A force de ménager la chèvre et le chou...

Votation du 25 novembre : 63% de NON


A force de ménager la chèvre et le chou…


Une fois encore, c’est sur le terrain de l’existence même de l’armée que la hiérarchie du DDPS a voulu placer le débat sur l’initiative pour la redistribution des dépenses militaires. Comme pour les F/A-18 ou l’initiative sur les places d’armes, le débat n’a pas vraiment porté sur l’objet soumis au peuple mais sur l’armée tout court. A ce titre, les majorités obtenues par l’initiative dans quatre cantons romands sont au plus haut point réjouissantes.


par Paolo Gilardi


Réjouissantes, elles le sont non seulement parce que deux cantons pourtant réputés très fidèles aux valeurs militaires, Vaud et Neuchâtel, rejoignent les «irréductibles cantons antimilitaristes» que sont Genève et le Jura. Réjouissantes, elles le sont aussi parce que, dans ces deux derniers cas, les majorités ont été bien plus importantes que celles qui s’étaient manifestées, non pas en 1989 lors du vote sur l’abolition, mais en 1993 à propos de l’achat des F/A-18.


De plus, les 60% de «oui» genevois ouvrent de nouvelles perspectives dans la mesure où ils redonnent, après l’échec le 12 mars de «Genève république de paix», une vraie connotation politique et sociale, et partant, de portée générale de société, au refus du militarisme.


Ces notes positives mises en évidence, il faut néanmoins revenir sur l’échec retentissant de l’initiative du Parti socialiste au niveau national. Celui-ci s’explique à la fois par le caractère décalé du texte soumis au vote, par l’absence de campagne des initiants et surtout par leur double discours.


Une initiative d’un autre temps


Décalée, l’initiative elle l’était dans la mesure où elle faisait référence de manière explicite à une période passée, celle du début des années quatre-vingt-dix. En effet, si les références étaient celles de 1987 (année de base pour le calcul de la réduction du budget militaire), l’aspect «dividendes de la paix» qui était celui de l’initiative faisait complètement abstraction du nouveau contexte international. Cet ordre international n’est pas seulement marqué par une succession de crises, y compris en Europe, mais aussi par les recommandations de l’OTAN d’augmenter de manière substantielle les budgets militaires, recommandations que fait siennes la bourgeoisie suisse à l’image de sa gazette fétiche, la NZZ (4.11.2000). Basée sur l’idée selon laquelle le monde occidental serait menacé tant dans ses intérêts qu’en termes de «civilisation», cette logique veut que le dispositif militaire des pays riches soit ultérieurement étoffé afin d’assurer la «stabilité mondiale». Partant, l’augmentation des budgets militaires serait la condition nécessaire pour garantir les capacités d’intervention dans des situations mettant en danger une certaine stabilité internationale, dans le golfe arabo-persique hier, dans les champs pétrolifères du Caucase ou encore en Colombie aujourd’hui.


Diminuer ses budgets pour que l’armée soit crédible ?


Or, sur ce terrain, l’angélisme de l’initiative refusée le 26 novembre était particulièrement criant dans la mesure où il n’apportait aucune réponse ni à ce type de discours et encore moins aux projets qui en découlent. Bien au contraire, l’argumentation donnée en faveur de l’initiative abondait dans le même sens dans la mesure où elle affirmait, non pas la nécessité de la démilitarisation, mais l’idée d’une politique militaire «crédible» mais … avec des budgets réduits.


De plus, ce double discours a été renforcé par l’évolution du débat sur la politique de sécurité et qui a vu un nombre conséquent des «pacifistes socialistes» et la majorité des députés du PSS se rallier publiquement au projet de réforme de la loi sur l’administration militaire. En effet, comment soutenir la nouvelle loi militaire qui prévoit la participation de soldats suisses armés à des opérations de guerre à l’échelle internationale et convaincre une majorité de la population qu’il faut couper dans les budgets militaires ? Comment persuader de la nécessité du désarmement tout en prônant l’intégration à l’Europe militaire que s’attellent à construire les socialistes Blair, Jospin et Schröder ? Comment enfin invoquer la réduction des dépenses d’armement moins de dix-huit mois à peine après avoir applaudi des deux mains l’intervention «humanitaire» de l’OTAN contre la Serbie et le Kosovo?


Encore une occasion manquée !


C’est dans cette volonté de ménager la chèvre et le chou que se trouvent les raisons de la défaite d’une initiative «modérée» dont le résultat est sensiblement le même que celui réalisé, le 26 novembre 1989, par une initiative que les socialistes jugèrent «extrémiste», celle qui voulait abolir l’armée.


Mais au delà de la méthode, des contradictions et du résultat électoral de ce 26 novembre-ci, c’est une immense occasion qui aura été ratée de discuter publiquement de la politique de sécurité de la Suisse.


C’est ce débat que n’éviteront surtout pas notre référendum contre l’armement des soldats suisses à l’étranger et notre nouvelle initiative pour l’abolition de l’armée.