Mondialisation et conditions de travail en Chine

Mondialisation et conditions de travail en Chine

Depuis la conversion de ses dirigeants aux bienfaits de l’économie de marché et l’adhésion à l’OMC, la Chine, devenue «l’atelier du monde», poursuit à marche forcée son insertion dans le capitalisme mondial. Dans les industries à forte intensité de main-d’œuvre, les pays du Tiers-Monde se livrent à une féroce concurrence, zone asiatique contre Amérique centrale ou latine. La Chine se place en tête de cette course à la dégradation des conditions de travail. A tel point qu’elle réussit le tour de force de connaître une phase d’expansion rapide couplée à une stagnation des salaires, voire carrément à une baisse!


Dans une enquête fouillée, malgré la difficulté à trouver des données fiables, Anita Chan explique que «si l’on considère les salaires chinois dans leur ensemble, les salaires dans les industries destinées à l’exportation n’ont pas augmenté depuis l’intégration de la Chine à l’économie mondiale. A Canton et Shenzhen, les deux villes où les salaires sont les plus élevés et où la présence des investisseurs étrangers a été autorisée plus tôt qu’ailleurs, le salaire minimum exprimé en pourcentage du salaire moyen est le plus bas (moins de 30%). (…) plus une région devient riche, plus elle aura tendance à ne pas respecter les lois nationales sur le travail dans l’espoir de préserver son attrait aux yeux des investisseurs étrangers.»1

Le salaire minimum contourné

Même si les autorités chinoises avaient la volonté de protéger réellement les bas salaires (on peut toujours rêver…), il leur serait bien difficile d’y arriver. Le salaire minimum est en effet différencié par régions et zones. Il y a donc des centaines de salaires minimaux, qui ne correspondent plus qu’au salaire que les patrons déclarent verser à leurs employé-e-s. Pour les travailleurs et les travailleuses à la chaîne, il est très rare de toucher un salaire supérieur au salaire minimum. On note par ailleurs que les critères de définition du salaire minimal n’ont été respecté que la première année de son introduction (1993). Depuis lors, dans la plupart des localités, le salaire minimum n’atteint pas le seuil légal de 40% du salaire moyen.

Heures sup’ et arriérés de salaire

A ce premier constat peu réjouissant, s’ajoute le fait que les heures supplémentaires illégales ne sont pas payées, alors que, comme c’est le cas dans l’industrie de la chaussure, les horaires peuvent aller jusqu’à 80 heures hebdomadaires. Les patrons du lieu étant atteints de ce qu’un journal chinois appelle une «maladie incurable», à savoir la rétention des salaires, les sommes effectivement touchées par les salarié(e)s chinois sont bien en dessous des chiffres officiels. Dans la fameuse région expérimentale de Shenzhen (la ZES, zone économique spéciale), sur les 51000 plaintes déposées en 2001, 43% concernaient des salaires non versés.


Cette pression sur les salaires ne joue pas seulement contre les travailleurs et travailleuses chinois ou leurs «concurrents» locaux, au Vietnam et en Thaïlande, mais aussi contre les salarié(e)s mexicains des branches similaires. Dans les usines de la confection (où la concurrence chinoise est la plus aiguë), le Bureau international du Travail estime que les ouvriers mexicains ont perdus 28% de leur pouvoir d’achat entre 1994 et 1999.

Apartheid à la chinoise

S’il fallait une preuve supplémentaire de la participation de la bureaucratie chinoise à cette surexploitation des travailleurs et des travailleuses, on la trouverait dans le maintien et la transformation du système du hukou. Après la Révolution, ce permis de résidence avait été introduit pour faciliter la distribution de tickets de rationnement et contrôler les flux migratoires. Aujourd’hui ce système permet de forcer les masses de travailleurs migrants à accepter des conditions de travail détestables. Ces masses (les estimations varient entre 80 à 150 millions de personnes) forment la «population flottante», composée d’anciens ouvriers, hommes et femmes, des usines d’Etat en faillite, et de membres de familles de la petite paysannerie. Résidants temporaires, ils se voient privés de droit sociaux élémentaires (allocations de logement, allocations de chômage, accès aux soins médicaux).


Suivons un jeune homme quittant sa campagne pour trouver du travail en ville. Avant même d’y arriver, il aura déjà dépensé 305 yuan en permis et certificats divers (permis de quitter sa région, carte d’identité, certificat de célibat, certificat prouvant qu’il n’est pas né hors quota du planning familial). Le salaire minimal à Shenzhen est de 547 yuan par mois. Notre novice a peu de chance de trouver un emploi à ce tarif. Arrivé à l’usine susceptible de l’embaucher, il devra déposer une caution de 300 yuan en échange d’un poste; il lui faudra aussi un permis de travail (40 yuan) et un permis de résidence temporaire (hukou, 300 yuan). Avant d’avoir touché son premier salaire, ce jeune homme aura donc dépensé l’équivalent de près de deux mois de salaire minimal, à quoi s’ajoutent les frais de transport…


L’endettement des travailleurs migrants est donc la règle. Selon les statistiques officielles, les 3 ou 4 millions de travailleurs migrants de la ZES de Shenzhen dépensent annuellement 600 yuan pour ces certificats. Ils doivent les avoir constamment sur eux, sinon ils risquent la prison en cas de contrôle policier. Autre joyeuseté patronale: la retenue d’une partie du salaire pour «fidéliser» leur personnel. A qui certains entrepreneurs n’hésitent pas à confisquer purement et simplement leurs papiers. Les dortoirs étant situé sur le site de l’usine, le contrôle de cette main-d’œuvre est ainsi total. Une discipline martiale – il n’est pas rare de voir les ouvriers se rendre à la cantine ou au dortoir au pas cadencé – n’évite en rien les accidents du travail et les problèmes de sécurité. Les doigts ou les membres sectionnés sont chose courante. La ZES de Shenzhen dénombrait plus de 10000 accidents du travail en 1999.

Flicage et corruption

Le maintien d’un tel système n’est possible que grâce à une répression sévère doublée d’un haut niveau de corruption. Le tableau est tout à la fois banal et révoltant: arrestations arbitraires, amendes, violences dans les commissariats, trafic de faux papiers, etc. L’exemple donné par la police est tel que même les comités de quartier, qui n’ont pourtant pas de droit de détention, arrêtent les migrants pour encaisser le paiement des cautions. Un racket si étendu que le gouvernement de la province du Guangdong a voulu limiter les arrestations aux vagabonds et mendiants.


Comme conjointement le prix du permis de résidence avait été ramené à 5 yuan, la police et les autorités locales ont simplement inventés de nouvelles amendes pour maintenir leur niveau de ressources.


Ainsi que le constatait un personnage pourtant habitué au pire, le directeur des droits de l’homme (sic!) de Reebok Asie: «Qui respecte les lois sur le travail en Chine aujourd’hui? Personne. Si ces lois étaient respectées, les conditions de travail de millions de travailleurs seraient plus décentes. Mais plus que partout ailleurs où je travaille, ces lois sont bafouées.»


Dans ces conditions, on comprend que toute tentative d’organisation syndicale indépendante des travailleurs rende l’appareil d’Etat chinois extrêmement nerveux. La répression est alors sa seule réponse, comme dans le cas du mouvement de lutte des ouvriers de la région de Liaoyang.2 Cela aussi, c’est le coût de la mondialisation.


Daniel SÜRI

  1. Anita CHAN, «Les effets de la mondialisation sur les conditions de travail», Problèmes économiques, no 2819, 30.7.2003, Paris. La Documentation française. L’étude originale est parue dans le revue chinoise Perspectives économiques, n° 75, publiée à Hong Kong.
  2. Voir l’appel Libérez Yao Fuxin et Xiao Yunling! «Défendez les droits démocratique et du travail des travailleurs chinois!», Inprecor n° 482, mai-juin 2003. Sur la politique procapitaliste du PCC, on lira l’article de G. BUSTER, «Le Parti communiste chinois et la transition au capitalisme», Inprecor, n° 483, juillet 2003.