Régionales en France: un scrutin passionnel

Régionales en France: un scrutin passionnel

Les 21 et 28 mars prochains auront lieu les deux tours des élections régionales (élection des conseils régionaux), ainsi que, dans la moitié des circonscriptions, les cantonales (élection des conseils généraux des départements). Enjeux d’abord locaux, ou fondamentalement de portée nationale? Sur l’équilibre entre les deux on se dispute: à droite, on souligne l’importance des choix locaux; à gauche, on insiste sur l’occasion de sanctionner le gouvernement!

Malgré ce double enjeu, la campagne est apparue atone. Si le débat politique s’est déchaîné, ce fut sur la question de l’interdiction du voile islamiste à l’école! Hormis les partis, obsédés par ces élections depuis des mois, les citoyen-ne-s les plus intéressés commencent seulement à se soucier de comprendre les nouveaux modes de scrutin, et les discours des candidat-e-s ne passionnent guère.

Mais ne nous y trompons pas: même si cela n’empêchera pas une abstention record, tout le monde sait qu’un rendez-vous est fixé, politiquement décisif!

Des enjeux de pouvoir local

Précisément parce que la décentralisation est une des grandes ambitions affichées par le gouvernement, les conseils régionaux représentent un réel niveau de pouvoir. Leurs compétences sont importantes: construction et entretien des lycées, transports, formation professionnelle demain… Quant aux conseils généraux, leur rôle est majeur pour beaucoup de problèmes déterminants de la vie quotidienne, dont la gestion des aides sociales. C’est une nouvelle articulation qui se met en place entre régions, Etat central, Union européenne. Ainsi, la baisse de l’impôt sur le revenu se trouve largement compensée par la hausse des impôts locaux pour faire face aux nouvelles charges! Cette décentralisation se prétend guidée par un souci de plus grande proximité avec les citoyen-ne-s. Mais, libéralisme oblige, elle se traduit par des inégalités aggravées entre régions, et plutôt que d’un progrès démocratique il s’agit d’un renforcement des féodalités régionales.

Les nouveaux modes de scrutin n’ont pas seulement pour fonction d’éliminer les petites forces politiques, mais d’ancrer le bipartisme (entre UMP et PS), par un verrouillage strict: à moins de 5% des voix, pas de remboursement ni de possibilité de fusion de listes pour le 2ème tour, à moins de 10%, pas de possibilité de se maintenir au 2ème tour, prime de 25% des postes à la liste arrivée en tête, puis partage du reste à la «proportionnelle»… Comme pour les élections municipales, il s’agit d’assurer des majorités stables et d’empêcher ce qu’une juste proportionnelle ferait apparaître: la faible représentativité des partis institutionnels.

C’est donc bien un système politique qui va voir jugée sa légitimité, à un double niveau: celui, sensible sinon voyant, des conseils régionaux, et celui, très réactif et visible, des conseils régionaux. D’autant que cela s’inscrit dans un calendrier politique redoutable.

L’élection de tous les dangers

Entre 2002, avec le séisme du 21 avril, et 2007, élections présidentielle et législatives, 2004 est l’élection de tous les dangers.

Le gouvernement Chirac-Raffarin va être jugé. Son bilan? D’un côté, Sarkozy, ministre de l’intérieur, qui vibrionne pour convaincre que l’insécurité recule et que l’ordre règne. De l’autre, la victoire remportée sur la plus grande mobilisation sociale depuis 1995, et une régression sociale majeure en matière de retraites. A quoi il faut ajouter la destruction des droits des chômeurs-euses, le démantèlement du Code du travail, l’établissement de lois liberticides, le développement du chômage et de la précarité… Bref, après les dégâts de la gauche gestionnaire du libéralisme, une droite dure! Pour ceux qui vont se déplacer le 21 mars, ce sera le choix entre le feu vert donné au gouvernement pour continuer et le carton rouge.

Malgré les succès qu’elle a remportés et l’état lamentable de l’opposition socialiste, la droite n’est pas flambante. L’unification de toutes ses composantes au sein de l’UMP, le parti du Président autour de l’ex-RPR, est mise en échec par la détermination de Bayrou de maintenir une petite UDF, amputée par les ralliements à l’UMP. Bien que membre de la majorité, il a su tenir la dragée haute à Chirac. Si l’UDF parvient à emporter certaines régions, comme cela semble possible, y compris en Ile-de-France, il confortera cette résistance à l’hégémonie UMP et se confirmera comme un possible présidentiable.

Cette même UMP se trouve durement frappée par les déboires de son président, Alain Juppé, rattrapé par la justice pour les affaires de la Mairie de Paris (détournements de fonds publics au profit du RPR et de Chirac), qui se voit discrédité et inéligible. Une élimination du dauphin de Chirac qui ne peut qu’exacerber les ambitions présidentielles de Sarkozy.

Quant à l’ex-«Gauche plurielle», elle ne s’est pas encore relevée de la catastrophe de 2002 et reste orpheline de Jospin. Un vide que Hollande, faute de charisme personnel et surtout de projet politique, n’est pas en mesure de remplir, tout comme il s’avère incapable de maîtriser les ambitions présidentielles au sein de son parti.

Le parti socialiste, on l’a vu lors du mouvement du printemps 2003, est paralysé entre deux impératifs contradictoires: la nécessité de renouer avec les couches populaires (qui supposerait de proposer des réformes) et sa crédibilité de «parti de gouvernement» (qui interdit de promettre ce qu’on sait ne pas devoir tenir). Une contradiction qui se réfracte dans la question des alliances, véritable dilemme pour les Verts et le parti communiste. L’attractivité de l’alliance avec le PS (promesse de postes) étant contrecarrée par le constat que la satellisation social-démocrate signifie un reniement politique. D’où, à gauche, des configurations différentes selon les régions: dans le Nord-Pas-de-Calais, par exemple, chaque composante de la gauche est présente de manière autonome, ou en Ile-de-France, face aux listes rivales de l’UMP et de l’UDF, à côté de la liste PS-Verts, s’est affirmée une liste de Gauche populaire et citoyenne associant le PCF et un collectif d’animateurs du mouvement social.

Le seul, hélas, à échapper aux problèmes est le Front national de Le Pen! Plus solidement que jamais installé dans la vie politique, il sera, malgré la barre des 10%, présent au 2ème tour dans la quasi-totalité des régions, peut-être même en tête au premier tour dans certaines… Même si Le Pen semble s’être sciemment rendu inéligible dans la région PACA, où sa victoire ne semblait pas totalement impossible, les scores du FN et son nombre d’élus vont confirmer la grande menace qu’il représente plus que jamais: dans un système d’alternance bloqué, apparaître à un nombre croissant d’électeurs-trices comme la seule alternative crédible.

Un pôle LCR-LO

Dans un tel contexte, la LCR et LO, après des débats tumultueux, se sont fixé un défi: présenter des listes communes pour tenter de confirmer leurs succès de la présidentielle. L’addition des scores de Besancenot et de Laguillier autorise l’espoir des 10%. Ce que confirment l’intérêt inédit des médias et la virulence du PS à dénoncer ceux qui «font le jeu de la droite».

La campagne est menée autour de l’exigence de sanctionner la droite sans amnistier la gauche et d’un programme d’urgence sociale mettant au centre l’interdiction des licenciements. S’affirme ainsi une extrême gauche qui ambitionne d’être une vraie alternative aux politiques jumelles de la droite et de la gauche, et de proposer à l’électorat populaire une autre voie que celle du vote de désespoir pour le Front national.

D’où des listes strictement «LCR-LO», sans appel à voter à gauche au 2ème tour (sauf le cas où le Front national serait en mesure de gagner), le refus de toute perspective de fusion de listes, le maintien au 2ème tour là où la barre des 10% serait franchie… Si tel était le cas, le paysage politique s’en trouverait effectivement changé.

A la veille des élections, de quelque côté qu’on se tourne, les enjeux apparaissent donc aussi décisifs que les résultats imprévisibles.

Francis SITEL
Rédacteur en chef de Critique Communiste