GB, une nouvelle Alliance Socialiste relève le drapeau rouige


Une nouvelle Alliance Socialiste
relève le drapeau rouge


Le développement spectaculaire de la Socialist Alliance, qui présente des candidat-e-s aux élections législatives du 7 juin en Angleterre, aux côtés du Parti socialiste écossais (SSP) en Ecosse et de la Socialist Alliance dans le pays de Galles, est dans ce sens le phénomène le plus récent et spectaculaire.

Alan Thortnett *

Ce développement a été déclenché par le succès de la London Socialist Alliance1 à l’élection l’an dernier au Conseil du Grand Londres (quand Ken Livingstone a défié Blair en se présentant au poste de maire), qui obtint les meilleurs résultats électoraux que l’extrême gauche britannique ait connus depuis de longues années – et par la décision du Socialist Workers Party (SWP), la principale organisation de l’extrême gauche britannique, de s’investir pleinement dans l’Alliance. […]


L’Alliance s’était fixé le but de présenter 88 candidat-e-s, nombre requis pour bénéficier de l’accès à la campagne radiotélévisée. […] En fin de compte il y a autour de cent candidatures en Angleterre – loin des cinquante envisagées lorsque la Socialist Alliance anglaise fut lancée voilà huit mois. Les quelque cent candidatures anglaises, auxquelles il faut ajouter les 72 candidatures présentées par le SSP dans toutes les circonscriptions écossaises et les neuf candidatures de la Socialist Alliance galloise, représentent le plus grand effort électoral de la gauche radicale lors d’une élection législative depuis la guerre.


New Labour 100% néolibéral


On assiste à un approfondissement de l’hostilité feutrée des électeurs travaillistes traditionnels et on perçoit leur sentiment d’avoir été trahis par le New Labour, qui s’est déplacé à droite et est devenu le principal véhicule du néolibéralisme en Grande-Bretagne et en Europe. D’autant que si le New Labour est un exemple du tournant droitier de la social-démocratie en Europe, il a été plus loin que les autres partis-frères avec l’objectif avoué de transformer le Labour en un parti capitaliste semblable au parti démocrate aux USA.


En ce qui concerne les privatisations, comme en ce qui concerne toute une gamme de questions sociales, de la santé au droit d’asile, le Premier ministre travailliste Tony Blair est plus à droite que son prédécesseur conservateur. Il a tissé de nouvelles relations avec les patrons et une large part des finances de son parti provient aujourd’hui des dons des plus grandes fortunes. […]


Le New Labour est cependant donné encore gagnant dans les prochaines élections, car la perte des voix parmi ses partisans traditionnels sera plus que compensée par le gain des électeurs conservateurs satisfaits de la politique de Blair. Il occupe en effet le terrain politique auparavant identifié au parti conservateur, alors que ce dernier a évolué vers la droite xénophobe et traverse une grave crise le privant de l’espoir de pouvoir emporter les élections. Il est vraisemblable qu’après les élections on assistera à un violent éclatement de la direction du parti conservateur.


Une alliance qui rassemble


L’important développement que connaît la Socialist Alliance en Angleterre ne peut être mesuré uniquement au nombre des ses candidat-e-s. Son développement organisationnel et politique de ces derniers mois mérite d’être souligné. De nombreuses nouvelles Alliances se forment dans les endroits où elles n’existaient pas. En voyant la nouvelle unité forgée par la gauche et la possibilité de construire une alternative sérieuse à la marche rétrograde du blairisme, les gens reprennent vigueur et s’investissent à nouveau dans l’activité politique.


La décision d’une dirigeante de la gauche du Labour, Liz Davies, de quitter ce parti – après deux ans passés à son Comité national exécutif en tant que membre du regroupement de la gauche dit Grass roots Alliance – et de rejoindre la Socialist Alliance, a donné des idées à bien d’autres. Ils reconnaissent que la gauche travailliste ne se renforcera pas à court terme et que la principale opposition au blairisme sera bâtie hors du Labour Party, au travers de campagnes de masse telles les mobilisations anticapitalistes et les mouvements sociaux. Des militant-e-s individuels, des groupes de militants ou d’ex-militant-e-s travaillistes et des syndicalistes rejoignent de plus en plus la Socialist Alliance. Louise Christian, une avocate connue pour son engagement en faveur des droits humains, est candidate de l’Alliance. Mark Serwotka, nouveau secrétaire général du grand syndicat de la fonction publique PCS (Public an Commercial Services union) est un chaud supporter de l’Alliance, tout comme Dave Toomer, président du syndicat national des journalistes (NUJ). La décision des travailleurs/euses impliqués dans la longue lutte contre la privatisation de l’hôpital de Dudley (West Middlands) de mettre en avant l’un d’entre eux comme candidat de la Socialist Alliance symbolise le développement de l’idée de l’Alliance et de son défi électoral au New Labour parmi tous ceux qui luttent contre la politique blairiste.


Les Alliances locales sont devenues plus structurées et se sont développées en tant qu’organisateurs des campagnes locales autour des questions telles que le logement, les droits des immigré-e-s, l’éducation ou les retraites, tout en mobilisant pour les initiatives nationales et pour les mobilisations internationales contre la mondialisation capitaliste, comme à Gênes en juillet. L’Alliance a aussi un important impact au sein du mouvement syndical, comme en témoignent les débats en son sein autour du financement du Labour Party. Ce dernier ayant été construit autour et par les syndicats, ceux-ci le financent traditionnellement, mais la question est ouverte aujourd’hui de savoir si les syndicats ne devraient pas tenir compte du nouveau rôle du parti travailliste en ce qui concerne par ex. l’emploi ou le soutien apporté par ce parti aux lois antisyndicales imposées par les conservateurs et s’ils ne devraient pas financer d’autres formations politiques. L’Alliance a joué un rôle important dans les congrès syndicaux tenus cette années, en particulier lors du récent congrès du syndicat enseignant NUT. L’existence de l’Alliance a aussi exercé une forte pression en faveur de l’unité d’une gauche syndicale, divisée depuis de longues années.


En même temps, on assiste à un déclin profond de la gauche travailliste alors que le Parti communiste, dans le passé un opposant efficace tant face à l’extrême gauche que face à la gauche syndicale, a éclaté et est devenu insignifiant. Cette mouvance présentera quelques candidats – tout comme le Socialist Labour Party d’Arthur Scargill, stalinoïde et sectaire – mais sera éclipsée à gauche par l’Alliance.


Malgré la croissance et l’impact de l’Alliance, le vote en sa faveur sera réduit par un système électoral britannique particulièrement antidémocratique2, qui désavantage les formations petites et moyennes. De toute manière ce qui importera, ce sera non ce que l’Alliance fera le jour de l’élection, mais ce qu’elle fera au lendemain et comment elle organisera sa base en dehors d’une campagne électorale.


Une alternative claire au blairisme


Le plus important pas en avant déjà accompli par l’Alliance a été réalisé lors de sa conférence nationale à Birmingham le 10 mars. Cette conférence était en elle-même un événement historique, car la quasi-totalité de l’extrême gauche britannique y était présente. Elle a adopté un long manifeste électoral, qui sera une carte de visite de l’Alliance non seulement dans cette campagne, mais aussi au cours du stade suivant de sa construction.


Ce manifeste est le produit d’une journée de débats, menée principalement par les organisations politiques faisant partie de l’Alliance: le SWP, le SP, l’ISG, Workers Power, Workers Liberty, Communist Party of Great Britain et le Revolutionary Democratic Group.3 Le manifeste a été adopté par chapitres. La question politique clé dominant ce débat était celle de la définition politique de l’Alliance. Certaines organisations – en particulier le WP, le CPGB et le RDG – voulaient que celle-ci adopte immédiatement un programme révolutionnaire complet (incluant pouvoir des conseils et détachements ouvriers armés d’autodéfense) à partir d’un point de vue ultragauche propagandiste. A leurs yeux, l’Alliance devait se transformer immédiatement en parti révolutionnaire et tout manifeste qui ne serait pas le programme complet de la révolution socialiste serait à leurs yeux une capitulation face au réformisme.


La majorité, dont l’ISG, le SWP et le WL, a expliqué qu’un tel choix isolerait l’Alliance de ceux qui forment aujourd’hui son audience principale: ceux qui rejettent le blairisme mais qui pour autant ne sont pas des révolutionnaires. Nous souhaitons tous voir apparaître un nouveau grand parti révolutionnaire avec une base de masse en Grande-Bretagne, mais cela ne peut se faire en forçant de manière prématurée l’Alliance à adopter des slogans qui ne correspondent pas à la conscience de la majorité de ses membres et sympathisant-e-s.


Ce dont l’Alliance a besoin aujourd’hui, c’est un programme d’action, incluant nombre de demandes transitoires, reflétant son niveau actuel de développement et représentant une alternative claire au blairisme. C’est cette approche qui fut finalement adoptée, non sans débat difficile, car la majorité des présents à Birmingham – comme sans doute la majorité des membres actifs de l’Alliance à tous les niveaux – étaient des révolutionnaires socialistes. Mais, au vu de la longue histoire du sectarisme de la gauche britannique, le degré de maturité dont a fait preuve la conférence de Birmingham pour résoudre ces divergences fut remarquable. Et l’engagement de ceux qui s’étaient prononcés pour une approche différente se vérifia lorsque l’ensemble du manifeste a été finalement soumis au vote en fin de journée: une seule personne a voté contre.


L’importance de cette bataille tient au fait que si l’Alliance a été initiée par des organisations d’extrême gauche, elle a d’ores et déjà acquis une qualité propre. Elle n’est pas seulement un bloc électoral comme la liste LCR/LO en France. Elle est déjà une alliance politique qui entraîne un large spectre d’opposant-e-s au blairisme. Les organisations politiques en forment le cœur et jouent un rôle indispensable dans sa direction et son organisation, mais elle est déjà plus que la somme de leurs militant-e-s.


Le seul facteur négatif que la conférence a reflété a été l’isolement croissant du SP, qui n’avait pas 20 membres parmi les délégué-e-s, alors qu’en septembre dernier, lors de la précédente rencontre nationale constitutive de l’Alliance, ils avaient été 150. Le SP considère pour sa part que l’Alliance n’est pas une nouvelle formation politique en devenir, mais seulement un accord électoral entre organisations membres. Et si Dave Nellist, membre du SP et président national de l’Alliance, a joué pleinement un rôle positif, son parti est intervenu à côté du débat, privilégiant son point de vue ésotérique particulier en politique et n’étant pas présent dans le débat général, même si les membres du SP ont voté le manifeste à la fin. Au niveau local, si les membres du SP se placent comme candidat-e-s de l’Alliance, ils conduisent leur propre campagne et en général ne s’intègrent pas à la campagne de l’Alliance dans son ensemble.


Au-delà des élections…


Cette ombre ne doit cependant pas voiler la remarquable réussite de l’Alliance jusqu’ici. Le manifeste est publié sous forme de brochure vendue par les militant-e-s au porte-à-porte, dans les campagnes, sur les lieux de travail et dans les rues. Il sera également diffusé dans la presse. Cela nous donnera l’occasion d’approfondir les questions sur lesquelles nous avons des choses à dire et de présenter largement une vision de société fondamentalement différente de la Grande-Bretagne affamée de profit et étouffée par la pauvreté que propose le New Labour. Notre campagne TV a été réalisé par le cinéaste Ken Loach et une petite équipe de l’Alliance. L’objectif visé est de faire entrer chez les électeurs une image de l’expérience, du talent et des idées que nos candidat-e-s représentent dans tout le pays et de mettre l’accent sur les sujets prioritaires de notre campagne.


La question de l’engagement à long terme du SWP dans la Socialist Alliance continue à être débattue en son sein. […] Le degré de collaboration déjà atteint entre le SWP et le reste de l’extrême gauche n’aurait pu être imaginé il y a deux ou trois ans. Cela pourrait sans doute être remis en cause si au sein de l’Alliance on observait des phénomènes négatifs, mais tout indique le contraire.


Qui plus est, le SWP en Ecosse a rejoint le Parti socialiste écossais (SSP) le 1er Mai, ce qui est à la fois un pas en avant pour le SSP 4 et un résultat direct du développement de l’Alliance en Angleterre. Le SWP a vu à juste titre que deux facteurs remodelaient la gauche britannique. D’une part de l’émergence d’un mouvement anticapitaliste militant à l’échelle internationale, qui répond aux ravages du marché néolibéral mondialisé. Un mouvement qui est là pour durer et qui attire largement les jeunes faisant de l’anticapitalisme un mot du vocabulaire populaire. On espère atteindre 100’000 personnes à la prochaine manifestation de Gênes. L’initiative Globalise Resistance, lancée par le SWP sur une base large et ouverte, attire de plus en plus de monde dans ses manifestations et réunions et devient lui-même un nouveau facteur de la politique britannique, déplaçant le centre de gravité du mouvement antimondialisation des franges anarchisantes vers la gauche radicale. D’autre part, la Socialist Alliance remobilise la gauche et construit une large alternative au blairisme. Ces deux facteurs peuvent provoquer une réorganisation fondamentale de la gauche britannique. Les anciennes références perdent leur validité et de nouveaux acteurs apparaissent pour occuper la place.


Il est vrai que le SWP ne partage pas notre vision que la Socialist Alliance en Angleterre devra, à moyen terme, tenter de se transformer elle-même en un nouveau parti de la gauche, similaire au SSP en Ecosse. Mais il va dans cette direction. Il s’est prononcé en faveur de la poursuite de l’Alliance après les élections. Dans les faits il est en faveur du renforcement de ses structures, les rapprochant de celles d’un parti. Il considère cependant qu’appeler l’Alliance «parti» ou la présenter comme un «parti» à ce stade peut limiter son développement en rendant plus difficile de la rejoindre à ceux qui se séparent du New Labour. Cela soulève également la question de l’impact de la Socialist Alliance sur la gauche en général et celle – distincte mais liée – du regroupement des révolutionnaires. Déjà l’existence de la Socialist Alliance en Angleterre et celle du SSP en Ecosse restructurent la gauche en Grande-Bretagne et dissolvent les vieilles frontières en place si longtemps.


Le regroupement des révolutionnaires est un processus difficile et compliqué, mais il est objectivement mis à l’ordre du jour par l’apparition des regroupements plus larges. Comment la gauche révolutionnaire peut-elle être la force motrice d’un large regroupement contre le blairisme, si elle reste elle-même incapable de dépasser ses divisions? Dans tous les cas l’art de la politique est de saisir les occasions lorsqu’elles se présentent. Sinon, la prochaine pourrait se faire attendre, longtemps…


* Alan Thornett, de l’International Socialist Group (IVe Internationale) rédacteur du mensuel Socialist Outlook. Syndicaliste de l’industrie auto, a dirigé la grève historique chez Morris à Cowley dans les années 70. Il a publié From militancy to marxism, Ed. Left view books, 1987.


  1. Plus de 3000 personnes ont mené la campagne de la London Socialist Alliance (LSA), qui a obtenu 10% des voix dans certains quartiers, correspondant à des circonscriptions du Parlement V. article de P. Vanek dans le solidaritéS n°107 du 28.04.00
  2. Scrutin uninominal à un tour par circonscription, induisant le bipartisme travaillistes-conservateurs. Les votes pour des candidats de partis minoritaires risquent d’être perdus. Un parti peut avoir 30% des suffrages et aucun élu si deux autres partis se partagent les 70% restants.
  3. Le Socialist Workers Party est la principale organisation de l’extrême gauche britannique, avec plusieurs milliers de militant-e-s; le Socialist Party (SP), anciennement tendance Militant dans le Labour Party, est une organisation trotskiste à l’origine du lancement de la Socialist Alliance qui a depuis pris un cours plus sectaire et autoproclamatoire. Bien qu’en déclin (pas plus de 1000 militant-e-s), le SP a imposé de pouvoir présenter 20% des candidat-e-s de l’Alliance menant une campagne pour part séparée de la campagne unitaire; l’International Socialist Group (ex-IMG), est la section britannique de la IVe. Il a joué un rôle important dans la période post-68, mais s’est affaibli au cours des années 80, quand la classe ouvrière britannique fut défaite par le gouvernement Thatcher; Workers Power et Workers Liberty sont deux petites organisations d’origine trotskiste; le Communist Party of Great Britain est issu d’une scission du PC britannique traditionnel; le Revolu-tionary Democratic Group est une issu du SWP, sa spécificité: vouloir une Constitution de l’Etat britannique.
  4. Le Scottish Socialist Party est issu du regroupement d’une partie de la gauche radicale et de l’extrême gauche écossaise au sein de la Socialist Alliance. Cf. art. de Murray Smith dans le n° 119 du 26.12.00