moment venu, les mouvements syndicaux, sociaux, féministes, écologistes, antiracistes, politiques et leurs activités démocratiques et publiques, quelle pourra qualifier d«infractions ( ) commises intentionnellement par un individu ou un groupe contre plusieurs pays, leurs institutions ou leurs populations et visant à porter gravement atteinte ou à détruire les structures politiques, économiques et sociales dun pays». Depuis lors, lUE renforce, sur le plan européen, la panoplie répressive: mandat darrêt européen, Europol, échanges plus rapides et plus complets de renseignements, interventions répressives coordonnées, rapprochement avec la CIA, répression des immigré-e-s, création despaces de «non-droit», etc., même si les rivalités entre les appareils dEtat des pays-membres freinent une telle opération.
Le capitalisme est en difficulté. Par en bas, il est discrédité et, de nouveau, ouvertement et massivement, contesté. Cest pourquoi il restreint, voire réprime les mouvements et les mobilisations. Défendre et élargir les libertés démocratiques menacées, redevient une nécessité importante.
5. Défendre les immigré-e-s et le droit dasile! Contre lEurope-forteresse, contre lextrême-droite!
Des millions de travailleuses et de travailleurs de par le monde sont victimes de la globalisation capitaliste ou de la répression des Etats. Ils/elles survivent dans des conditions qui ne cessent de se dégrader. Certains cherchent désespérément à entrer clandestinement dans les citadelles impérialistes. LUE, par le traité de Schengen, avait dressé une véritable forteresse. Depuis, les patronats de lUE ont demandé et obtenu limmigration légale, sélectionnée selon leurs besoins, dune main-duvre malléable. Cest un déni scandaleux de la citoyenneté. Cest un mécanisme dexclusion de laccès aux droits et services.
Il en résulte une situation humainement insupportable pour les travailleuses et les travailleurs qui entrent dans les pays de lUE. En même temps se développe une concurrence exacerbée entre travailleurs-euses indigènes les plus pauvres et immigré-e-s sans droits ni protection. Cest ce conflit latent quexploite lextrême-droite (et, à loccasion, les partis traditionnels de droite et de gauche), pour semer la xénophobie, le racisme et la haine.
- Nous sommes pour la libre circulation des personnes et pour lannulation du traité de Schengen; pour donner les mêmes droits (syndicaux, électoraux et citoyens…) aux immigré-e-s, en (re)-développant une infrastructure sociale et des services sociaux de qualité.
- Nous nous opposons à toute forme de xénophobie et de racisme, quils soient dorigine étatique ou populaire. Il faut se battre pour que les immigrés hommes et femmes ne subissent pas de discrimination sur le plan des salaires, des conditions de vie et de travail. Cest une priorité sociale et politique, mais aussi morale, du mouvement social et syndical
- Nous sommes solidaires des demandeurs dasile, de tous celles et ceux qui sont réprimés et doivent fuir parce quils luttent pour la liberté, leurs droits, leurs convictions idéologiques et religieuses, leurs conditions de vie, la démocratie, leurs aspirations sociales et révolutionnaires.
6. Non à la Constitution antidémocratique du Capital multinational
La bataille pour la Constitution de lUE vise à mettre fin aux incohérences de lappareil étatique de lUE. Cest la volonté de loligarchie financière-industrielle et de quelques grands Etats impérialistes.
Car, premièrement, ils ont urgemment besoin dune «gouvernance» forte au service de lEurope-puissance. Cet appareil dEtat est fortement teinté dune démocratie semi-autoritaire, le pouvoir exécutif européen non-élu (Conseil des ministres, Commission, BCE) domine totalement le Parlement, élu au suffrage universel, mais mis sous tutelle. Il mine toutes normes et institutions démocratiques.
Deuxièmement, cette Constitution fixe, pour de longues années, les principes du capitalisme daujourdhui: primauté absolue au marché, à la protection de la propriété privée des moyens de production et déchange, ainsi quà la politique monétariste-néolibérale. En revanche, elle prévoit lexclusion, au niveau européen, du droit du travail, de normes sociales contraignantes et de négociations collectives interprofessionnelles. Les politiques financières, monétaires et économiques seront puissamment centralisées et soutenues par en haut, au plan européen. Il sensuit une concurrence continuelle entre les classes travailleuses des pays-membres, qui pousse «spontanément» à la dégradation des conditions de vie et de travail.
Troisièmement, elle ouvre et organise leuro-militarisme, volet indispensable de limpérialisme européen: augmentation systématique des dépenses militaires, industrie darmement européenne, liens maintenu avec lOTAN, mais ouverture vers une autonomie militaire européenne; insertion dans la lutte ininterrompue «contre le terrorisme».
Quatrièmement, le renforcement de lexécutif européen (la Commission européenne, le Conseil européen, la Conférence intergouvernementale, la BCE) aggrave le déficit démocratique et la hiérarchie institutionnelle. Lexécutif européen contrôlera plus fortement les appareils exécutifs nationaux, les grands Etats-membres imposeront leurs choix aux petits et moyens Etats-membres, et chaque Etat national gardera les mains libres pour traiter ses propres «petits» peuples.
Cette Constitution antidémocratique correspond parfaitement à la méthode de travail choisie pour lélaborer: le huis-clos, un personnel fiable et trié sur le volet, dirigé par quelques «éminences dEtat». Cest certain: cette Constitution némane nullement de la volonté des Peuples! Pour toutes ces raisons, nous sommes contre cette Constitution. Elle est illégitime, non démocratique, profondément antisociale! Elle ne peut être réformée; il faut la rejeter! A cette fin, nous soutenons lorganisation de référendums populaires.
Nous oeuvrons pour une autre société et une autre Europe, sociale et démocratique, écologiste et féministe, pacifique et solidaire. Cest aux peuples et nations dEurope de décider comment et selon quelles principes sociaux et institutionnels ils veulent vivre ensemble. Pour nous, tous les pouvoirs émanent du peuple souverain.
Nous reconnaissons le droit démocratique des «nations sans Etat» à déterminer leur avenir et nous sommes solidaires des forces de la gauche qui luttent dans ce sens, sans porter de jugement politique sur leurs revendications.
Comme la campagne électorale coïncidera avec la préparation à huis-clos de la Conférence intergouvernementale «constituante», nous aurons une opportunité pour dénoncer cette pseudo-Constitution et présenter nos alternatives.
7. Rompre avec le social-libéralisme! Une autre Europe est possible!
Cela demandera une extraordinaire mobilisation de toutes les forces progressistes. Car, si les gouvernements sont affaiblis, lUE est devenue, malgré ses multiples crises, une force impérialiste redoutable dans larène mondiale et capable de détruire les conquêtes sociales et démocratiques fruit de 150 ans de luttes des classes travailleuses. Cette UE est en premier lieu un projet de la bourgeoisie et de ses partis. Mais il naurait jamais triomphé sans la collaboration active des Blair, Schröder, Jospin, Gonzalez , cest-à-dire de la social-démocratie européenne. Ils ont été de longues années au pouvoir. Ils ont dominé ensemble et pendant plusieurs années les gouvernements nationaux et les instances de lUE (la Commission, le Conseil, et même la BCE). Mais au lieu de rompre avec le néolibéralisme, ils sont devenus eux-mêmes des sociaux-libéraux! Rien nindique quils changeront de cap.
On ne sortira pas graduellement du système néolibéral et impérialiste. Il faudra une rupture politique radicale, une stratégie et un programme alternatifs anticapitalistes.
Ce combat est entièrement entre les mains de «celles et ceux den bas», de lautre Europe. Elle est en train de mûrir dans les manifestations anti-guerre, les initiatives citoyennes, sociales et écologistes, les marches des femmes. Elle progresse grâce aux multiples mouvements et militant-e-s: les syndicats, les organisations paysannes, les groupes écologistes, le mouvement des «sans» (-emploi, -abri, -papiers, -droits), les comités antiracistes, les mouvements de réfugié-e-s, les groupes universitaires, les ONG tiers-mondistes
La naissance du Forum Social Européen offre un cadre européen, démocratique et unitaire, à un nouveau mouvement démancipation à léchelle de lEurope. Il constitue déjà une force sociale, qui devra simposer sur le terrain politique. Sous sa pression, les syndicats traditionnels (notamment la CES) qui, pendant vingt ans se sont alignés sur lUE et la politique néolibérale, retrouvent la voie de laction, sans développer une stratégie cohérente et convaincante pour renverser la vapeur et présenter une véritable alternative.
Oui, une autre Europe est possible, mais à la condition que toutes les forces radicales se mobilisent dans les rues et dans les urnes, dans les mobilisations et les élections. Car, une autre gauche européenne est nécessaire: anticapitaliste et écologiste, anti-impérialiste et anti-guerre, féministe et citoyenne, antiraciste et internationaliste. Lalternative au capitalisme relève la tête: une société socialiste et démocratique, autogérée par en bas, sans exploitation du travail et sans oppression des femmes, basée sur le développement durable et opposée au modèle de croissance qui menace la planète.
Bruxelles, le 29 avril 2004
Signataires:
Alliance Rouge Verte (RGA, Danemark), Bloc de gauche (BE, Portugal), Coalition Gauche Radicale (Grèce), EUiA (Catalogne), Espacio Alternativo (Espagne), La Gauche (DL/LG, Luxembourg), Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR, France), Parti Socialiste Ecossais (SSP, Ecosse), Parti Socialiste des Travailleurs (SWP, R-U), RESPECT-Unity List (Angleterre, Pays de Galles), solidaritéS (Suisse).