Chicano power


Chicano power


A la fin des années soixante, alors que le funk et la soul subissaient l’influence des mouvements noirs-américains 1, et particulièrement des Black Panthers, un nouveau style de musique apparaissait: le Latin Rock. Issu du mouvement Chicano Power pour les droits civils, le Latin Rock a, dès ses débuts, eu un caractère très engagé.

Erik Grobet

C’est au milieu des années soixante, à San Francisco et Los Angeles, que le mouvement Chicano Power s’est développé sur la base de la forte communauté d’immigrant-e-s mexicain-e-s, et qu’il a posé, dans une voie similaire à ce qu’avaient commencé à faire Martin Luther King et Malcom X pour les noirs-américains, la question de la place des latinos dans la société raciste des Etats-Unis.


La première «arrivée» des Mexicains aux Etats-Unis s’est faite dans la violence au milieu du XIXe siècle quand en 1848, le traité de Guadalupe Hidalgo força le Mexique à céder la Californie, le Nevada, le Nouveau Mexique, l’Arizona et une partie de l’Utah et du Colorado aux USA, qui avaient déjà obtenu le Texas en 1845. Voilà comment près de 75’000 Mexicains sont «arrivés» aux Etats-Unis… Ensuite, dès la fin du XIXe siècle, l’immigration économique et l’importation de main d’œuvre servile et bon marché ont poussé des milliers de Mexicains à traverser la frontière en direction de l’Eldorado… Durant les années vingt, ce sont près de 600’000 Mexicains qui venaient travailler dans les champs des capitalistes agraires américains, avant qu’ils ne soient renvoyés chez eux dix ans plus tard lors de la grande dépression. Enfin, une nouvelle arrivée massive vit le jour au début des années quarante, où les Mexicains devaient remplacer la main d’œuvre états-uniennes mobilisée par la guerre… Depuis, les USA sont particulièrement chatouilleux à leur frontière Sud et luttent énergiquement contre l’immigration illégale de Mexicains qu’ils n’ont cependant jamais cessé d’exploiter, dans le secteur agricole notamment.


De la défense des ouvriers agricoles aux «bérets bruns»


Le mouvement Chicano Power a eu moins d’envergure et est moins bien connu que le Black Power, mais leurs dynamiques sont similaires. Le Chicano Power était surtout présent dans les universités, dans les mobilisations contre la guerre du Vietnam et dans les luttes syndicales agraires, dont un des leaders, Cesar Chavez 2, a été un des symboles des Chicanos. Dès les années cinquante, il a défendu les ouvriers agricoles et, aujourd’hui encore, de fortes campagnes sur les droits des travailleurs agricoles sont menées aux Etats-Unis, dont une, de boycott de certains vins californiens, soutenue internationalement par différents syndicats. A l’instar des milices d’autodéfense des Black Panthers, le mouvement Chicano Power a créé, en 1968, les bérets bruns, organisation révolutionnaire de type paramilitaire qui a grandement contribué à conscientiser les jeunes activistes chicanos. L’organisation United Mexican-American Students, créée à Los Angeles a également permis l’éveil de la jeunesse immigrée face à la société américaine réactionnaire.


Le disque «Chicano Power» 3 retrace l’émergence du Latin Rock, courant musical alliant jazz, funk, rock et soul avec des rythmes latinos, en présentant des groupes mythiques tels que Malo, Azteca ou Sapo de San Francisco, ou encore El Chicano et Tierra de Los Angeles. Outre ces formations qui se trouvent à l’origine du Latin Rock, le disque présente aussi des artistes de la côte Est, où la communauté hispanique est à prédominance porto-ricaine et cubaine. Car si, indéniablement, c’est dans la communauté chicano de la côte ouest qu’il faut chercher l’origine du Latin Rock, celui-ci s’est également développé à New-York et à Miami, avec des groupes tels que Harvey Averne’s Barrio Band, Toro ou Benitez. C’est surtout de la côte Est qu’a émergé une des figure les plus connue du Latin Rock: Carlos Santana, dont la chanson «Soul sacrifice» présente sur le disque est une pure merveille.


Des disques à découvrir


Engagé, radical, le disque «Chicano power» présente l’histoire d’un fort mouvement que les Etats-Unis ont connu dans les années soixante, mais il nous replonge surtout dans ces sonorités funk faites de congas, d’orgue, de basses et de cuivres qui ont inspiré tant de courants musicaux d’au-jourd’hui. Un fabuleux retour dans l’atmosphère de la côte ouest des années septante… Soul Jazz records4, qui a édité ce disque n’en est pas à son coup d’essai et a sorti de nombreuses compilations thématiques de très bonne facture. On pense aux deux volumes de «Nu Yorica !» 5 illustrant l’effervescence de la musique urbaine à New York, et surtout à «Barrio Nuevo» 6 qui, dans la lignée de «Chicano Power», présente différentes formations de funk, rock, disco ou soul latinos. Des disques à découvrir avec petit verre de Havana Club maintenant que la chaleur est de retour.



  1. Voir «Stand up and be counted», solidaritéS, n° 127, 18 mai 2001
  2. Cesar Chavez a organisé les travailleurs, immigrés ou non, du secteur vinicole dès 1952. Il fonda en 1962 la National Farm Works Association, précurseur de la United Farm Workers Union.
  3. Chicano Power, Latin Rock in the USA, SOUL JAZZ RECORDS, 1998, SJRCD39
  4. http://www.soundsoftheuniverse.com
  5. Nu Yorica !, Nu Yorica 2!, Nu Yorica Roots, SOUL JAZZ RECORDS, SJRCD29, SJRCD36, SJRCD45
  6. Barrio Nuevo, SOUL JAZZ RECORDS, 1999, SJRCD42