Le défi de l´après-Aristide après le cyclone Aristide

Le défi de l’après-Aristide après le cyclone Aristide

Aristide a-t-il été «enlevé» comme il le prétend? Jusqu’à présent, ce menteur professionnel n’a pas réussi à formuler un récit cohérent. Les dirigeants du parti Lavalas n’ont d’ailleurs pas repris à leur compte cette thèse, qui permet de dissimuler les responsabilités de l’ancien président dans la situation catastrophique que vit Haïti.

Les dernières semaines du régime dirigé par Aristide ont été particulièrement terribles. Une cinquantaine de personnes ainsi ont été massacrées à Saint-Marc. Dans les derniers jours, le président haïtien a joué la carte du pire. Comme s’il espérait que, cédant au chantage, les puissances étrangères viendraient protéger son régime, comme il le réclamait. Ses bandes armées, les «chimères», ont semé la terreur dans Port-au-Prince. Le pillage de la zone industrielle, qui a continué après le départ d’Aristide, a affecté les trois quarts des entreprise. Plusieurs facultés ont été mises à sac. Des hôpitaux ont été pillés. On estime les dégâts à plusieurs centaines de millions de dollars.

Quelques heures après la démission d’Aristide, le Conseil de sécurité de l’ONU vota une résolution autorisant le déploiement d’une force internationale. Les Haïtiens étaient mis devant le fait accompli. La situation catastrophique laissée par Aristide donne un poids énorme aux puissances étrangères: elles détiennent les cordons de la bourse et leurs troupes apparaissent nécessaires au rétablissement de la sécurité.

Des forces civiles incontournables

Cependant, Washington et Paris ne peuvent pas, pour le moment du moins, agir totalement à leur guise. Il leur faut tenir compte des forces civiles qui se sont mobilisées pendant trois mois, jour après jour, pour demander le départ du président. La presse internationale a porté son attention sur les hommes armés qui se sont emparés facilement du Nord du pays: les anciens mercenaires d’Aristide de la ville des Gonaïves, qui s’étaient retournés contre lui, et les quelques dizaines d’ex-militaires venus de République dominicaine. Pourtant, sans l’existence des mobilisations antidictatoriales et d’un profond mécontentement à travers le pays, on n’aurait pas assisté à un basculement de la situation, marqué notamment pas la désertion des policiers. Les groupes armés n’ont fait que donner le coup de grâce à un régime kleptomane et répressif en totale faillite, miné par ses contradictions et par les mobilisations de ses opposants. Aujourd’hui, dans plusieurs villes de province, ils s’érigent en «juges» et se livrent à des exécutions sommaires.

La Plate-forme démocratique, vaste coalition formée dans les dernières semaines du régime, était très hétérogène. Sa figure de proue était un industriel intelligent, Andy Apaid, qui avait su rassembler une partie de la «société civile» en dehors des forces politiques traditionnelles, en général peu crédibles. Mais, en réalité, c’est le mouvement étudiant et lycéen qui a donné sa véritable force aux mobilisations.

Une figure historique de la gauche

L’avenir de la transition post Aristide est l’objet d’âpres conflits entre les forces civiles ayant lutté contre son régime. Les composantes de gauche ont pour le moment réussi à limiter les dégâts. C’est ainsi que dans le comité tripartite (opposition, parti Lavalas d’Aristide, «communauté internationale») mis en place après le départ du tyran, la plate-forme de l’opposition s’est fait représenter non par un quelconque «fantoche», mais par Paul Denis, une figure historique de la gauche haïtienne. Bien que la quasi-totalité des partis politiques ait soutenu la candidature de l’ex-général Hérard Abraham au poste de premier ministre, c’est finalement un civil, Paul Latortue, qui a été choisi par le comité tripartite. Mais l’ancien général, qui veut rétablir l’armée, dissoute en 1995, se retrouve tout de même ministre de l’Intérieur!

Au mois de février, 35 organisations du mouvement social ont formé une plate-forme, le «regroupement démocratique et populaire» (RDP). Organisations féministes, groupes paysans, associations altermondialistes y côtoient des réseaux de militants politiques, des radios communautaires et des équipes intervenant en milieu ouvrier. Dans une déclaration écrite à la mi-mars, trois de ces associations font remarquer que «les forces américaines sont intervenues en Haïti pour détourner et confisquer la victoire du peuple haïtien contre la dictature d’Aristide».

Le 20 mars, une journée de réflexion sur les appareils de répression qui se sont succédés en Haïti, et de «mobilisation contre l’occupation et pour une Haïti juste et souveraine» a été organisée par le RDP, la Plate-forme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (PAPDA) et les étudiants de la Faculté des Sciences humaines. Les organisateurs estiment que «la situation actuelle annonce un processus de re-mobilisation des forces sociales et populaires de notre pays qui doivent se reconstituer comme acteurs et orienter le processus de transformation actuelle dans le sens des intérêts des couches majoritaires de la nation».

Arthur MAHON