La perspective de Blocher au Conseil fédéral électrise le Capital

La perspective de Blocher au Conseil fédéral électrise le Capital

Notre ami Jo Lang, nouvel élu membre de l’Alternative socialiste verte (SGA) de Zoug, qui a rejoint la fraction des Verts au National, a diffusé le 7 décembre aux élu-e-s de la gauche du parlement, un appel à «tout faire pour barrer la route du Conseil fédéral à Blocher». Nous avons traduit ce texte dans la journée et il a fait partie des documents qui ont été alimenté le débat de la Coordination élargie de solidaritéS qui a arrêté notre position sur la question. S’il ne nous a pas convaincus de voter Metzler, il nous semble utile de le faire connaître à nos lecteur-trices. La version intégrale du texte est sur www.solidarites.ch (pv)


[…] Le but que le Capital suisse – du moins les secteurs qui en fixent la ligne – s’est donné est connu, depuis 1995 au moins, date du «livre blanc» de De Pury & Co1. Il annonçait une gigantesque redistribution, d’en bas vers en haut, entre autres par des baisses massives de salaire, le démontage des services publics, de l’AVS et de l’assurance chômage, une large dérégulation du marché du travail, mais aussi du secteur de l’énergie et de la protection de l’environnement, avec des cadeaux fiscaux aux riches et aux entreprises d’un côté, avec des mesures d’économies au détriment de tous les autres. Malgré un certain succès, par exemple à travers le raccourcissement de l’indemnisation des chômeurs-euses, le bilan est dégrisant pour les auteurs (exclusivement masculins) du livre blanc.


Ainsi, ils ont dû tout récemment prendre en compte que les syndicats ont réussi, en un temps record, à récolter 80000 signatures contre la XIe révision de l’AVS, ainsi que le fait que Pascal Couchepin, avec ses propositions d’élévation de l’âge de la retraite, est devenu le conseiller fédéral le plus impopulaire. Qui plus est, ils ont à craindre que leur paquet fiscal échoue dans les urnes, face à la double opposition de gauche et des cantons. La mobilisation couronnée de succès des travailleurs du bâtiment pour la retraite à 60 ans leur a également donné à réfléchir. […] Au vu de cette situation, il n’est pas surprenant que la «perspective d’une majorité de la droite bourgeoise» ait «électrisé» les milieux économiques, comme l’a écrit la Handelszeitung du 3 décembre. […]


Les capitaines de l’économie, comme economiesuisse, prennent leur distance avec l’«ouverture» politique de la Suisse, afin de privilégier la réalisation de leur objectif immédiat en capitalisant et utilisant un potentiel populiste, que ni radicaux ni PDC ne peuvent mettre à leur service. Ce virage rapide vers l’UDC s’explique par un fait révèlant crûment l’une des faiblesses principales de la gauche: chez les électeurs-trices et les ménages à moins de 3000 Fr. de revenu, donc parmi les principales victimes des baisses de salaires et du démontage social, l’UDC fait 37% des voix. Le PSS, par contre, ne remporte que 12% des voix du côté des défavorisés, ou pour être précis, du côté de celles-ceux d’entre eux qui ont le droit de vote.


Le calcul politique à la droite du camp bourgeois est visible: à travers une mise en avant agressive et systématique du national, mettre le social – comme l’écologie – sous pression. La décision du parlement, à forte valeur symbolique, d’inscrire le secret bancaire (et donc la fraude fiscale) dans la Constitution, ce qui constitue un affront à l’UE et au reste du monde, illustre le virage nationaliste de l’élite économique qui, jusqu’ici faisait la fine bouche, d’un point de vue globaliste, face à l’UDC. […]


La question qui se pose le 10 décembre, en tous cas depuis le coming out des milieux économiques dominants, n’est plus de savoir si à gauche on peut voter pour une Ruth Metzler (malgré ses positions en matière de LPP) ou un Joseph Deiss (malgré sa politique économique). Elle est de savoir si on veut freiner ou favoriser la dangereuse synergie entre puissance économique néolibérale, pouvoir fédéral néoconservateur et force de mobilisation du populisme de droite. La position selon laquelle la gauche n’aurait pas à choisir entre EMS-Chemie et Price Waterhouse2, fait abstraction du fait que Blocher peut offrir au Capital, en matière de démantèlement social, écologique et des libertés, quelque chose que Metzler n’a pas: une base de masse capable de porter initiatives et référendums. Si quelqu’un était tenté, par son abstention, de favoriser l’élection de Blocher, afin d’ouvrir le chemin à un passage du PSS dans l’opposition, il-elle devrait en tout cas se demander s’il est crédible de servir ce but par une bataille interne à la gauche, si on n’a pas tout fait au préalable pour barrer la route à un Blocher conseiller fédéral et par là à un Conseil fédéral blochérisé. […]


La droite helvétique, a vite compris que les conditions de la politique fédérale qui ont prévalu jusqu’ici appartiennent au passé. Nous aussi, à gauche, devons fondamentalement repenser nos perspectives et dynamiser notre pratique, si nous voulons défendre et développer les acquis sociaux, écologiques, comme en matière de libertés publiques et de solidarité. Nous pourrons le faire au mieux si nous barrons la route à un Blocher au Conseil fédéral…


Jo LANG

  1. Ayons le courage d’un nouveau départ: un programme pour la relance politique économique de la Suisse, De Pury D. [et al.], Zurich, Orell Füssli, 1995
  2. Metzler a fait carrière avant son élection dans cette officine.