Allpack: réflexions sur une grève

Allpack: réflexions sur une grève

La colère gronde parmi un nombre de plus en plus grand de salarié-e-s, confronté-e-s aux pressions toujours plus fortes de leur employeur pour qu’ils-elles acceptent une détérioration de leurs conditions de travail, comme la réduction de salaires, la flexibilisation accrue des horaires ou l’augmentation des rythmes de travail. La grève des travailleuses et des travailleurs de l’entreprise d’emballage Allpack à Reinach (Bâle-Campagne) constitue une expérience de lutte dont il est utile et nécessaire de débattre. Nous avons publié, dans notre précédent numéro, une contribution d’Urs Diethelm proposant un premier bilan de cette grève. Nous reproduisons ci-dessous une nouvelle analyse, faite par Jean-Michel Dolivo et Daniel Süri. Une telle expérience mérite en effet des réflexions approfondies afin de contribuer modestement au développement de la lutte syndicale. (réd)

Il faut rappeler tout d’abord que, dans la quasi-totalité des entreprises en Suisse, il n’existe pas expérience d’action collective. La tradition d’organisation syndicale n’est pas beaucoup plus grande. Le premier obstacle que doivent affronter les salarié-e-s, c’est leur atomisation et l’individualisation de leurs conditions de travail, renforcées par les nouvelles formes d’organisation du travail et les nouvelles méthodes de «gestion des ressources humaines».

Pour surmonter la logique du chacun pour soi et le sentiment d’impuissance qu’elle génère face aux diktats de l’employeur, la seule voie praticable, même si elle n’est guère pratiquée et balisée, est celle de l’action collective. Les travailleuses et travailleurs de la production, à Allpack, l’ont compris. Bien que sans aucune expérience et sans filet, elles-ils ont choisi d’utiliser un instrument de lutte, la grève, mis au rencard par des décennies de paix du travail.

Le syndicat comedia, syndicat de la branche, en s’engageant massivement pour soutenir leur mouvement, dès son départ, a joué un rôle décisif pour qu’elles-ils puissent s’organiser et développer leur action.

Réprimer la révolte ouvrière

Robert Scheitlin, patron de choc d’Allpack, a utilisé tous les moyens pour tenter de casser la détermination des grévistes, en jouant sur différents registres: licenciements, répression policière, intervention, présentée comme «neutre», de médiateurs désignés par le gouvernement cantonal de Bâle campagne.

Cette grève était en effet non seulement un moyen de remise en question du pouvoir despotique de l’employeur dans l’entreprise, mais encore, dans la mesure où elle durait et pouvait gagner, elle représentait un signal pour de nombreux salarié-e-s soumis au même type de contraintes et de violences. S’y ajoute le fait que l’entreprise travaille comme sous-traitante de géants comme la Migros ou Novartis. S’attaquer à Allpack revenait à remettre en cause leur stratégie d’économies sur les coûts par le biais de la sous-traitance.

Absence de traditions syndicales combatives

Les grévistes, parmi lesquels des femmes et des hommes immigré-e-s, au statut particulièrement précaire, ont donc engagé leur combat dans des circonstances singulièrement difficiles. Ce sont ces conditions qui, avant tout, ont rendu problématique une issue pleinement satisfaisante de la grève. Ce d’autant que le mouvement syndical a, très largement, perdu des réflexes élémentaires de solidarité et n’a pu ni voulu faire de cette grève un véritable enjeu à l’échelle régionale (en Suisse allemande), voir sur le plan national.

L’accord signé n’a pas été à la hauteur de la grève, comme l’admettent, dans leur article du 11 décembre 2003, les deux secrétaires centrales de Comedia, animatrices de cette grève (cf. http://www.alencontre.org). Cette discordance tient peut-être à des erreurs commises dans la conduite des négociations (voir le débat syndical sur ce point dans le no 20 de m-magazine du 18 décembre 2003), mais sa racine est plus profonde: recréer une culture de lutte et de grève parmi les salarié-e-s s, quelle que soit leur intelligence et leur détermination, ne peut se faire d’un coup de baguette magique.

Faire que les travailleuses et les travailleurs retrouvent à la fois le chemin de la solidarité et la compréhension des enjeux des luttes partielles prend aussi du temps. Réapprendre à organiser une grève, voilà un des défis majeurs qu’il est urgent de relever pour un mouvement syndical combatif, pour que la colère ouvrière débouche sur de vrais conquêtes.

Jean-Michel DOLIVO
Daniel SÜRI