Développement de la place financière helvétique et secret bancaire au 20ème siècle (part. 2)

Développement de la place financière helvétique et secret bancaire au 20e siècle: la Suisse comme paradis fiscal 1

Partie 2: suite article précédent

Sébastien Guex*


*Professeur à l’Université de Lausanne


3. Autour du secret bancaire et de la place financière

Dans cette dernière partie, j’aimerais aborder trois problèmes importants soulevés fréquemment lorsqu’il est question de la place financière et du secret bancaire suisses et de leur rôle dans la fraude et l’évasion fiscales internationales ainsi que dans le blanchiment de l’argent sale.

3.1. Paradis fiscal suisse, argent sale et argent gris

En Suisse comme sur le plan international, lorsqu’il est question de paradis fiscaux, les responsables politiques et les grands médias mettent l’accent sur leur rôle dans le blanchiment de l’argent sale, autrement dit sur le camouflage et le recyclage dans des circuits légaux des revenus provenant des activités illégales des organisations criminelles.54 On ne compte plus les déclarations musclées à ce propos, généralement peu suivies de démarches et encore moins de résultats concrets. En revanche, les autorités politiques et les grands médias sont incomparablement plus discrets et tolérants en ce qui concerne ce que certains appellent l’argent gris, c’est-à-dire l’argent qui échappe au fisc par le moyen de la fraude sous ses différentes formes. Ce phénomène mérite d’être souligné car il conduit souvent, y compris dans les cercles qui critiquent et combattent les paradis fiscaux, à sous-estimer l’importance de la fraude fiscale. Or, outre le fait que les deux activités sont bien souvent liées, plusieurs facteurs incitent à penser que la question de la fraude fiscale est tout aussi voire plus importante que celle du blanchiment de l’argent sale.

Fraude fiscale

En premier lieu, les sommes en jeu dans le domaine de la seule fraude fiscale, prise au sens juridique du terme, c’est-à-dire sans inclure le domaine de l’évasion fiscale,55 sont gigantesques, sans doute supérieures aux capitaux faisant l’objet de blanchiment. En Suisse, l’ampleur de la fraude est extrêmement difficile à estimer, tant les données dont on dispose sont lacunaires. Mais faisons un rapide calcul: durant les années 1998-2000, les recettes dégagées par l’impôt anticipé ont été de 4418 millions de FS par année, en moyenne.56 En partant d’hypothèses plutôt restrictives,57 on obtient un montant de fortune mobilière suisse possédée par des personnes physiques ou morales établies en Suisse fraudant le fisc de l’ordre de 130 milliards de FS, soit, exprimé en dollars, un montant grosso modo de 80 milliards de $. En France heureusement, on dispose de données plus nombreuses, fouillées et précises sur l’ampleur de la fraude fiscale. Ainsi, il est estimé, pour 1996, que des revenus pour un montant total de l’ordre de 250 milliards de francs français, soit grosso modo 50 milliards de $, et des patrimoines pour un montant total de l’ordre de 1000 milliards de francs français, soit grosso modo 200 milliards de $, échappent respectivement à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur la fortune dans l’Hexagone.58

Uniquement pour ces deux pays et pour les impôts concernés, on obtient donc au total un montant d’argent gris de l’ordre de 330 milliards de $, soit une proportion située entre 11% et 28% de la totalité de l’argent sale au niveau mondial faisant l’objet de procédures de blanchiment, selon l’estimation de 1994 du Fonds monétaire international (FMI).59

En deuxième lieu, il faut relever que les milieux d’affaires et leurs représentants médiatiques et politiques banalisent, voire légitiment, la fraude fiscale, particulièrement en Suisse. Ainsi, dans un commentaire récent consacré à Marc Rich, qui vient d’être gracié par le Président américain Bill Clinton, malgré de nombreux délits, dont la fraude fiscale de 48 millions de dollars, un des journalistes de la Neue Zürcher Zeitung écrit qu’il s’agit «en fin de compte de tout sauf de délits graves».60 Quant à l’un des grands banquiers suisses, Hans-Dieter Vontobel, il n’hésite pas à déclarer lors d’une assemblée générale de sa banque, que «lorsque les impôts et les cotisations sociales dépassent la frontière de 50%», celui ou celle qui fraude le fisc «a certes la légalité contre lui mais la légitimité pour lui».61 Il est important de souligner que la fraude fiscale revient, en fait, à un vol. Certes, ce vol ne fait pas de victimes précisément identifiables: il reste en quelque sorte anonyme, beaucoup moins visible que le vol, par exemple, d’un porte-monnaie ou d’une voiture. Mais il est d’une tout autre ampleur. Les études réalisées en France évaluent la somme totale des différents types de vol (vols de voitures, dans les magasins, à la carte bancaire, etc.) commis en 1996 à un montant de l’ordre de 38 milliards de francs français (dont 246 millions pour les vols à main armée qui font systématiquement la une des médias) alors que la fraude fiscale (sans l’évasion fiscale) prive l’Etat de recettes d’un montant de l’ordre de 132 milliards de francs français.62 Il s’agit donc d’une spoliation gigantesque, commise avant tout par les possédants, dont les possibilités de fraude sont incommensurablement plus grandes que celles des salariés, aux dépens, pour l’essentiel, de la très grande majorité de ces derniers.63 En effet, ce manque de recettes de 132 milliards de francs, l’équivalent du déficit annuel moyen de l’Etat français durant les années 1990, doit être compensé tôt ou tard, par une augmentation de la pression fiscale et/ou par une diminution des dépenses étatiques, deux mesures dont la grande masse des salariés subit l’essentiel des coûts.

Pas de justice fiscale

On ne peut qu’être d’accord avec un haut fonctionnaire de l’Administration fédérale des contributions lorsque, parlant de son expérience en Suisse, il déclarait récemment que «la justice fiscale n’existe pas: les nantis peuvent facilement échapper à l’impôt alors que les salariés passent à la caisse. Cette inégalité est d’autant plus scandaleuse que les premiers exigent aujourd’hui un démantèlement de la politique sociale».64 Propos confirmés par ce chef d’une administration fiscale cantonale: «Celui qui vole une baguette de pain peut être condamné à la prison. Celui qui vole des millions à l’Etat risque une amende. Où est l’équité?».65

En troisième lieu, les procédés et les circuits utilisés pour blanchir de l’argent sale sont en partie les mêmes que ceux employés pour frauder le fisc: «l’argent gris de l’évasion ou de la fraude suit souvent les mêmes canaux que l’argent noir du crime…»66 relève le Procureur général du canton de Genève, Bernard Bertossa. Dès lors, il est très difficile de distinguer les deux activités et, a fortiori, de combattre efficacement la première, le blanchiment, si la seconde, la fraude fiscale, est banalisée et traitée avec mansuétude. Enfin, la fraude fiscale, sans parler de l’évasion fiscale, intéresse directement (c’est-à-dire en tant que fraudeurs) ou indirectement (en tant qu’auxiliaires des fraudeurs) de très vastes couches des milieux possédants, alors que c’est beaucoup moins le cas du blanchiment d’argent, en raison des dangers considérablement plus élevés qu’implique une telle activité: sanctions étatiques beaucoup plus lourdes, risques nettement plus prononcés de perte de capital symbolique et social due à l’illégalité et l’illégitimité des activités des milieux criminels, menace sensiblement plus grande d’être soumis au chantage, aux pressions diverses et de plonger dans un engrenage sans fin, etc.

Indulgeance pour les fraudeurs

Ceci étant précisé, il faut relever que dans le domaine de la fraude fiscale, la Suisse occupe une position spécifique pour deux raisons au moins. Premièrement, non seulement l’évasion fiscale n’y est pas sanctionnée, mais la fraude fiscale y est définie de façon très restrictive. La dissimulation de matières imposables n’est pas considérée comme un délit susceptible de poursuites pénales. Pour qu’il y ait délit, il faut qu’il y ait non seulement dissimulation de revenus ou de biens mais que cette dissimulation soit le produit, par exemple, d’une falsification de documents. Autrement dit, ce n’est pas la forme de fraude qu’on appelle généralement la soustraction fiscale, mais cette forme nommée escroquerie fiscale qui constitue un délit.67 Cela implique que les autorités helvétiques n’accordent pas l’entraide judiciaire internationale lorsqu’un fraudeur étranger est accusé de soustraction, mais non d’escroquerie fiscales.

La Suisse est donc très attractive sur le plan de «l’optimisation fiscale», pour reprendre l’euphémisme utilisé par les entreprises, les riches particuliers et les fiduciaires. D’autant plus que cette particularité juridique est admirablement complétée par le secret bancaire: en effet, bien souvent, les autorités judiciaires étrangères ont besoin de renseignements venant de Suisse afin de pouvoir fonder leurs soupçons d’escroquerie fiscale, renseignements qu’il leur est précisément très difficile d’obtenir en raison du secret bancaire.

Combattant une motion du Parti socialiste exigeant un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, le Conseil fédéral écrivait d’ailleurs à ce propos, en mars 1998: «les autorités fiscales ne peuvent exiger des banques, en cas de soustraction d’impôt, qu’elles leur fournissent des renseignements sur leurs clients: le secret bancaire interdit en effet de fournir des renseignements à des tiers. Il en va tout autrement dans le cadre d’une procédure pénale: en effet, le banquier ne peut alors refuser de fournir les renseignements demandés (art. 47 ch. 4 de la loi sur les banques). Par conséquent, si le jugement des cas de soustraction d’impôt relevait des tribunaux pénaux ordinaires, le secret bancaire serait entièrement levé, ce qui aurait des répercussions sur le plan de l’entraide juridique internationale en matière pénale: la Suisse se trouverait en effet tôt ou tard dans l’obligation de garantir aux autres pays une assistance juridique et administrative pleine et entière en matière fiscale. Il n’est dès lors pas à exclure que la levée systématique du secret bancaire qui en découlerait ait des effets négatifs sur l’attrait de la place financière suisse, en particulier pour ce qui est de la gestion des fortunes privées».68

Deuxièmement, les appareils fiscaux sont sous-développés en Suisse. C’est le cas des services cantonaux qui constituent un rouage essentiel dans la lutte contre la fraude puisqu’ils prélèvent les impôts cantonaux sur le revenu et la fortune et encaissent les impôts fédéraux. Ces services disposent d’effectifs largement insuffisants et pas assez qualifiés. Ainsi, dans le canton de Vaud, qui ne figure pas parmi les plus laxistes, au début des années 1990, la probabilité d’une société de subir un contrôle fiscal au cours de l’année était de …0,3%.69 Le Conseil fédéral admettait d’ailleurs lui-même, toujours en mars 1998, que «de nombreuses administrations fiscales cantonales ne sont pas suffisamment dotées en personnel».70

Dumping fiscal intercantonal

En outre, en raison du fédéralisme et de la concurrence fiscale intercantonale qu’il entraîne, les appareils fiscaux des cantons ne collaborent guère entre eux. Soulignant la faiblesse insigne des services cantonaux de contrôle fiscal, le journal économique Cash constatait en août 1995 que les cantons «ne sont que peu intéressés à poursuivre sérieusement les fraudeurs fiscaux. L’une des raisons de cet état de fait réside dans l’effort des cantons de s’enlever mutuellement leurs riches contribuables grâce à un climat fiscal le plus tempéré possible».71 «Qu’est-ce que cela apporte d’avoir des condamnations pénales contre les industriels?»,72 interrogeait au même moment, comme en écho, le Chef des finances du canton de Genève justifiant la clémence du fisc genevois à l’égard des nantis.

La situation n’est pas meilleure sur le plan fédéral. La Division d’enquêtes fiscales spéciales à Berne, chargée du contrôle fiscal du prélèvement de trois impôts fédéraux aussi importants que l’impôt fédéral direct, l’impôt anticipé et les droits de timbre, comprenait le nombre dérisoire de quatre fonctionnaires en 1996 et celui, toujours extrêmement faible, de quinze aujourd’hui.73

Une comparaison, même grossière, permet de mieux prendre la mesure du degré d’efficacité — ou plutôt d’inefficacité — de la lutte contre la fraude fiscale en Suisse. En France, les contrôles effectués sur place par les services de contrôle fiscal ont permis de prononcer des redressements pour un montant équivalant à 0,68% du Produit intérieur brut de l’Hexagone en 1996.74 En Suisse, la Division mentionnée ci-dessus a prononcé des redressements fiscaux pour une somme de 130 millions de francs en tout entre 1995 et 1999.75

Sur la base de ce chiffre, et en partant d’hypothèses très prudentes, notamment que les services cantonaux de contrôle fiscal sont deux fois plus efficaces que la Division fédérale (ce qui est pour le moins douteux), on peut estimer que le montant total des redressements fiscaux prononcés sur le plan fédéral, cantonal et communal devrait atteindre près de 1,1 milliard de francs pour les années 1995-1999, ce qui correspond à 0,058% du Produit intérieur brut cumulé de la Suisse durant ces cinq années.76

La différence avec la France saute aux yeux, puisque ce taux serait de l’ordre de douze fois inférieur à celui obtenu en France. Il s’agit certes d’une estimation, mais elle confirme l’efficacité dérisoire de la lutte contre la fraude fiscale en Suisse. Aussi n’est-il pas étonnant qu’un cadre de l’Administration fédérale des contributions conclue qu’en Suisse «il n’y a aucune volonté politique de poursuivre ceux qui trichent avec leurs revenus et leur fortune».77 Conclusion partagée par un autre expert fiscal, soulignant qu’«en Suisse, il existe peu d’intérêt du côté politique à donner sérieusement la chasse aux délits fiscaux des riches firmes ou individus».78

Blanchiment de l’argent sale

La situation dans le domaine de la lutte contre le blanchiment de l’argent sale présente de troublantes similitudes. Certes, la Confédération a renforcé — seulement très récemment et principalement sous la pression venant de l’étranger, il faut le souligner— son dispositif légal en adoptant une série de mesures, dont la Loi sur le blanchiment d’argent entrée en vigueur le 1er avril 1998.79 Les milieux dirigeants helvétiques se retranchent d’ailleurs systématiquement derrière cette amélioration sur le plan légal lorsque des critiques leur sont adressées. «Les efforts législatifs accomplis par la Suisse ces dernières années sont considérables et reconnus par l’étranger»,80 argumentait, une fois de plus, le Conseil fédéral en septembre 2000 pour justifier son opposition à un postulat déposé par le groupe socialiste du Conseil national demandant l’amélioration du combat contre le blanchiment et la fraude fiscale. Quant à la Neue Zürcher Zeitung, elle publiait en novembre 2000 un article d’un ancien Directeur d’une des principales organisations patronales suisses qui allait jusqu’à prétendre qu’«aujourd’hui la Suisse dispose des mécanismes les plus efficaces au niveau mondial contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et d’autres agissements criminels».81

Cependant, même sur le plan légal, de très importantes lacunes demeurent, qui limitent fortement l’efficacité de la lutte contre le blanchiment. C’est la conclusion à laquelle parvient une étude très approfondie, terminée récemment: «Quant au délits de blanchiment et d’organisation criminelles, — écrit-elle — il semble que les normes [légales] correspondantes ne jouissent que d’une efficacité limitée».82 Et surtout, une fois encore, l’essentiel ne semble pas se situer sur le niveau légal mais pratique. Or, à ce niveau, comme dans le domaine fiscal, le fédéralisme, qui se traduit par la juxtaposition de vingt-six procédures cantonales différentes, entrave considérablement toute démarche concrète contre le blanchiment.83 A cela s’ajoute que les moyens sont très largement insuffisants: «Tous les services juridico-administratif souffrent […] du manque chronique de moyens en personnel et en compétences techniques. Ce manque est dû […] surtout à la sous-allocation de ressources qui dépendent directement des pouvoirs politiques», souligne l’étude précitée, qui précise que les «responsables politiques semblent se désintéresser de l’application réelle de ces normes [légales] puisque […] les moyens alloués aux organismes juridico-politiques ne leur permettent pas de remplir les missions qui leur sont confiées».84 Dès lors, l’étude tire une conclusion qui rappelle étrangement celle que l’on vient de voir à propos de la lutte contre la fraude fiscale: «l’inadéquation […] entre les volontés [du] législateur et les moyens qu’il met à disposition pour garantir le respect des normes qu’il crée […] est telle […] qu’on arrive à se demander si les normes édictées concernant les grands réseaux criminels ne sont volontairement que de la poudre aux yeux [sic] de la population».85

3.2. Justifications du secret bancaire: légendes et faits

Durant ces dernières décennies, les milieux d’affaires et les autorités fédérales ont avancé, pour l’essentiel, trois arguments afin de légitimer l’existence du secret bancaire. Premièrement, ils ont donné au secret bancaire une dimension héroïco-humanitaire, en lui fabriquant une origine mythique. Ce secret a été introduit en 1934, prétendaient-ils encore au milieu des années 1990, afin de protéger les avoirs que les Juifs persécutés par l’Allemagne nazie avaient mis et mettaient en sécurité en Suisse.

Dans le Nouveau manuel de la politique extérieure suisse, publié en 1992, l’ancien président de l’Union de Banques suisses écrivait que l’introduction du secret bancaire en 1934 «était un acte courageux […] qui se rapproche d’une activité humanitaire à l’égard d’une catégorie de personnes dont l’horrible malheur appartient aussi à l’histoire».86 Une brochure publiée par la Fondation Genève Place Financière répétait encore en 1995 que les dispositions relatives au secret bancaire avaient été instituées en 1934 afin de «s’opposer au régime nazi qui cherchait à pourchasser les biens notamment des israélites qui avaient confié leurs avoirs à des banques suisses».87 Cependant, durant la seconde moitié des années 1990, plusieurs études ont montré l’inanité de cette version en dévoilant les véritables raisons du renforcement du secret bancaire en 1934, telles qu’elles ont été présentées plus haut. Aussi l’argument héroïco-humanitaire ne peut-il plus être utilisé, en tout cas provisoirement.

Les milieux d’affaires et les autorités fédérales mettent donc d’autant plus de poids sur un deuxième argument: le secret bancaire, affirment-ils, relève de la protection de la sphère privée en constituant un instrument important au service de cette dernière. Toujours dans la brochure publiée en 1995 par la Fondation Genève Place Financière, on peut lire que «dans tout Etat démocratique, chacun a droit à la protection de la personnalité car elle représente l’une des garanties fondamentales de la liberté individuelle telle que reconnue par les droits de l’homme. L’obligation de discrétion du banquier garantit dans le domaine financier le droit au respect de la sphère privée».88 Le Chef du Service économique et financier du Département fédéral des affaires étrangères écrit quant à lui que «le secret bancaire en Suisse n’est pas une sorte d’institution off shore créée pour attirer de riches étrangers, mais le reflet de la conception que nous avons de la protection de la sphère privée».89

Cet argument appelle une première remarque. Les milieux qui le propagent ont une curieuse conception de la protection de la sphère privée et de la liberté individuelle. Ce sont en effet les mêmes qui ont mis en place et justifié l’espionnage et le fichage policiers systématiques de centaines de milliers de personnes résidant en Suisse (900 000 personnes étaient fichées à la fin des années 1980, sur une population totale d’à peine 7 millions d’habitants) parce qu’elles utilisaient leur liberté individuelle et leurs droits démocratiques pour militer, ou le plus souvent simplement pour appartenir ou être proches d’organisations de gauche, syndicales, féministes, écologistes ou encore anti-impérialistes.90 Les fonctionnaires fédéraux commis à cette tâche étaient environ 30 dans les années 198091: ce chiffre est à comparer aux 15 employés que compte en 2000 la Division d’enquêtes fiscales spéciales chargée, à Berne, de la lutte contre la fraude fiscale.

Ensuite, comme on l’a vu, le secret bancaire n’a rien à voir avec la protection de la sphère privée en général. Il vise à maintenir dans l’ombre, notamment à l’abri du regard du fisc, les activités des possédants, des détenteurs, suisses et étrangers, de capitaux ainsi que de leurs sociétés, bref des couches qui ont à la fois la possibilité de frauder et pour qui cela vaut la peine. En ce qui concerne l’immense majorité des salariés, ceux-ci reçoivent de leurs entreprises une fiche indiquant au centime près leurs gains annuels, fiche qu’ils doivent remettre, avec leur déclaration d’impôts, aux autorités fiscales. Cela implique d’une part que leurs revenus sont connus bien au-delà de leur sphère privée — par leurs employeurs, chefs du personnel, comptables ou secrétaires — et, d’autre part, que leurs possibilités de fraude sont quasiment nulles et ne portent que sur des montants très faibles.

A cela s’ajoute le fait que la sphère privée des contribuables est de toute façon protégée par le secret de fonction des employés du fisc. Si le secret bancaire était supprimé et si les contrôleurs fiscaux avaient le droit d’obtenir des renseignements bancaires afin de lutter contre la dissimulation d’impôts, il est évident que cela ne les autoriserait pas, étant soumis au secret de fonction, à diffuser les informations recueillies, de la même manière qu’il est interdit aux employés des assurances maladies de transmettre plus loin les nombreuses données, dont certaines confidentielles, que leur font parvenir les assurés.

Protéger le détournement de fonds

Enfin, répétons qu’une part très élevée — certains parlent de 50% ou 60%, d’autres de 80%92 — de la fortune étrangère confiée à la place financière suisse échappe au fisc des pays d’origine et/ou provient de responsables politiques corrompus, du crime organisé ou encore de régimes dictatoriaux du Tiers-Monde. Le secret bancaire helvétique contribue donc à protéger le produit d’une gigantesque spoliation commise aux dépens de millions de salariés, de paysans pauvres et de sans-travail. A ce propos, il est frappant de constater que les fonds pillés par le seul Général Sani Abacha, alors qu’il était le Président dictateur du Nigéria, et retrouvés dans les 19 banques suisses où ils avaient été déposés s’élevaient, à fin 1999, à 1040 millions de francs suisses au moins, une somme très proche du montant total que la Confédération a dépensé durant la même année au titre d’«aide au développement».93

En d’autres termes, le secret bancaire helvétique, comme d’ailleurs les secrets bancaires des autres pays qui connaissent cette pratique, servent, certes, à préserver la sphère privée des possédants, des exploiteurs et des oppresseurs, mais entraînent des conséquences dramatiques sur la sphère privée de millions d’exploités et d’opprimés, en matière de revenus, d’emploi, de droits sociaux, de droits démocratiques, de libertés individuelles, ou même de simple existence.94 Par conséquent, on peut admettre que le secret bancaire relève effectivement de la liberté de l’individu ou des droits de l’homme, à condition de préciser qu’il s’agit des droits de «l’homme riche, exploiteur et oppresseur».

Défendre l’emploi ?

Afin d’étayer le secret bancaire, les milieux d’affaires suisses et les autorités fédérales emploient une troisième tactique: ils peignent le diable sur la muraille. Mettant en avant qu’environ 120’000 personnes sont employées actuellement par les banques et les sociétés financières helvétiques, les cercles bancaires allèguent que l’essentiel de ces emplois serait menacé en cas de disparition du secret bancaire.95 Toute atteinte au secret bancaire, clame un banquier genevois, «serait une catastrophe pour la place financière, qui se paierait par des pertes massives d’emplois».96 L’économiste et journaliste Marian Stepczynski va jusqu’à parler de «survie même de notre industrie bancaire».97 A noter qu’il est pour le moins surprenant de voir certains pourfendeurs des banques helvétiques reprendre ce point de vue de façon non critique. Ainsi, Jean Ziegler écrit en février 2001 qu’ «en Suisse, 107’000 personnes travaillent dans le secteur bancaire. Pour la place financière helvétique, la suppression du secret […] aura donc, à terme, des conséquences dramatiques».98

Ce catastrophisme est fallacieux. En fait, la gestion de fortune ne génère que peu d’emplois. Sait-on, par exemple, que la BZ Bank du célèbre financier Martin Ebner, qui gère des dépôts pour un montant total de 46 milliards de francs à la fin de l’an 2000, emploie en tout et pour tout 20 personnes? 99 Procédons à un rapide calcul: il est estimé que les banquiers privés administrent actuellement environ 10% de la fortune gérée en Suisse.100 En 1999, ces banquiers employaient 3 400 personnes.01 Par déduction, on peut donc évaluer le nombre total de personnes que les banques helvétiques employaient dans le domaine de la gestion de fortune à 34 000 environ. Niklaus Blattner, alors Président de la direction générale de l’Association suisse des Banquiers, articule quant à lui le chiffre de 43 000 personnes occupées dans le domaine de la gestion de fortune.102 Comme il ne donne aucun renseignement sur la manière dont il parvient à son chiffre et qu’il souligne le caractère imprécis des données statistiques auxquelles il a eu accès,103 j’ai la faiblesse de trouver le mien tout aussi plausible.

Admettons donc que la vérité se situe au milieu des deux estimations et que le nombre des employés bancaires dans la gestion de fortune se monte à 38 500. Admettons ensuite que le secret bancaire soit démantelé et que, proportion peu plausible tant elle est élevée, la moitié des fonds soit retirée des établissements helvétiques et confiée à la gestion de banques étrangères. Cela signifierait qu’un petit peu plus de 19’000 emplois bancaires au maximum seraient supprimés dans la gestion de fortune en Suisse.

Dans un article consacré au secret bancaire suisse, deux journalistes du mensuel économique Bilan adoptent une hypothèse beaucoup plus basse et cependant plus vraisemblable que la mienne. En cas de suppression de ce secret, ils estiment que 50% des seuls fonds déposés par les étrangers et fraudant le fisc de leur pays d’origine pourraient quitter le refuge helvétique. 104 En ce qui me concerne, je suis parti de l’hypothèse que 75% de l’ensemble des fonds déposés par les étrangers et 25% des fonds confiés par les Suisses, soit au total environ la moitié de l’ensemble de la fortune administrée par les banques et les sociétés financières suisses, seraient susceptibles de délaisser le havre helvétique. Les deux journalistes étaient leur hypothèse sur un argument entièrement justifié: si les pressions exercées sur Berne devraient être suffisamment fortes pour l’obliger à abandonner le secret bancaire, il est hautement probable que ces pressions contraindraient les autres paradis fiscaux à en faire de même. Dès lors, concluent-ils, «peu de capitaux quitteront la Suisse car il n’y aura plus d’autre choix réel».105 Si l’on part de l’hypothèse des deux auteurs en question, on parvient au résultat qu’environ 8’000 emplois bancaires seraient supprimés dans la gestion de fortune en Suisse en cas de disparition du secret des banques.

Quel que soit le chiffre exact, on est très loin de la perte des quelque 100’000 emplois suggérée par les milieux bancaires. De plus, il faut souligner que ces emplois ne peuvent être considérés comme perdus qu’à partir d’une perspective étroite, nationaliste. En effet, d’un point de vue global, non chauvin, ces emplois ne devraient pas être regardés comme perdus puisqu’ils ne seraient pas détruits mais déplacés dans d’autres régions que la Suisse. Enfin, pour mieux apprécier le degré de sincérité des milieux bancaires lorsqu’ils se préoccupent de leurs employés, il faut rappeler que ces milieux ont eux-mêmes supprimé dans leurs établissements 8’000 emplois entre 1990 et 1999, soit en 9 ans seulement.106

3.3. Le secret bancaire suisse est-il condamné à disparaître dans un avenir peu lointain?

Tout pronostic sérieux sur l’avenir du secret bancaire helvétique est difficile à faire dans la mesure où il dépend de l’évolution de deux variables principales, conditionnées elles-mêmes par de multiples autres éléments. Les deux grandes variables sont respectivement le degré d’intensité des attaques, extérieures et intérieures, contre le secret bancaire, et l’ampleur de la résistance des milieux d’affaires helvétiques et de leurs représentants.

Commençons par analyser, très schématiquement, la première variable. La situation actuelle se caractérise d’un côté par la faiblesse des remises en causes du secret bancaire en Suisse même. Certes, quelques députés sociaux-démocrates s’agitent un peu, presque rituellement, mais le Parti socialiste, et encore moins les syndicats, ne semblent vouloir, dans un avenir proche en tout cas, engager une campagne large et de longue haleine contre le secret bancaire, semblable, par exemple, à celle qui a été et est encore menée, avec un certain succès, au Portugal.107

Strahm pour le secret bancaire

L’origine de cette passivité réside probablement dans le souvenir de la défaite enregistrée par l’initiative populaire du Parti socialiste demandant la limitation du secret bancaire, rejetée par 73% des votants en 1984. Mais elle se trouve sans doute encore davantage dans le tournant pris par de larges secteurs de la direction de la social-démocratie helvétique vers le social-libéralisme. Ne voit-on pas aujourd’hui le Conseiller national Rudolf Strahm, l’une des têtes pensantes du Parti socialiste, approuver le principe même du secret bancaire: celui-ci, déclare-t-il, «a une charge émotionnelle et historique très forte, et nous devrions conserver cette règle visant à la protection de la personnalité».108

En revanche, les pressions sur le secret bancaire helvétique venant de l’extérieur s’accentuent sensiblement depuis quelques années. Il faut souligner en particulier les efforts effectués par l’Union européenne pour tenter d’harmoniser en son sein ce qui est appelé l’imposition des revenus de l’épargne: Autrement dit, des efforts pour essayer d’harmoniser l’imposition des intérêts que les personnes physiques (mais pas les sociétés) résidant dans un pays membre de l’Union touchent sur les capitaux qu’ils ont placés sous forme d’obligations ou de dépôts bancaires (mais pas d’actions) dans un autre pays de l’Union, revenus qui ne sont pas imposés actuellement.

Secret bancaire condamné ?

Pour éviter que ces capitaux ne se soustraient aux mesures fiscales européennes en se réfugiant en Suisse, l’Union vient d’entreprendre des démarches en direction de Berne afin d’obtenir de la Confédération qu’elle accepte de fournir aux autorités étrangères des renseignements sur ce type de fonds placés en Suisse, ce qui reviendrait à lever en large partie le secret bancaire.109 A cela s’ajoutent les multiples critiques adressées par différents pays et instances étrangères aux autorités fédérales en raison de leur mollesse dans la lutte contre le blanchiment de l’argent sale.110

Malgré ces pressions, il est, à mon avis, beaucoup trop tôt pour annoncer, comme le fait Jean Ziegler dans le Monde Diplomatique de février 2001, «la mort programmée du secret bancaire suisse».111 Tout d’abord, un bref rappel historique incite à un peu plus de prudence. En effet, la situation actuelle n’est pas sans rappeler celle qu’on a connue au sortir de la Deuxième Guerre mondiale: à l’époque comme aujourd’hui, le secret bancaire helvétique a été remis en cause, non à l’intérieur du pays, mais par les puissances alliées occidentales, la Grande-Bretagne, la France et surtout les Etats-Unis.

Pour autant que je puisse en juger, leurs pressions n’étaient pas significativement moins fortes qu’actuellement, au contraire. En outre, les milieux dirigeants helvétiques se trouvaient particulièrement isolés face aux vainqueurs de la guerre. Or, ils se sont sortis de ce guêpier, comme je l’ai dit plus haut, sans atteinte majeure au secret bancaire. Leur victoire renvoyait notamment à deux facteurs: leurs adversaires étaient divisés par des intérêts contradictoires, qui les ont empêchés de présenter un solide front unique face aux négociateurs helvétiques. Par ailleurs, une partie importante des fonds déposés en Suisse et protégés par son secret bancaire était issue précisément de la fraude fiscale commise par des cercles appartenant aux milieux dirigeants des pays en question, surtout français. Leurs attaques étaient donc tout autant sinon davantage destinées, et pour cause, à calmer leur opinion publique intérieure qu’à obtenir réellement la levée du secret bancaire helvétique.112

Aujourd’hui, ces facteurs sont loin d’avoir disparus, même s’il est difficile de mesurer leur poids exact. Les différents membres de l’Union européenne sont toujours traversés par de fortes contradictions, de telle sorte qu’il n’est pas encore certain qu’ils réussissent à maintenir un front commun vis-à-vis de la Suisse, ni même qu’ils parviendront à une véritable harmonisation de l’imposition de l’épargne.113 Par ailleurs, une proportion très considérable, de l’ordre de 60% selon certaines estimations,114 des fonds étrangers placés en Suisse proviennent de l’Union européenne, c’est-à-dire pour l’essentiel de cercles reliés ou appartenant aux sphères dirigeantes des pays membres de l’Union européenne; au sein de ces cercles, beaucoup ont déposé leur argent en Suisse précisément pour échapper au fisc de leur pays d’origine. N’est-il pas permis de douter de leur volonté de mener un véritable combat pour obtenir la levée du secret bancaire helvétique? Enfin, les milieux bancaires et les autorités politiques des pays qui attaquent le paradis fiscal helvétique entretiennent ou tolèrent eux-mêmes des paradis fiscaux (les Caraïbes, entre autres, dans le cas des Etats-Unis; les îles anglo-normandes entre autres dans le cas de la Grande-Bretagne, etc.). Ce double jeu mine la légitimité de leurs démarches et favorise la résistance des milieux d’affaires suisses et des autorités fédérales.

Un label essentiel

L’ampleur de la résistance du côté helvétique: voilà la deuxième grande variable à prendre en compte. Celle-ci dépend de plusieurs aspects parmi lesquels l’évolution de la première variable, décrite ci-dessus, de même que le développement des rapports de force, dans une série de domaines, entre le capitalisme helvétique et les pays membres de l’Union ainsi que les Etats-Unis ne constituent pas les moins importants. Mais elle dépend aussi largement des deux facteurs suivants. Cela fait maintenant très longtemps que le secret bancaire helvétique a acquis une dimension éminemment symbolique qui va au-delà de son contenu juridique. Le secret bancaire, déclare le patron de la gestion de fortune à l’Union de Banques Suisses, «est une forme de pensée, une base culturelle qui conditionne et pose les bases essentielles du métier»; et cette base culturelle, précise-t-il «repose sur un postulat essentiel: mettre l’intérêt du client au centre de toutes les préoccupations».115 Autrement dit, le secret bancaire est devenu le label, la marque distinctive de la place financière helvétique, le message emblématique signifiant à sa clientèle, effective ou potentielle, qu’en Suisse comme nulle par ailleurs tout sera mis en oeuvre pour servir au mieux ses intérêts. Lorsque les Conseillers fédéraux Pascal Couchepin et Kaspar Villiger, la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national ainsi que les banquiers répètent que le secret bancaire helvétique «n’est pas négociable»116, c’est notamment cette dimension symbolique qu’ils refusent de brader. Sauf si le prix à payer pour ce refus est considéré, par les secteurs centraux du capitalisme suisse, la place financière en particulier, comme trop lourd.117

…qui pourrais perdre de l’importance

La question du prix à payer constitue précisément le second facteur à discuter. Cette question se ramène, pour l’essentiel, à celle de savoir si le secret bancaire reste aujourd’hui et restera demain un atout crucial pour attirer les capitaux en Suisse. En effet, si cet atout perd de sa valeur, il est clair que les milieux dirigeants seront moins disposés à payer un prix élevé pour le conserver et que leur résistance aux pressions sera moindre.

En conclusion de cet article, je vais donc discuter rapidement les trois principaux éléments qui peuvent exercer une influence sur l’importance relative du secret bancaire. Premièrement, la fortune institutionnelle mondiale, notamment celle des fonds de prévoyance vieillesse, a très fortement augmenté durant les dernières décennies et va vraisemblablement poursuivre sa croissance durant les prochaines, en raison des mesures néo-libérales tendant à la privatisation de cette prévoyance adoptées dans une série de pays. Par exemple, si les fonds de prévoyance vieillesse introduits en Allemagne en 1999 se développent à l’image de leurs homologues américains, ils généreront assez rapidement un volume d’investissement équivalant à environ 400 milliards de francs suisses.118 Or, il est généralement affirmé qu’aux yeux des acteurs institutionnels, le secret bancaire ne constitue pas, ou guère, un critère susceptible d’influencer leur choix de confier tout ou partie de leur fortune à telle ou telle banque. 119 Certes, mais il est possible d’objecter d’abord que cette affirmation mériterait d’être discutée. Si elle peut paraître plausible pour les caisses de pension, elle semble sensiblement moins vraisemblable pour les autres acteurs, les compagnies d’assurances par exemple.120 En outre et surtout, la fortune institutionnelle ne joue et continuera de ne jouer, selon toute probabilité, qu’un rôle relativement secondaire pour la place financière suisse. Selon des évaluations récentes, la part des fonds provenant de clients institutionnels étrangers dans le total des fonds gérés par les banques helvétiques ne se situe qu’entre 10% et 14%, contre plus de 40% pour la fortune des personnes privées étrangères.121 Si la fortune institutionnelle mondiale poursuit sa forte croissance, cela sera aussi et peut-être même davantage le cas de la fortune privée. Pour les prochaines années, le taux d’augmentation de cette dernière est estimé entre 10% et 12% par an.122 Cela signifie que la clientèle privée, en particulier étrangère, restera sans doute le pilier des activités de gestion de fortune de la place financière helvétique.

C’est précisément ici qu’intervient le deuxième élément. En effet, cette clientèle se modifie depuis la dernière décennie. Il y a augmentation massive des «nouveau riches», souvent jeunes et actifs professionnellement, alors que la clientèle traditionnelle est composée surtout de personnes âgées, appartenant à la vieille bourgeoisie et aristocratie et dont la fortune est donc patinée. Or, le comportement de ces nouveaux riches diffère de celui de la clientèle traditionnelle. Ils surveillent de plus près la gestion de leur fortune, prennent davantage de risques et, comme le relève une banque, ils «sont beaucoup plus préoccupés du rendement des investissements effectués que les anciens riches».123 Certains en tirent la conclusion que le secret bancaire va perdre de son importance. Ainsi, un expert affirme que ce nouveau type de «client orienté vers la rentabilité n’accordera pas autant d’importance au secret bancaire, parce que son objectif premier est la croissance du rendement et moins la protection de la sphère privée».124 Une telle affirmation me semble contestable pour trois raisons au moins. D’abord, si ces nouveaux riches sont encore plus avides de rendements élevés que les anciens, en toute bonne logique ils devraient tout autant voire davantage se soucier d’échapper à un fisc qui leur enlève le tiers, la moitié ou plus encore du produit de leur fortune.

Ensuite, la formation de nombreuses nouvelles fortunes n’entraîne qu’un déclin relatif du poids de la clientèle traditionnelle, déclin d’autant plus relatif que le patrimoine de cette dernière a également fortement augmenté durant la fin des années 1980 grâce aux politiques néo-libérales et à la hausse de la Bourse. Enfin, les nouveaux riches vont vieillir; leur comportement aujourd’hui axé sur la maximisation du rendement va, pour la plupart, céder la place aux soucis de créer une lignée dynastique et de transmettre l’héritage à la génération suivante, laquelle aura encore davantage à coeur d’assurer la pérennité du patrimoine, autant de facteurs qui remettront la question de l’imposition, et de son évitement, au centre des préoccupations.125 Bref, il ne faut pas oublier le truisme souligné par la société de consulting Arthur Andersen: «Quand les nouvelles fortunes grandissent, elles deviennent des vieilles fortunes».126

Un troisième et dernier élément pourrait tendre à relativiser l’importance du secret bancaire helvétique. Dans de nombreux pays, dans le sillage de la contre-réforme sociale et financière néo-libérale, les lois fiscales connaissent un processus permanent de révision depuis plusieurs années, diminuant les impôts sur les riches contribuables et les sociétés, notamment en introduisant de nouvelles échappatoires leur permettant d’éviter l’imposition en toute légalité.127 Aussi le recours à la fraude fiscale pourrait-il leur paraître moins intéressant et ainsi restreindre l’attraction exercée par le secret bancaire suisse. Il est extrêmement difficile d’apprécier la portée, voire la réalité, d’un tel phénomène. Peut-être son existence est-elle confirmée par l’importance que les banques helvétiques semblent accorder au développement de leurs affaires dites on-shore, autrement dit par le fait qu’elles semblent se préparer à gérer la fortune de leur clientèle étrangère en moins grande partie en Suisse et davantage dans le pays d’origine de cette clientèle?128 Mais peut-être cela ne fait-il que refléter la volonté des milieux bancaires helvétiques de faire face à la concurrence accrue dans le domaine de la gestion de fortune en se rapprochant physiquement de leur clientèle et en affrontant les banques étrangères sur leur terrain?

Quoi qu’il en soit, rien n’indique clairement, dans tout ce que nous venons de voir, que le secret bancaire suisse serait en train de se dévaloriser, en tout cas significativement. D’autant moins que la discussion qui vient d’être menée se base en très large partie sur de simples hypothèses ou sur le discours des acteurs, et non sur des faits établis. Or, parmi ceux-ci, l’un devrait retenir notre attention: en décembre 2000, l’une des plus grandes banques du monde, la Deutsche Bank, qui veut devenir l’un des leaders mondiaux de la gestion de fortune, a décidé de faire de ses succursales helvétiques le centre de cette activité car, a-t-elle précisé, notamment «avec son secret bancaire, la Suisse dispose […] d’atouts qui continueront à être très demandés dans l’avenir».129


  1. Je n’entre pas ici dans le débat, non négligeable, de savoir selon quels critères l’argent provenant de telle ou telle activité est classé, ou non, comme «argent sale». En quoi les revenus issus de l’exploitation abominable de dizaines de millions d’enfants, de la production et du commerce d’armes, de projets entraînant l’expulsion et la paupérisation massive de millions de personnes ou encore la destruction massive de l’environnement seraient-ils moins «sales» que les revenus issus de la prostitution, de la production et du commerce de drogues ou encore de la corruption simplement parce qu’ils proviennent d’activités définies comme légales par les milieux dirigeants, c’est-à-dire en large partie par ceux qui en profitent directement ou indirectement?
  2. Dans cet article, l’expression de fraude fiscale est employée pour désigner les opérations soustrayant de manière illicite des fonds au fisc; l’évasion fiscale regroupe, elle, les opérations qui utilisent, souvent en recourant à des spécialistes, les lacunes ou les échappatoires, voulues ou non, contenues dans la loi ou utilisées lors de son application afin de soustraire des fonds au fisc. Quoique de nature différente sur le plan juridique, elles reviennent donc au même sur le plan économique et social, de telle sorte que l’évasion fiscale doit être, en fait, assimilée à de la fraude; par exemple André Hofer, La fraude fiscale en Suisse, Genève, 1978, pp. 43-57.
  3. la Neue Zürcher Zeitung du 15 février 2001 et le Compte d’Etat de la Confédération suisse pour 1998, Berne, 1999, p. 255. L’impôt anticipé est un impôt prélevé à la source par les banques pour le compte du fisc sur le rendement (intérêts, dividendes) des titres suisses uniquement (autrement dit, il n’est pas prélevé sur les intérêts des obligations étrangères ou sur les dividendes d’actions étrangères détenues par des personnes ou sociétés établies en Suisse). Son taux actuel se monte à 35%. Les propriétaires peuvent se faire rembourser le montant prélevé pour autant qu’ils fassent connaître au fisc les titres pour lesquels ils demandent la restitution de l’impôt prélevé. Le produit de l’impôt anticipé résulte donc de la différence entre la somme encaissée par le fisc et celle qu’il doit rembourser. Les détenteurs de titres qui ne demandent pas le remboursement de l’impôt anticipé préfèrent donc renoncer aux 35% du rendement de leurs papiers-valeurs plutôt que de les annoncer aux autorités fiscales. On peut en conclure non seulement que la quasi totalité des capitaux placés dans ces titres échappe au fisc mais que les sources de revenus qui ont permis à ces capitaux de s’accumuler échappent aussi en large partie à l’imposition.
  4. Il s’agit de deux hypothèses: 1) la moitié du produit de l’impôt anticipé provient du rendement de titres dissimulés par des contribuables suisses; 2) le rendement de ces papiers se situe à 5%, c’est-à-dire à un niveau un peu supérieur au taux d’intérêt à long terme en Suisse durant ces années.
  5. Ces montants ont été calculés par moi sur la base des données fournies dans Thierry Godefroy, Bernard Laffargue, Les coûts du crime en France. Estimation monétaire des criminalités. Données pour 1988 à 1991, Paris, Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, 1995, pp. 52-60; Christophe Palle, Thierry Godefroy, Coûts du crime. Une estimation monétaire des délinquances 1992-1996, Paris, Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, 1998, pp. 79-95. A noter que le Syndicat national unifié des impôts donne, pour les montants fraudés en France, des chiffres sensiblement supérieurs à ceux établis par l’étude de 1998 et utilisés par moi (page 94 de cette l’étude de 1998).
  6. ATTAC, Les paradis fiscaux ou la finance sans lois, Paris, 2000, p. 7. A relever que pour la France, les montants mis en jeu par la consommation de drogues, le proxénétisme et le vol de voitures s’élèvent au total, selon les estimations les plus hautes pour 1996, à 63 milliards de francs français. Cette somme, qui donne un ordre de grandeur sur le volume d’argent sale en France, est à rapprocher du montant de l’ordre de 1’250 milliards de francs qui, selon les estimations, fraude les seuls impôts sur le revenu et la fortune dans l’Hexagone; Christophe Palle, Thierry Godefroy, Coûts du crime, op. cit., p. 111.
  7. Neue Zürcher Zeitung, 2 février 2001.
  8. Ibid., 22 avril 1999.
  9. Christophe Palle, Thierry Godefroy, Coûts du crime, op. cit., pp. 89 et 111.
  10. Michael Krätke, «Steuern sind zum Steuern da !», in Peter Albers et al. (Hrsg.), Sozialismus der Zukunft, Berlin, 1988, pp. 122-124 et 137; Thierry Godefroy, Bernard Laffargue, Les coûts du crime en France. Données 1984, 1985, 1986 et 1987, Paris, Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, 1989, p. 91.
  11. Cité dans L’Hebdo du 23 mars 2000, p. 51.
  12. Cité dans ibid., p. 54.
  13. Le Nouveau Quotidien du 20 juin 1995. Sur ce point, également Le Courrier du 25 octobre 1995 ainsi que la Neue Zürcher Zeitung du 2 nov.1998.
  14. L’allemand permet de mieux comprendre la différence entre les deux formes de fraude car la forme non considérée comme un délit est appelée «Steuerhinterziehung» (littéralement la soustraction d’impôt) alors que la forme délictueuse est désignée sous le nom de «Steuerbetrug» (littéralement la tromperie fiscale).
  15. Prise de position du Conseil fédéral, du 16 mars 1998, figurant sur le site Internet suivant: http://www.parlament.ch/afs/data.
  16. Sébastien Guex, L’argent de l’Etat. Parcours des finances publiques au XXe siècle, 1998, p. 125.
  17. Ibid.
  18. Cash du 25 août 1995.
  19. Cité dans le Nouveau Quotidien du 12 avril 1995.
  20. L’Hebdo, du 23 mars 2000, p. 56.
  21. Christophe Palle, Thierry Godefroy, Coûts du crime, op. cit., p. 82. Seuls les redressements prononcés à la suite d’un contrôle fiscal effectué sur place ont été pris en compte. Pour le Produit intérieur brut de la France en 1996, La Vie économique, décembre 1997.
  22. L’Hebdo du 23 mars 2000, p. 56.
  23. Je suis parti des hypothèses suivantes: 1) les redressements fiscaux opérés par la Division d’enquêtes portent uniquement sur l’impôt fédéral direct, l’impôt anticipé et les droits de timbre. Le produit cumulé de ces 3 impôts entre 1995 et 1999 se monte à 74’451 millions de francs. Les 130 millions en question équivalent donc à un taux de redressement de 0,175%. 2) J’ai admis que le taux de redressement sur le produit du reste des impôts fédéraux est le même alors qu’il est le double, soit 0,35%, pour le produit des impôts cantonaux et communaux, ce qui revient à admettre que le degré d’efficacité des services cantonaux de contrôle fiscal est deux fois plus élevé que celle de la Division fédérale. Selon cette méthode, le montant total des redressements pour les années 1995-1999 atteindrait 1086 millions de francs, soit 0,058% du Produit intérieur brut cumulé (1’870’450 millions de francs) de la Suisse durant ces cinq années.
  24. Cité dans L’Hebdo du 23 mars 2000, p. 56.
  25. Cité dans Cash du 25 août 1995.
  26. Sur ces dispositions, par exemple Référence, avril 2000, pp. 28-30 et 48-53.
  27. Prise de position du Conseil fédéral, du 25 septembre 2000, accessible sur le site Internet suivant: http://www.parlament.ch/afs/data. également, dans la Neue Zürcher Zeitung et Le Temps du 22 février 2001, les réactions en Suisse à la publication du Rapport d’information déposé par la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur les obstacles aux contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe – La Suisse (désigné généralement sous le nom de Rapport Montebourg, du nom du rapporteur de la mission), Paris, distribution le 21 fév. 2001.
  28. Neue Zürcher Zeitung du 20 novembre 2000 (souligné dans le texte).
  29. Nicolas Giannakopoulos, Pascal Auchlin, Criminalité organisée et corruption en Suisse. Aperçu et analyse des réseaux criminels agissant en Suisse durant la période 1986-1999, Genève, Département de sciences politiques de l’Université de Genève, janvier 2000, p. 153.
  30. ibid., pp. 118, 153-154 et 159-162.
  31. Ibid., pp. 168 et 172.
  32. Ibid., pp. 168-169.
  33. Philippe de Weck, «Le rôle de la Suisse comme place financière internationale», in Aloïs Riklin et al. (éd.), Nouveau manuel de la politique extérieure suisse, Berne/Stuttgart/Vienne, 1992, p. 878.
  34. Maurice Aubert, Le secret bancaire suisse, Genève, 1995, p. 2.
  35. Ibid.
  36. Jacques de Watteville, Le secret bancaire suisse face aux développements internationaux dans le domaine fiscal, Berne, manuscrit d’une conférence donnée en novembre 1999 à Lugano.
  37. Sur cet espionnage, Charles-André Udry, «L’empereur BUPO et son archipel» in Hans Ulrich Jost et al., Cent ans de police politique en Suisse 1889-1989, Lausanne, 1992, pp. 155-203; Gregor Sonderegger, Christian Dütschler, «Ein PUK-Bericht erschüttert die Schweiz. Der Fichenskandal» in Heinz Looser et al. (Hg.), Die Schweiz und ihre Skandale, Zürich, 1995, pp. 209-218.
  38. Charles-André Udry, «L’empereur BUPO et son archipel», op. cit., p. 161.
  39. par exemple Entreprise du 24 septembre 1999, Le Temps du 24 février 2001 et Jean Ziegler, «Mort programmée du secret bancaire suisse», Le Monde Diplomatique de février 2001, p. 12.
  40. la Neue Zürcher Zeitung du 5 septembre 2000 et le Compte d’Etat de la Confédération suisse pour 1999, Berne, 2000, p. 215.
  41. Jenny Kimmis, Ruth Mayne, Tax Havens. Releasing the hidden billions for poverty eradication, Oxford, Oxfam GB Policy Paper No 6, 2000.
  42. Tout savoir sur la Place financière de Genève, Genève, Fondation Genève Place Financière, 1998, pp. 6 et 14-15; Niklaus Blattner, alors Président de la direction générale de l’Association suisse des Banquiers, dans la Neue Zürcher Zeitung du 16 mai 2000.
  43. Cité dans Le Temps du 19 janvier 2001.
  44. Le Temps du 28 novembre 2000.
  45. Jean Ziegler, «Mort programmée du secret bancaire suisse», op. cit., p. 12.
  46. BZ Bank Aktiengesellschaft, Geschäftsbericht 2000, Wilen, 2001, pp. 3 et 6.
  47. Ivan Pictet, L’importance économique des banquiers privés, communiqué de presse du 18 janvier 2001 accessible sur Internet, http://www.swissprivatebankers.com.
  48. Banque nationale suisse, Les banques en Suisse 1999, Zürich, 2000, p. A211.
  49. la Neue Zürcher Zeitung du 16 mai 2000.
  50. Niklaus Blattner, Das vermögensverwaltungs-geschäft, op. cit., pp. 159-160.
  51. Bilan de septembre 2000, p. 37.
  52. Ibid.
  53. Banque nationale suisse, Les banques en Suisse 1999, Zürich, 2000, p. A211.
  54. Sur la campagne au Portugal, Bloco de Esquerda, Uma reforma fiscal global, moderna e exigente, Lisbonne, septembre 2000, ainsi que la Neue Zürcher Zeitung des 23-24 décembre 2000.
  55. Interview dans le Bulletin du Crédit Suisse, No 5, 1999, p. 17.
  56. la Neue Zürcher Zeitung du 28 novembre 200 et Le Temps des 28 novembre 2000 et 24 février 2001.
  57. La dernière critique en date étant le Rapport Montebourg, cité à la note 80, qui a été mis en distribution le 21 février 2001. Les délais de rédaction de cet article ne m’ont malheureusement pas permis de consulter ce Rapport.
  58. Jean Ziegler, «La mort programmée du secret bancaire suisse», op. cit., p. 12; également Bilan de septembre 2000, pp. 32-36.
  59. Linus von Castelmur, Schweizerisch-alliierte Finanzbeziehungen, op. cit.; Janick Schaufelbühl, Les relations économiques franco-suisses à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale (1944-1949), Lausanne, Mémoire de licence de l’Université de Lausanne, manuscrit, 2001.
  60. Jerry van Waterschoot, «Quelle harmonisation européenne?», Problèmes économiques, No 2.644, 15 décembre 1999, pp. 17-25 et The Economist du 10 février 2001, p. 32.
  61. la Neue Zürcher Zeitung du 19 janvier 2001.
  62. Propos rapportés par Le Temps, 4 septembre 1998.
  63. Le Temps des 21 juin, 29 juin, 4 juillet et 13 décembre 2000; la Neue Zürcher Zeitung des 21 juin, 25, 29 et 31 août 2000; Référence, déc 2000,p. 36.
  64. A ce propos, la Neue Zürcher Zeitung 28 nov 2000.
  65. Référence, décembre 2000, p. 47.
  66. par exemple Niklaus Blattner et al., Das Vermögensverwaltungsgeschäft, op. cit., p. 50.
  67. Parmi les principaux atouts dont bénéficient la Suisse et le Luxembourg par rapport à leurs concurrents pour attirer les fonds de placement, la Société de Banque Suisse mentionne «la discrétion et le secret bancaire»; Société de Banque Suisse, Le Mois, No 4, 1998, p. 41.
  68. la Neue Zürcher Zeitung des 5-6 décembre 1998 et la Süddeutsche Zeitung du 9 février 2001. A cela, on pourrait encore ajouter que les marges dégagées sur la gestion de la fortune institutionnelle semblent nettement inférieures à celles obtenues à partir de la fortune privée; la HandelsZeitung du 11 nov1998.
  69. Référence, décembre 2000, p. 46; Basler Zeitung du 2 août 1999.
  70. Citée dans le Financial Times du 31 octobre 1997; également Svend Ehlern, International Private Banking, op. cit., pp. 49-65; le Bulletin du Crédit Suisse, No 6, 2000, pp. 29-31; Le Temps des 6 décembre 2000 et 16 février 1999; The Economist du 28 mars 1998;
  71. Svend Ehlern, International Private Banking, op. cit., p. 59; The Banker de janvier 1998, pp. 55-56.
  72. Sur cette question, Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Nouveaux patrons, nouvelles dynasties, Paris, 1999, pp. 97-233.
  73. Citée dans Le Temps du 6 décembre 2000.
  74. Voir, par exemple, le programme de révision fiscale présenté par le Président des Etats-Unis fraîchement élu, George W. Bush; la Neue Zürcher Zeitung des 9, 17-18 et 24-25 février 2001.
  75. The Economist du 28 mars 1998, Bilan de septembre 2000, pp. 36-37 et Le Temps du 24 février 2001.
  76. Propos rapporté par la Neue Zürcher Zeitung des 9-10 décembre 2000 (souligné dans le texte).