Ecose, nouveau parti pour le socialisme

Ecosse


Nouveau parti pour le socialisme


Depuis sa constitution en septembre 1998, le Parti socialiste écossais (SSP) a attiré l’attention de nombreux militants dans d’autres pays qui agissent dans la perspective de la création de nouveaux partis des travailleurs. En mai 1999, Tommy Sheridan, tête de liste du Parti socialiste écossais (SSP) à Glasgow, a été élu député au nouveau Parlement écossais. Une brochure «Le SSP: un nouveau parti pour le socialisme» vient d’être publiée par la Gauche révolutionnaire – La Commune dans le but de mieux faire connaître au public francophone l’expérience écossaise. L’article qui suit reprend de larges extraits de la brochure, en ajoutant quelques éléments récents. Il développe ainsi largement les thèmes que Murray Smith a exposés dans son intervention à la réunion de travail de Carré Rouge du 30 septembre.


L’élection de Tommy Sheridan, tête de liste du Parti socialiste écossais (SSP) à Glasgow, comme député au premier Parlement écossais à se réunir depuis trois siècles, a porté le SSP, créé quelques mois auparavant, sur le devant de la scène politique. Mais la genèse du nouveau parti remonte plus loin.


Nous ne retracerons pas ici l’histoire de la très importante mobilisation populaire qui a mis à bas la poll tax seule victoire du mouvement ouvrier britannique dans une période marquée par de lourdes défaites. Il s’agit ici de souligner son importance dans la genèse du SSP. La branche écossaise de Militant (courant trotskiste pratiquant de longue date l’entrisme au sein du Parti travailliste), qui allait devenir la principale composante du SSP, y a joué un rôle de premier plan, défendant la stratégie de refus de paiement de l’impôt, combinée avec des mobilisations de masse et des actions directes.


Mais si Militant a joué un rôle pré-pondérant, cette lutte était aussi l’occasion d’un vrai travail unitaire rassemblant des militants d’extrême gauche, trotskistes ou libertaires, ainsi que des travaillistes, des syndicalistes, des commu- nistes, des nationalistes et beaucoup de gens qui ve-naient à l’action politique pour la première fois à travers cette campagne. C’était le creuset d’une collaboration entre des forces d’origines diverses, le début d’un changement de comportements et de mentalités. A la suite de la campagne contre la poll tax et en butte à la normalisation du Parti travailliste, l’organisation écossaise de Militant est sortie du parti en 1992 pour créer une organisation indépendante, Scottish Militant Labour (SML).


L’alliance socialiste écossaise


Profitant de l’autorité acquise au cours de la campagne contre la poll tax, surtout dans les cités populaires de Glasgow, SML a enregistré les premiers succès électoraux de l’extrême gauche en Ecosse, faisant élire à Glasgow plusieurs conseillers municipaux et régionaux. Le succès le plus spectaculaire a été l’élection au conseil municipal de Glasgow de Tommy Sheridan, alors qu’il purgeait une peine de six mois de prison ferme pour avoir participé à empêcher une saisie de biens pour non-paiement de la poll tax.


Le recentrage à droite du Parti travailliste se poursuivait. En Ecosse le SNP, parti nationaliste, cherchait avec un certain succès à développer un discours de gauche pour récupérer les voix des électeurs travaillistes déçus. A gauche, le sentiment grandissait qu’il fallait essayer de mettre en place une alternative socialiste au parti de Blair.


Le potentiel en avait déjà été démontré par les succès de SML et le fut de nouveau par la candidature de Tommy Sheridan à Glasgow aux élections européennes de 1994, où il avait fait 7,5% sur la ville. A cette époque, SML aurait très bien pu basculer dans un triomphalisme auto-proclamatoire. Au contraire, elle a compris qu’elle ne pouvait pas constituer à elle seule l’alternative, mais qu’il fallait travailler à la mise en place d’une force anticapitaliste unie et pluraliste.


Au début des années 1990 étaient nés les Socialist Forums, rencontres annuelles co-organisées par le Mouvement socialiste écossais (SSM gauche travailliste), le courant Libé-ration (gauche du SNP) et le Parti communiste d’Écosse (CPS), un des fragments nés de l’éclatement du PC de Grande-Bretagne. C’est au Forum de 1995 que SML a lancé publiquement l’idée d’un bloc électoral, d’une Alliance socialiste, pour participer aux premières élections au Parlement écossais, dont la perspective commençait à se concrétiser avec la victoire unanimement prévue des travaillistes aux élections législatives britanniques.


L’Alliance socialiste écossaise (SSA) a été lancée en février 1996. SML y est entrée en tant que courant organisé. Le Socialist Movement y est aussi entré, quelques-uns de ses membres restant au Parti travailliste. Le courant Libération n’est pas venu en tant que tel, mais de nombreux militants de la gauche du SNP ont adhéré, à ce moment-là ou plus tard. Le CPS n’est pas non plus venu en tant que tel, mais nombre de ses militants et responsables ont adhéré. Il y avait en plus quelques petits courants d’extrême-gauche, ainsi que des indépendants représentatifs de différents mouvements sociaux, comme Rosie Kane, figure de proue de la mouvance écologiste radicale. Faisant le lien entre l’écologie et la lutte contre le capitalisme, un des slogans de l’Alliance et ensuite du SSP sera «Si tu veux être vert, il faut être rouge».


Le processus d’autonomie politique écossaise


Aux élections législatives britanniques de juin 1997, marquées par un raz-de-marée travailliste, la SSA a obtenu des scores tout à fait honorables, et posé ses marques pour l’avenir. Ces élections ont marqué un tournant dans la vie politique écossaise. Elles l’ont été en raison de la défaite des conservateurs, mais aussi par l’appui qu’elles ont apporté au processus dit de «dévolution», c’est-à-dire de reconnaissance de la réalité nationale écossaise et galloise aboutissant à la création de parlements autonomes en Ecosse et au Pays de Galles. Dès lors la vie politique en Ecosse est devenue de plus en plus spécifique, distincte de celle de l’Angleterre.


Au moment de sa formation, la SSA avait pris une décision capitale qui lui a permis de bien se positionner dans ce nouveau cadre politique. Elle s’était prononcée pour une Ecosse indépendante et socialiste. Cette prise de position est devenue sa carte de visite et plus tard celle du SSP. Le nationalisme écossais est surtout l’expression de l’aspiration profondément démocratique du peuple écossais à maîtriser son propre avenir.


Historiquement, cette aspiration a toujours été portée davantage par la gauche et le mouvement ouvrier que par la droite et aujourd’hui le sentiment indépendantiste est le plus fort dans la classe ouvrière et dans la jeunesse. Il est donc naturel de fusionner cette aspiration démocratique avec l’aspiration à la transformation sociale. Et dans cette fusion se trouve la clef de tout projet d’émancipation sociale en Ecosse.


Un nouveau parti


Le lancement du SSP en septembre 1998 représentait à la fois la continuité avec l’expérience de la SSA et une rupture. Il s’agissait de franchir un pas qualitatif. Le pari était de rassembler des forces beaucoup plus importantes que celles de l’Alliance, de devenir une véritable alternative politique. Dans les discussions avant le lancement du SSP, la question a été posée : d’où exactement viendraient les forces pour un nouveau parti? Existent-elles vraiment? Il était impossible de répondre à l’avance à cette question. La preuve du pudding étant qu’on le mange, la seule façon de vérifier si les forces existaient, c’était de s’y lancer.


Le pari a été réussi. L’Alliance était une étape nécessaire pour tester la collaboration entre les différentes forces, mais une étape qu’il fallait dépasser. En créant un parti, le SSP s’est posé comme alternative aux travaillistes et aux nationalistes, et a commencé à être perçu comme tel, y compris sur le terrain électoral. Car tout en étant présent dans toutes les luttes, petites et grandes, le SSP refuse les platitudes gauchistes du genre «les élections ce n’est pas notre terrain, notre terrain c’est les luttes». Aujourd’hui les élections sont un excellent moyen de faire de la politique, de faire connaître nos propositions à une échelle de masse. Il n’y aucune contradiction avec les luttes. Les deux se complètent et se renforcent, toute notre histoire depuis dix ans en témoigne.


Dès l’automne 1998, le nouveau parti a commencé à décoller, à connaître un afflux de nouveaux adhérents et à créer de nouvelles sections. A partir du premier congrès du SSP en février 1999, toutes les énergies ont été tournées vers la préparation des premières élections législatives écossaises de mai 1999. Il avait été décidé de présenter des listes dans tout le pays, y compris là où le parti était inexistant. Cela a permis de mener une campagne vraiment nationale et de donner à chaque électeur en Ecosse la possibilité de voter pour le SSP. Au niveau national le SSP a obtenu 2% des suffrages (46 000 voix) et son score de 7,25% à Glasgow a permis l’élection de Tommy Sheridan. Aux élections européennes en juin, le SSP est passé de 2% à 4%.


Les succès électoraux continuent, avec de bons scores aux élections partielles. Les derniers sondages nous donnent 5% des intentions de vote au niveau national avec des pointes de 13% à Glasgow et 11% dans la région centrale, ce qui assurerait trois députés. Les responsabilités du SSP sont énormes. Nous avons la possibilité de construire un parti qui peut se présenter comme alternative crédible aux travaillistes et aux nationalistes. En termes d’autres courants politiques de gauche organisés, il n’y a réellement que les restes du PC et la branche écossaise du Socialist Workers Party (organisation créée par Tony Cliff, devenue la principale formation d’extrême-gauche en Angleterre). Le SWP n’avait pas voulu participer à la SSA ni au SSP au moment de leur création. Cependant, depuis le mois d’août 2000, des discussions ont lieu en vue de son intégration au SSP.


Nous avons établi notre image de marque comme parti qui se fixe comme perspective le socialisme et qui se bat quotidiennement pour défendre la classe ouvrière. Nous sommes d’abord pour la rupture avec le capitalisme, pour le socialisme. Il n’y a pas de place aujourd’hui pour un parti de plus qui accepte le capitalisme comme horizon indépassable. Nous luttons bien sûr contre la politique néolibérale, mais sans cultiver l’illusion qu’on peut revenir à un âge d’or keynésien et restaurer l’Etat providence.


Un parti porteur d’un projet de société


Pour être à la hauteur des enjeux, nous devons être plus que le parti des “contre”, plus que ceux qui défendent des acquis. Bien sûr, nous sommes contre les privatisations, contre les cadeaux aux patrons, contre la flexibilité et la dérégulation. Bien sûr, nous sommes des défenseurs des services publics, de la Santé, de l’Ecole. Mais toute force politique sérieuse doit se présenter avec un projet en positif. Nous abordons cette question à deux niveaux. D’abord, nous travaillons à définir ce que peut être le socialisme aujourd’hui, après le double échec du stalinisme et de la social-démocratie, et comment on peut rompre avec le capitalisme a l’époque de la mondialisation. Un livre de Tommy Sheridan et Alan McCombes, sous le titre Imagine, apportera une première réponse à ces questions. La publication de ce livre sera pour nous l’occasion d’ouvrir un large débat.Ensuite, nous cherchons à proposer des solutions aux problèmes concrets. Nous menons une action soutenue sur une des questions majeures dans la jeunesse, celle de la drogue, en proposant la légalisation du cannabis et la décriminalisation des autres drogues. Nous avons également lancé une campagne de grande ampleur pour une reforme du système des impôts locaux qui soit basée sur une imposition fortement progressive. Enfin, Tommy Sheridan a présenté un projet de loi interdisant la pratique moyenâgeuse de saisies de biens pour cause de dettes. Grâce au soutien de l’opinion publique et de députés travaillistes et nationalistes, ce projet est devenu loi, bien que le gouvernement en retarde scandaleusement l’application. Le SSP essaie d’agir dans les conditions concrètes de l’Écosse. Mais nous ne négligeons pas la dimension internationale. Nous voyons la construction du SSP comme partie prenante de la recomposition du mouvement ouvrier au niveau international, de l’apparition d’une gauche radicale.


Imagine


Nous avons traduit ici quelques phrases de l’introduction de Tommy Sheridan au manifeste écrit avec Allan McCombes, Imagine. A Socialist Vision For the 21st Century, Edinburgh, Rebel Inc., 2000, 252 p. Nous ne pouvons trop recommander à nos lecteurs/trices anglophones de le commander à www.rebelinc.net


Dans ce livre, nous avons essayé de peindre un vaste horizon. Mais nous savons aussi que la lutte pour transformer la so-ciété est un projet colossal qui prendra des années, peut-être des décennies. Elle ne se suffira pas d’un seul big bang.


Le socialisme est un idéal, c’est une vision d’avenir, mais c’est aussi prendre parti dans le combat contre l’injustice et l’exploitation qui se développent tous les jours sur les lieux de travail et d’habitation, en Ecosse et dans le monde. (…)


Parfois, il peut sembler que le sort penche sans espoir du côté des riches et des puissants, qui peuvent compter sur l’establishment de la justice, de la politique, du business et des médias. Mais si nous nous battons pour ce que nous croyons avec conviction et courage, nous pouvons gagner. (…)

Le grand défenseur noir américain des droits civiques, Martin Luther King, nous a livré une fois un rêve pour le futur : «Un jour, les enfants apprendront des mots dont ils ne comprendront plus le sens. Les enfants de l’Inde demanderont : «C’est quoi la faim?» Les enfants d’Hiroshima demanderont : «C’est quoi une bombe atomique?» Les enfants de l’Alabama demanderont: «C’est quoi la ségrégation?» Et nous leur diront, «Ce sont des mots qui n’ont plus de sens, c’est pourquoi nous les avons retirés du dictionnaire».


Est-ce utopique de rêver qu’un jour les enfants qui grandissent en Ecosse demanderont, «c’était quoi la pauvreté? c’était quoi la privation? c’était quoi l’expulsion de son domicile?», ou que ceux qui grandissent en Europe centrale demanderont «c’était quoi le nettoyage ethnique? c’était quoi la torture? c’était quoi la guerre?», ou que des enfants du monde entier demanderont «c’était quoi la famine? c’était quoi l’inégalité? c’était quoi l’exploitation?».