Stand up and be counted


Stand up and be counted !


En 1999 et en 2000 sont sorties deux compilations de musique soul funk et jazz d’une époque révolutionnaire : celle du Black power aux Etats-Unis. D’une grande qualité, il est à espérer que ces deux disques seront suivis de nombreux autres, tant la musique noire-américaine des années soixante et septante regorge de chef d’œuvres artistiques et politiques.

Erik Grobet

Le 21 août 1971, à la prison de San Quentin, l’Etat de Californie exécutait George Lester Jackson, membre des Black Panthers. Bob Dylan dénoncera la même année cette exécution dans une magnifique chanson du nom du leader noir. Le destin de George Jackson n’a, malheureusement, rien d’extraordinaire. Dès la fin des années soixante, la répression des autorités fédérales états-uniennes s’est accentuée contre les mouvements noirs, et particulièrement contre le Parti des Black Panthers, créé en 1966 par Huey Newton et Bobby Seal. Ce parti, à la fois marxiste et de tendance «nationaliste noir», a marqué les années de grandes tensions qu’ont connu les Etats-Unis pendant deux décennies de 1960 à 1980. Dans la lignée de Malcom X, les Black Panthers, préconisaient l’auto-défense des noirs face aux crimes racistes et à la répression. Ces années de grandes turbulences ont évidemment eu une influence sur la musique et un courant de plus en plus large d’artistes noirs se sont engagés contre la «blaxploitation». Rapidement, des artistes très connus se sont politisés, comme Nina Simone, James Brown, Curtis Mayfield ou Marvin Gaye qui demandait, en 1971 lorsqu’il a sorti l’album «whats going on?»1, «comment puis-je continuer à chanter des chansons d’amour, quand le monde explose tout autour de moi?».


Les années soixante et septante ont été l’âge d’or du soul et du funk, fortement politisé, qui sera, au cours des années quatre-vingt, remplacé par un disco «fleur bleue» et sirupeux. Il faudra ensuite attendre l’arrivée du rap pour retrouver des revendications radicales dans la musique américaine noire. «Stand up and be counted»2 est une sorte de panorama musical de cette période qui habite encore aujourd’hui les esprits de nombreux activistes. Cette période qui a vu, un 4 avril 1968, Martin Luther King se faire assassiner, qui a vu Malcom X en appeler à la révolution mondiale3 quelques jours avant ce 21 février 1965 où il sera abattu a New-York en plein discours. C’est également au cours de ces années que les rues s’enflammaient aux Etats-Unis, que Melvin Van Peebles réalisa «Sweet Sweetback’s Baadassss Song» et que Tommie Smith et John Carlos levèrent leur poing lors de la remise de leurs médailles aux jeux olympiques de Mexico en octobre 1968.


Le premier volume de la compilation «Stand up and be counted» regroupe des chansons de 1967 à 1972, dont «I wish I knew how it would feel to be free» de Nina Simon qui a été chantée lors des obsèques de George Jackson. On trouve également «Blues for brother George Jackson» de Archie Shepp, «Mighty Mighty (Spade and Whitey)» de Curtis Mayfield, «Stand up and be Counted» des Flames ou encore «Say it loud – I’m black and I’m proud» de James Brown. Le second volume regroupe, quant à lui, des chansons de 1969 à 1975. Plus puissant musicalement, ce volume illustre bien l’évolution de la musique noire vers une forte radicalisation. Les titres «Are you really ready for black power ?» de Gary Byrd, «Why can’t people be colors too ?» des Whatnauts et «Fight the power» des Isley Brothers, sont sans équivoques quant à la volonté d’émancipation politique qui guide ces artistes. On retrouve évidemment James Brown avec «I don’t want nobody to give me nothing» qui, après avoir enregistré «Say it loud» en 1971, avait perdu son «public blanc».


Ces deux albums ont l’allure de manifestes et sont accompagnés de deux textes de James Maycock qui illustrent bien l’ambiance politique de l’époque et les créations artistiques qui l’accompagnaient. Toutes ces chansons ont par ailleurs, malheureusement, gardé aujour-d’hui toute leur pertinence, que l’on pense aux récents événements de Cincinnati, ou à tous les prisonniers politiques ayant été victimes de procès racistes comme Mumia Abu Jamal. C’est aussi cela qui fait la force de «Stand up and be counted», qui rappelle les longs et durs combats menés et qui appelle à les continuer. On peut espèrer au cours de cette année un volume 3 dans lequel on pourrait par exemple trouver «Revolution» de Nina Simone, «Don’t call me nigger whithey, don’t call me whitey nigger» de Sly and the Family Stone ou «What’s going on» de Marvin Gaye. Indéniablement, le réservoir de chansons de l’époque du Black power est énorme et mérite grandement d’être redécouvert !



  1. Marvin Gaye, «What’s going on», Motown record, 1971, 1986, 1998 (Motown 530 883-2).
  2. «Stand up and be counted – Soul, funk and jazz from a revolutionary era», Harmless recordings, vol.1, 1999 (HURTCD 020), vol.2, 2000 (HURTCD 028).
  3. Malcom X, «Ultimes discours», Paris, L’esprit Frappeur, n°67, 2000.