Brésil, action parlementaire et lutte pour le socialisme
Brésil
Action parlementaire et lutte pour le socialisme
Ce texte a été réédité récemment dans un recueil darticles de Raul Pont, maire sortant de Porto Alegre et membre du courant Démocratie Socialiste du Parti des Travailleurs (PT), au Brésil. Il insiste sur la nécessité dune action parlementaire compatible avec le développement dune démocratie participative, qui rompe clairement avec les traditions des PS ou des PC en préfigurant le socialisme pour lequel il sengage. Les arguments du maire de Porto Alegre sont toujours dune brûlante actualité au Brésil. Mais ils sont aussi dun grand intérêt pour nous, en Europe et en Suisse.
Laction parlementaire des partis socialistes au sein de lEtat capitaliste renvoie à une vieille discussion au sein de la gauche. Nous nallons pas la reprendre ici, même sil vaut la peine den rappeler quelques éléments pour ne pas laisser entendre quil sagit dune thématique nouvelle, inédite, que nous commençons juste à vivre aujourdhui. Il y a une longue accumulation de victoires et de défaites, qui nous servent de référence, et quil est impossible dignorer.
En voulant rappeler quelques points de repère, nous nentendons pas verser dans un débat stérile sur «la participation ou non des révolutionnaires dans les parlements bourgeois.» Nous entendons seulement reprendre quelques critiques fondamentales, a- dressées aux principes li-béraux, qui se sont traduits, au XIXème siècle, dans les régimes constitutionnels qui fonderont les systèmes représentatifs régis par légalité juridique formelle entre citoyens. Cette idéologie renvoie au principe «un citoyen, un vote», à légalité devant la loi, à lautonomie et à linterdépendance des pouvoirs, à la fin des privilèges de naissance, comme éléments suffisants pour garantir un Etat démocratique.
Le libéralisme na jamais été démocratique
Le libéralisme na jamais été démocratique. Il a seulement permis de dépasser les principes aristocratiques, obscurantistes et les privilèges de naissance du monde féodal. Avec le libéralisme, le droit de vote des pauvres, des femmes et des travailleurs, comme les droits dorganiser syndicats et partis, de même que laccès à la culture, nont été obtenus quaprès des décennies de lutte des classes populaires en quête des droits sociaux. Aucune de ces conquêtes na résulté dune initiative libérale, toutes ont été arrachées par la mobilisation et la lutte des travailleurs.
Même avec la maturité du capitalisme et toutes les conquêtes sociales et politiques obtenues (syndicalisation, prévoyance sociale, éducation publique, pluralisme politique, etc.), le caractère de classe de lEtat capitaliste, excluant et antidémocratique, sest maintenu, en dépit des expériences social-démocrates réformistes.Les critiques aux limites de lEtat libéral est un acquis des socialistes. Cette critique, qui va au-delà de la dénonciation de lexploitation capitaliste, montre que légalité formelle du vote ne résout ni la dictature du capital dans les entreprises ni la propriété de la terre.
Nouvelle société, nouvelles institutions
Nous avons besoin de faire avancer cette critique concrètement, dans le quotidien de la vie parlementaire et dans les luttes sociales, avec des propositions alternatives qui approfondissent la démocratie et le contrôle public sur les relations sociales. Nous devons nous montrer créatifs et innovateurs afin que nos propositions fassent progresser la conscience des personnes dans le champ programmatique et partidaire, comme dans la dénonciation et le développement même de la structure du parlement. La démocratisation du budget public, telle que nous lavons réalisée à Porto Alegre, ne se contente pas de dépasser la simple délégation au sein dun système représentatif (conseillers municipaux, députés), elle fonde une expérience dappropriation du fonctionnement de lEtat et daction directe des citoyens sur les décisions, de même que la possibilité de mettre en cause les mandats à nimporte quel mo-ment, éléments irremplaçables dans la formulation de nouvelles relations sociales.
Notre vision de l«Etat minimum» est radicalement opposée à celles des libéraux et des néolibéraux. Le renforcement du privé quilspréconisent conduit, dans les conditions présentes, au pouvoir des monopoles et des oligopoles, donc de létape actuelle de développement du capitalisme. Pour nous, l « Etat minimum», cest lEtat bon marché, non bureaucratique, dans lequel les fonctions gouvernementales ne sont pas séparées de la société et ne se transforment pas en instruments pour laccumulation de privilèges et davantages matériels.
Changer le parlement pour quil ne nous change pas
Si nous ne combattons pas les privilèges, les avantages matériels, les puissantes structures d «expertise», les «charges de confiance», les «secrétariats particuliers», la professionnalisation à plein temps des parlementaires, du judiciaire et de lexécutif, nous nous illusionnons et trompons les masses sur le fait que nous ne faisons quutiliser «pragmatiquement et momentanément» lEtat et la société capitaliste que nous cherchons à vaincre. Au contraire, nous ne ferons que reproduire peu à peu cette expérience, en rationalisant son usage répété sur le mode utilitariste et, consciemment ou non, en nous transformant en un nouveau «parti dordre». La facilité avec laquelle, dans de nombreux parlements, des camarades du Parti des Tra-vailleurs (PT) ac-ceptent et ratio- nalisent des arguments pour maintenir des «positions spéciales», des augmentations de salaires pour eux-mêmes, et ne réagissent pas ou se montrent complices de la création et de laugmentation du nombre de postes de «conseillers» et de «charges de confiance», tout cela est stupéfiant, quand ils ne sopposent pas au contrôle que le parti veut établir sur les salaires et les structures parlementaires. Si nous défendons une société nouvelle, nous devons préconiser et construire dès maintenant de nouvelles institutions dans les secteurs où nous agissons et dans la dispute pour lhégémonie au sein de la société.
Le «producteur-législateur»
Pour cela, nous devons conduire une lutte permanente pour nous rapprocher de lidée du «producteur-législateur». Une nouvelle société na certainement pas besoin du «professionnel» de la politique, séparé de la communauté, du travail, qui accepte l «année législative» de douze mois et le caractère intouchable du mandat de quatre ou de huit ans. Nous devons nous poser en avant-garde de la lutte pour le droit de révoquer les mandats au travers des partis ou par laction directe des citoyens, pour des parlements à une seule chambre avec des critères identiques de représentation proportionnelle, pour des sessions législatives courtes et espacées, dont le coût de fonctionnement soit bien moindre pour la société et dont les élus ne perdent pas leurs liens et relations de travail.
Sur ce terrain, notre audace est minime et une action réfléchie et organisée par le parti fait défaut. La tendance de nos parlementaires nest autre que de reproduire simplement la structure quils ont trouvée. La tendance à lautonomisation des mandats est le phénomène le plus sensible de la vie des partis parlementaires brésiliens. Il sagit dun processus contre lequel les mandats du PT ne sont pas immunisés. Au contraire, cest lune des questions les plus importantes qui alimentent les controverses passées et présentes entre la fraction parlementaire fédérale et la direction nationale du parti.
Lexpérience du PT dans les parlements
Depuis sa fondation, le PT a cherché à sopposer au «cours naturel» des choses en défendant des chartes électorales (engagement préliminaire des candidats sur le programme et le règlement interne du parti), le vote unitaire des fractions parlementaires, la restitution au parti du 30% du traitement des élus , la réglementation des «Cabinets», principalement du Congrès et des Assemblées Législatives et chambres des grandes villes, le combat contre les privilèges (secrétaires particuliers, pots de vin, clientélisme, véhicules de fonction, etc.).Au cours de cette période, nous avons réussi à établir des règles de comportement qui démarquent le PT des autres partis des parlements du pays. Cependant, le dépassement de ces problèmes est loin dêtre acquis et nous ne sommes pas prêts de résoudre nos problèmes sur ce terrain. Nous en sommes loin.
En relation avec la révocabilité des mandats, avec un parlement «bon marché» et non bureaucratisé, on relèvera les nouveaux mécanismes de la démocratie participative, qui associent directement la population à lélaboration et à la discussion du budget et des lois, qui recourent plus souvent aux consultations directes comme le plébiscite et le référendum, mettant à profit les progrès de linformatique et des télécommunications, lusage de la radio et de la télévision pour la démocratisation de linformation et un accès direct aux débats et décisions parlementaires. Mais dans tous ces domaines, nous nen sommes quaux premiers balbutiements.
Laction parlementaire nécessite aussi la démystification des mécanismes corporatistes qui servent à obscurcir le caractère antagonique que les partis et leurs électeurs vivent au sein des institutions: la collégialité, la complicité, lesprit de corps qui sétablissent dans les parlements tendent à affaiblir laction de transformation anticapitaliste.
Si le parti nest pas vigilant dans lobservation des chartes électorales et ne se préoccupe pas de construire des projets stratégiques pour la société que nous voulons, afin de développer son ébauche tactique dans le quotidien, même si cela paraît utopique, nous ne ferons pas exception aux autres expériences historiques, avançant inévitablement vers notre transformation en un nouveau «parti dordre» de la société capitaliste.
* Raul Pont est membre du courant Démocratie Socialiste du Parti des Travailleurs du Brésil. Il a été député fédéral de ce parti, avant dêtre élu maire de Porto Alegre, en 1996. Le 1er janvier 2001, il cèdera sa place à Tarso Genro, qui vient de remporter les élections à la mairie, au nom du PT, pour la quatrième législation consécutive. Cet article, inituté «Ação parlamentar do PT», a été publié pour la première fois en 1994, dans le journal El Tempo. Il vient dêtre réédité dans un recueil darticles de Raul Pont (Democracia, Participação, Cidadania. Uma visão de esquerda, Porto Alegre, éd. Palmarinca, avril 2000). Titre, intertitres et traduction de la rédaction.