Violences, violence

Violences, violence

S’il est évident que la violence conjugale, comme bien d’autres formes de violences, doit être dénoncée et ses victimes secourues, il ne faut pas taire le fait que la manière dont nous percevons les violences est fonction du cadre politique, idéologique, culturel et moral dans lequel nous vivons. En ce lieu, un discours domine sans partage, celui du néo-libéralisme sécuritaire. Qui va mettre en exergue certaines violences plutôt que d’autres (la maltraitance des enfants, par exemple), qui va segmenter la violence sociétale et la ramener à des cas individuels. Cette fragmentation du problème permet ensuite aux institutions répressives (police, justice) de s’occuper du coupable et aux institutions d’accompagnement (médecine, institutions sociales, etc.) de prendre en charge les victimes. La dénonciation médiatique du cas s’accompagne alors d’une lourde réprobation de l’auteur, ce salaud, ce monstre, dont l’acte devient diabolique. Impossible pour quiconque de se reconnaître dans cette caricature1. Personne ne peut être Bertrand Cantat. Personne ne peut imaginer le devenir un jour. Pourtant la mort de Marie Trintignant, c’est la mort d’une femme battue par un homme. C’est la «banalité» de l’acte, et non pas son caractère exceptionnel, qui nous le rend intelligible.

Les professionnels de la prévention de la violence mettent en évidence une autre dimension encore, que l’idéologie néo-libérale occulte le plus souvent: une grammaire commune anime les différentes formes de violence (sociétale, communautaire, relationnelle et individuelle). L’Organisation mondiale de la santé le note dans son Rapport mondial sur la violence et la santé: «Alors que certains facteurs de risque sont spécifiques d’une forme particulière de violence, il y a le plus souvent des facteurs de risque communs à toutes les formes de violence. Le cloisonnement en différents domaines de compétences et d’intérêt et le manque de collaboration entre les divers groupes ont tendance à masquer la chose et à encourager une approche fragmentaire de la prévention de la violence.» (Résumé, p. 10). Conséquence: la prévention primaire, celle qui agit sur les causes, est peu pratiquée et «les programmes qui agissent aux niveaux communautaire ou sociétal sont défavorisés par rapport aux programmes axés sur les facteurs individuels ou relationnels.» (p. 29).

  1. Pour la description de ce mécanisme, voir Daniel Welzer-Lang, L’utilité du viol chez les hommes, p. 72 et s. (in Violence et masculinité, http://www.tahin-party.org/jackson.html)