Ni putes, ni soumises, le mouvement féministe qui monte

Ni putes, ni soumises, le mouvement féministe qui monte

Dans les banlieues françaises, mais ici aussi, les jeunes filles sont confrontées à une double violence, qui est à l’origine de la constitution du mouvement Ni putes Ni soumises1.

Etait-ce seulement pour vendre un soutien-gorge à 14 francs nonante que nos panneaux d’affichage ont été recouverts juste avant Noël d’images de morceaux de femmes en sous-vêtements ou fesses à l’air? que ces frais considérables ont été engagés, avec des mannequins célèbres, des grands formats, une pléthore d’affiches, jusqu’à la nausée?

On en doute… En revanche, le message qu’une vraie femme se doit de porter des sous-vêtements rouges vifs, un string et d’être soumise au désir de l’homme, a bien passé auprès de quantité d’adolescentes. Dans les écoles, les jeunes parlent sous-vêtements et s’imposent moralement des obligations vestimentaires, dont l’incontournable string… Les trop ou les pas assez formées, selon les normes affichées, endurent des railleries et se forcent alors par tous les moyens à ressembler à ces images.

Se fondre dans la masse des filles sexy ou se voiler

Seuls des esprits forts arrivent à résister, il se trouve tout de même quelques originales bravaches qui osent venir en jupe au Cycle. Et l’on peut imaginer que les plus rebelles poussent la réaction à l’esprit moutonnier jusqu’à se voiler la tête et se couvrir de longs tissus. En France, le succès leur est garanti. Les deux sœurs, de père juif et de mère chrétienne, qui se sont converties à l’islam, voiles à l’appui, ont vraiment connu la gloire: la une de plusieurs illustrés, des quantités d’articles de plumes connues et des polémiques dans l’Europe entière!

Mais on peut fort bien penser que la majorité des jeunes filles voilées préféreraient se fondre dans la masse des filles sexy et ne pas obéir à leur famille. Si elles bravent les conventions des jeunes, les commentaires des professeurs, ce n’est pas tant par courage que contraintes et forcées.

«Ni putes, ni soumises», les jeunes femmes des banlieues françaises – suite à l’assassinat de Sohanne, 16 ans – ont fondé un magnifique mouvement de résistance pour être elles-mêmes, pour vivre libres et dignes. Ne plus être soumises ni à la norme sexy, ni à la norme voilée, deux faces de la soumission des femmes aux hommes.

Dans les banlieues, actuellement, le sexe est encore le grand tabou pour les jeunes filles et la moindre velléité de s’habiller, de se comporter de façon non conforme à une interprétation fondamentaliste de l’Islam est immédiatement dénoncée comme une dérive vers la «putasserie». Pourtant, ces jeunes femmes sont aussi confrontées aux pubs sexy dans les rues et dans les journaux et surtout à la drague ordinaire, dans cette ambiance contradictoire de sexualité «libérée» qui domine dans la société française. Tiraillées entre ces deux soumissions, elles doivent lutter parfois très durement pour leur liberté. Le féminisme n’est pas une conversation de salon pour elles, c’est un véritable combat pour la vie.

Un titre provocateur qui rassemble

Elles étaient présentes à la Conférence européenne des femmes, le 12 novembre 2003 à Bobigny, dans le cadre du FSE. Elles faisaient encore signer le manifeste de leur longue marche à travers la France, entre janvier et mars 2003, contre les ghettos et pour l’égalité («Nous refusons d’être contraintes au faux choix, d’être soumises au carcan des traditions ou de vendre notre corps à la société marchande»). C’est que malgré leur notoriété et leur médiatisation, les jeunes militantes doivent se battre pied à pied pour faire passer leur message. Le féminisme des quartiers est embryonnaire. Soumises à la loi de la jungle, les femmes ne sont pas naturellement solidaires entre elles et discréditent les féministes «des mal baisées qui veulent enfermer les mecs à la maison». Le mouvement se développe, selon les besoins exprimés par les seules jeunes femmes, appuyé par des forces libertaires, égalitaires, fraternelles et sororelles.

Une Université (rencontre de réflexion) a réuni en automne 2003 plus de 600 participant-e-s. Enormément de jeunes femmes mais aussi des féministes et des politiques reconnu-e-s qui leur apportaient leur soutien. «Le mouvement devient populaire, c’est-à-dire un mouvement qui réconcilie, qui rassemble» se réjouissait la présidente Fadela Amara. Le titre provocateur du mouvement interpelle. «Sans son nom, je ne me serais pas intéressé à cette association. Au début, j’ai trouvé choquant, maintenant je me rends compte que c’était indispensable… La violence du slogan est en lien avec la violence de la situation» ont avoué certains de leurs adhérents mâles, car le mouvement est mixte. Mais au FSE, les prostituées ont exprimé leur désapprobation avec ce titre qui les discrimine. Pas facile de rassembler les féministes…

Maryelle BUDRY

  1. Pour mieux les connaître: Pote à Pote, mensuel jeune, plaisant, varié, combatif, écrit par les jeunes des banlieues et édité par la Fédération nationale des Maisons des Potes. www.macite.net
    Ni putes, ni soumises, par Fadela Amara, initiatrice de la Marche et présidente des Maisons des Potes, éditions La Découverte, Paris, 2003.
    Vivre libre, par Loubna Méliane, l’itinéraire d’une marcheuse,d’une jeune du ghetto, Oh! éditions, Paris, 2003.