Retournons la LEtr à son expéditeur


Retournons la LEtr1 à son expéditeur


Racisme, xénophobie, des réalités quotidiennes vécues par des millions de personnes, en Suisse et en Europe. Nous publions ici l’introduction d’un ouvrage collectif qui sort de presse. Il nous invite à ouvrir le débat sur les droits des «étrangers/ères».

Dans les années 90, marquées par la crise et le chômage, les mécanismes d’exclusion et de précarisation se sont renforcés à l’égard de tous-tes les salarié-e-s sur le marché du travail, par exemple à l’embauche, pour les jeunes ou les travailleurs/euses âgé-e-s. Quant aux discriminations à l’égard des étrangers/ères, elles se sont fortement aggravées. Ces détériorations des conditions de vie et de travail perdurent aujourd’hui dans une période dite de reprise économique.


Dans cette situation certains politi- ciens bourgeois. comme des mouve- ments ouvertement racistes, ont fait de la xénophobie leur fond de commerce électoral. Une des caractéristiques de la Suisse est d’avoir conservé la même législation raciste, depuis le début des années 30, législation à la base des mesures prises contre les Juifs et les Tsiganes par les autorités dans l’entre-deux-guerres. Il suffit de rappeler que la Loi sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSSE) dispose à son article 16 que «pour les autorisations [de séjour] les autorités doivent tenir compte des intérêts moraux et économiques du pays. ainsi que du degré de surpopulation étrangère.» Sans gêne! C’est sur cette base que le gouvernement suisse a systématiquement mis en oeuvre une politique d’«immi-gration» et d’«asile» dont les caractéristiques principales sont l’exclusion des possibilités de séjour pour les non-Européens (les trois cercles, devenus deux, puis la présentation d’une division «binaire» du monde!), le démantèlement quasi achevé de tout droit d’asile et la négation des droits sociaux et politiques pour les personnes sans passeport rouge à croix blanche travaillant et habitant en Suisse.


En 1994, l’acceptation en votation populaire de la «loi antiraciste» et la ratification qui s’en est suivie par la Suisse de la Convention internationale de l’ONU sur l’élimination de la discrimination raciale n’ont pas modifié d’un iota la politique discriminatoire des autorités. D’une part, parce que le racisme est resté «légitimé» par le «droit des étrangers», d’autre part parce que le Conseil fédéral a vidé de sa substance la ratification de cette convention en formulant une réserve à l’une de ses dispositions essentielles. La seule donne qui a changé c’est la perspective de la libre circulation des personnes ressortissantes de l’Union européenne et ce suite aux Accord bilatéraux. En apparence en tout cas, la frontière des préjugés s’est ainsi un peu déplacée. Dans la foulée, une révision de la LSEE s’est imposée, non pour favoriser l’égalité de traitement pour tous, mais pour légitimer et renforcer un dispositif «moderne» et «actualisé» de discriminations: c’est le projet de nouvelle Loi sur les étrangers (LEtr),


A l’occasion de la votation en sep- tembre 2000 sur la dernière initiative xénophobe dite des 18%, le Conseil fédéral a présenté la LEtr comme un contre-projet de fait, raisonnable. En Suisse romande, le Collectif «Quand on aime on ne compte pas» et l’ACOR/SOS Racisme ont mené campagne contre cette initiative en défendant les principes de l’égalité des droits et de la libre circulation des personnes, indépendamment de leur nationalité. Nous avons ainsi combattu à la fois les positions des milieux xénophobes et celles (marquées également par le racisme) des autorités, comme des milieux patronaux et de la direction de l’Union syndicale suisse (USS). Relevons, sur ce dernier point, la levée de bouclier suscitée par la brochure de campagne de l’USS chez de nombreux/euses syndicalistes qui ont contesté son orientation xénophobe.


C’est dans le prolongement du débat ouvert lors de cette campagne que nous voulons poursuivre et développer une discussion large et publique sur la LEtr et, plus généralement, le «droit des étrangers». Elle est d’autant plus nécessaire que Christiane Brunner, actuelle présidente du PSS, affirmait la nécessité d’avoir «une fois le courage de se mettre d’accord sur une politique d’immigration assumée, où on définit le nombre d’étrangers que nous pouvons absorber chaque année» et d’ajouter, pour rassurer les milieux socialistes les plus ouverts, «en se donnant en contrepartie des vrais moyens pour les accueillir et les intégrer».2


Ce livre a l’ambition de stimuler un véritable échange d’opinions, et ce en refusant le cadre simplificateur et démagogique posé aussi bien par les milieux xénophobes que par les autorités. Nous n’avons pas la prétention d’apporter aux questions posées des réponses définitives, mais nous avons la conviction que cette discussion est urgente, indispensable pour combattre sur le fond le racisme, favoriser l’expression et l’organisation des personnes étrangères habitant en Suisse et renforcer les possibilités pour les salarié-e-s d’affirmer collectivement leurs droits et leurs intérêts.


Nous avons rassemblé différentes contributions de personnes et d’associations engagées, à un titre ou à un autre, dans la lutte contre le racisme et pour la défense des droits des «étrangers-ères». Chacune de ces contributions n’engage que son-ses auteur-e-s.


Merci de participer à sa diffusion. Nous vous invitons également à nous faire part de vos remarques et réflexions en nous écrivant ou en contactant notre site internet.3



  1. Loi sur les étrangers
  2. Le Matin, 3 septembre 2000.
  3. www.acorsosracisme.org. Collectif «Quand on aime on ne compte pas» Lausanne, mars 2001