Nigéria: grèves générales en série

Nigéria: grèves générales en série

Le Nigéria, est généralement présenté par la grande presse comme le pays du pétrole, du football, de la corruption politique, des affrontements entre milices ethniques Ijaws et Itsekeris et du fondamentalisme islamiste. Une image d’Epinal raciste du continent noir: «richesses naturelles», «prouesses sportives» et «barbarie sociopolitique»… En revanche, cette grande presse n’a pas évoqué sérieusement la résistance exemplaire que le peuple nigérian vient d’opposer aux politiques néolibérales et impérialistes, au cours de l’année 2003.

Après quinze ans de dictature militaire, le Nigeria est redevenu «démocratique» en 1999. Les élections ont porté au pouvoir, l’ancien général dictateur Olosegun Obasanjo, recyclé démocrate, sous la bannière du Parti Démocratique du Peuple. La confiance des électeurs lui a été renouvelée en avril 2003 – frauduleusement d’après une partie importante de l’opposition. Son premier mandat a été marqué par un respect relatif des droits et libertés politiques, ainsi que par la normalisation des relations avec ladite «Communauté internationale», mise à mal par le régime dictatorial et oligarchique grotesque du Général Sani Abacha1, responsable de la sévère répression du mouvement démocratique et mis au ban du Commonwealth. Il avait pourtant reçu le soutien des principales multinationales pétrolières (Shell principalement2, mais aussi ChevronTexaco, Elf, etc.), très actives auprès de ce 6e producteur de l’OPEP, la principale économie d’Afrique subsaharienne après l’Afrique du Sud3.

«Démocratie», misère et fondamentalismes

Comme partout en Afrique subsaharienne, la «démocratisation» s’est accompagnée d’une accentuation de la néo-libéralisation de l’économie, après treize ans d’ajustement structurel. Les différents régimes dictatoriaux avaient en effet, à partir de préoccupations oligarchiques sans rapport avec des considérations sociales, différé la privatisation des principales entreprises d’Etat, tout en grossissant le stock de la dette publique extérieure4. Pourtant, la libéralisation complète du secteur pétrolier était la condition d’une coopération normale avec l’impérialisme, à travers les institutions financières internationales. Ainsi, depuis sa réélection, le Chef de l’Etat nigérian – par ailleurs président du Comité de pilotage du programme néo-libéral africain, le NEPAD (acronyme anglais du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique) – s’est attelé à mener à terme la néo-libéralisation de l’économie nigériane en inscrivant à l’agenda 2003 la privatisation des entreprises stratégiques, parmi lesquelles la Nigerian National Petroleum Coorporation (NNPC) et ses raffineries, considérées comme autant de symboles de la souveraineté économique nationale. L’attribution, en juin 2003, à Ngozi Okonjo Iweala, l’une des vice-présidentes de la Banque Mondiale (en charge du Moyen Orient), du ministère de l’Economie et des Finances, incarne bien cette volonté, même si elle a de la peine à se concrétiser.

Depuis 2000, le régime Obasanjo est confronté à une résistance syndicale et populaire contre l’intensification de l’ajustement structurel. Car, dans ce pays de 120 à 125 millions d’habitants (sur 923768 km2, soit 2 fois la France et 22 fois la Suisse), où 70% de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté, la résistance à la dictature militaire a fait place à une résistance à la dégradation des conditions d’existence de la population. C’est cette misère croissante qui fait le lit du fondamentalisme islamiste – comme d’ailleurs du fondamentalisme protestant (le pentecôtisme made in USA). Ainsi, cette république fédérale de trente-six Etats – plus la capitale-Etat Abuja – est confrontée, depuis la fin de la dictature, à la proclamation de douze Etats islamiques dans le Nord à majorité musulmane5. Par ailleurs, se développent le trafic des jeunes filles vers le marché européen de la prostitution et l’esclavage des enfants dans les carrières de pierre et les champs d’hévéa.

Grèves et mobilisations sociales

Les grèves se succèdent aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur étatique ou paraétatique. Ainsi, par exemple, les enseignants de l’Université, qui revendiquent une hausse des salaires et du budget de l’enseignement supérieur, sont restés en grève pendant les quatre premiers mois de l’année 2003, avec le soutien des étudiants du National Association of Nigerian Students (NANS).

Vu sa place dans l’économie et son impact sur la vie quotidienne des Nigérian-e-s, ce sont surtout les mesures relatives au secteur pétrolier qui mobilisent le plus le peuple nigérian. En effet, depuis 2000, le régime d’Obasanjo n’est pas parvenu à faire avaler à la population la pilule amère de la hausse des prix du carburant à la pompe, exigée par la néo-libéralisation, dont celui du pétrole lampant, de consommation courante. Car, si le Nigeria est un grand producteur-exportateur, une grande partie du carburant qu’il consomme est importée, comme dans d’autres pays pétroliers subsahariens, malgré l’existence de raffineries locales. La nécessaire subvention de l’Etat pour la stabilisation de prix peu élevés, est considérée comme incompatible avec la réduction des charges sociales de l’Etat, exigée par les institutions financières internationales.

A l’inverse, la hausse des prix est considérée comme anti-sociale par les syndicats du secteur, comme par le peuple nigérian. Elle se heurte à une forte contestation populaire, et ceci depuis 2000… Ainsi, la grève générale de juin 2003, qui a paralysé presque tout le pays durant une semaine, malgré la sévère répression policière des premiers jours (huit morts), a fait reculer le gouvernement6. C’était à la veille de la tournée africaine de G. W. Bush, dont le Nigeria – principal partenaire des USA en Afrique subsaharienne, avant l’Afrique du Sud – constituait une étape majeure.

La tentative de récidive du gouvernement, à la veille des 8e Jeux Africains, qui misait sur la passion sportive de la population, a aussi échoué, suite à la menace de grève générale du mouvement syndical. Le Président Obasanjo a été jusqu’à reprocher à la principale centrale syndicale – Nigeria Labour Congress (NLC) – de jouer les gouvernements parallèles. Ceci ne l’a pas empêché de programmer la privatisation des quatre raffineries de la NNPC pour la fin de l’année 2003, prétendument parce qu’elles ne parvenaient pas à couvrir la demande locale en carburant. Une nouvelle occasion pour le gouvernement de démontrer sa servilité envers les multinationales et la grande bourgeoisie nigériane, malgré la détermination syndicale et populaire.

Recomposition de la gauche anti-impérialiste

En réponse à la menace de grève nationale, à compter du 1er janvier 2004, annoncée par les deux principaux syndicats du secteur – la Petroleum and Natural Gas Senior Staff Association of Nigeria (PENGASSAN) et la Nigerian Union of Petroleum And Naturel Gas Workers (NUPENG) – rendez-vous a été pris entre le gouvernement, la direction de la NNCP et les syndicats afin de négocier.

Ainsi, l’année 2003, a vu une avancée spectaculaire de la solidarité syndicale, illustrée aussi par le soutien apporté par le syndicat des Postes et Télécoms aux employé-e-s d’une manufacture privée d’ustensiles ménagers. De telles évolutions sont bien sûr favorisées par la participation active de la gauche révolutionnaire aux syndicats, y compris à la direction de certains d’entre eux. Une gauche dont sept organisations ont tenu leur 3e Conférence Nationale en janvier 2003, afin de jeter les bases d’une Nigerian Socialist Alliance. Alors que d’autres développent leur collaboration avec les secteurs de l’opposition démocratique opposés aussi à la privatisation.

L’année 2004 s’annonce sous le signe de l’exacerbation de la lutte des classes. En effet, d’un côté, le gouvernement veut à tout prix «bénéficier» de l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) et autres «bienveillances» de l’impérialisme, aux dépens du peuple nigérian. De l’autre, la classe ouvrière organisée, les fonctionnaires, la jeunesse estudiantine… le peuple nigérian en général peuvent être dynamisés par les victoires remportées en 2003 et poursuivre la lutte. Ainsi, depuis le 8 janvier, suite à l’annonce gouvernementale d’une taxe sur le carburant pour 2004, ainsi que d’autres mesures néolibérales de nature à aggraver la paupérisation du peuple nigérian, une large coalition – Labor and Civil Society Coalition – menée par la principale centrale syndicale, le Nigeria Labour Congress (NLC), a donné au gouvernement jusqu’au 20 janvier, pour retirer l’ensemble des mesures anti-sociales inscrites au budget 2004. Faute de quoi, une grève générale, dont la préparation a déjà commencé, sera déclenchée le 21 janvier. Le succès d’une telle grève ne manquerait pas de déployer des effets dans les pays voisins.

Jean NANGA*

* Militant panafricaniste anti-impérialiste.

  1. En cinq ans de règne, le Général dictateur Sani Abacha, retrouvé mort dans son lit en 1998, après des ébats nocturnes avec trois prostituées, aurait accumulé au moins 2 milliards de dollars, dont la récupération partielle en Suisse (618 millions de dollars) a été récemment acquise par la Ministre nigériane de l’Economie et des Finances.
  2. Shell extrait près de la moitié des 2,2 millions de barils produits quotidiennement par le Nigeria, en vertu des quotas de l’OPEP.
  3. Pendant la période coloniale et les premières années de l’indépendance (années 60), l’économie nigériane était basée sur l’exportation des produits agricoles. Pourtant, si l’agriculture représente encore 40% de son PIB, depuis trois décennies, les ressources de l’Etat dépendent en grande partie du pétrole: 95% des revenus d’exportation, contre 30% du PIB.
  4. La dette publique extérieure du Nigeria est la plus importante d’Afrique subsaharienne: environ 30 milliards de dollars (74% du PIB), dont 70% bilatérale et 60% d’arriérés cumulées depuis 1992. Sur les 4 milliards de service annuel obligatoire, l’actuel régime a budgétisé en moyenne 1,5 milliard de dollars de remboursements annuels. Vu l’intérêt manifesté par l’impérialisme pour la libéralisation du Nigeria, le gouvernement a bénéficié, ces dernières années, de rééchelonnements de la part de presque tous les pays du G8 et de la Suisse.
  5. Le Nigeria compte 45% de musulmans, 45% de chrétiens et 10% d’animistes.
  6. Malgré de fréquentes dissensions, depuis son apparition dans les années1920, le mouvement syndical nigérian a une longue tradition de combat, aussi bien sous le régime colonial que sous les régimes néo-coloniaux. La première grève générale lancée par les syndicats a eu lieu en 1945, en pleine période coloniale. Elle a duré 37 jours!