Printemps 2004: saison de la revanche et du combat!

Printemps 2004: saison de la revanche et du combat!

Samedi 13 décembre, 15000 femmes en colère, venues de toute la Suisse, ont littéralement envahi les rues de Berne. Slogans, sifflets, huées, bruits de casserole et de tambours: les femmes, jeunes et moins jeunes, n’ont pas lésiné sur les moyens pour crier haut et fort que la Suisse «officielle» leur fait honte, mais qu’elles ne se laisseront pas faire. Elles ont protesté sur tous les tons contre ce gouvernement «de machos, de réacs, de racistes» qui chassent les femmes pour imposer leur politique antiféministe, xénophobe, et antisociale.


Venues à l’appel d’une trentaine d’organisations féministes, de la marche mondiale des femmes, des syndicats, du PS et des Verts, les femmes ont affirmé leur volonté de ne pas en rester là. Les oratrices – très applaudies – ont largement insisté sur le fait qu’en 2004 il faudra se donner les moyens de gagner les votations contre le paquet fiscal, contre la 11ème révision de l’AVS, pour l’assurance maternité. Elles ont aussi appelé toutes les femmes à se solidariser pour empêcher la mise en œuvre des mesures discriminatoires et xénophobes que le gouvernement veut appliquer aux immigré-e-s et aux réfugié-e-s. Devant une foule dense et déterminée, sur une place qui débordait sur toutes les rues, les organisatrices ont insisté sur le fait que cette fois il ne suffit pas de protester en manifestant une fois: «nous continuerons notre lutte, nous redescendrons dans la rue tant et aussi souvent qu’il le faut.»


Ce 10 décembre 2004, quelque chose a changé dans la conscience de milliers de femmes, en particulier chez les jeunes, très nombreuses à s’être déplacées à Berne: «L’égalité est piétinée», «Le Parlement a élu un gouvernement de machos, de papis, de vieux riches», «Ce Conseil fédéral ne nous représente pas, comment peuvent-ils parler de concordance?» Et la colère de ces milliers de femmes ne pourra être que renforcée par les propos arrogants de Pascal Couchepin commentant cette manifestation ainsi: «La démocratie ne peut pas servir tout le monde, […] le Conseil fédéral a été élu démocratiquement. C’est la règle du jeu». Là réside bien une partie du problème: l’élection du Conseil fédéral par un Parlement où les socialistes, dans le souci de placer à leur tour «leurs» candidats, se donnent le mot d’ordre de voter pour un Pascal Couchepin, alors que les femmes, les syndicats et toute la gauche le combattent depuis des mois pour les positions insoutenables qu’il défend notamment sur l’AVS. Cette année, ce mode d’élection du Conseil fédéral a produit un résultat tellement caricatural qu’il apparaît au grand jour que cette «règle du jeu» ne peut servir que les plus forts. Il est évident que Micheline Calmy-Rey, la seule femme élue dans ce Conseil fédéral de la concordance (!), ne pourra rien faire pour les femmes. Les départements décisifs pour leur quotidien sont aux mains de Merz (Finances), de Blocher (Justice et Police) et de Couchepin (Affaires sociales). La socialiste aux Affaires étrangères pourra tout au plus maquiller un peu l’image de cette Suisse officielle, sortie de l’urne parlementaire sous ses plus beaux atours xénophobes et ultralibéraux.


C’est une évidence: il n’y a rien de bon à attendre de ce gouvernement et les socialistes seraient bien inspirés de s’en distancer au plus vite et d’aider – enfin! – à construire une opposition digne de ce nom avec toutes les forces syndicales, féministes, écologistes et solidaires qui se mobilisent pour une autre Suisse, un autre monde.


En cautionnant depuis de nombreuses années la politique néolibérale d’un gouvernement de droite, sous prétexte de «sauver les meubles», le parti socialiste a rendu en fait plus difficile les conditions pour qu’émerge une résistance aux différentes facettes de cette politique et à même de modifier les rapports de forces, dans la rue, sur les lieux de travail et au niveau parlementaire. La gauche de gouvernement, incapable de défendre une alternative crédible sur le plan social notamment, a ainsi laissé le terrain de la défense des «petites gens», en particulier des retraité-e-s, à une UDC populiste surfant sur les peurs, les frustrations et les mécontentements existants. Le résultat des élections nationales de cet automne a été le reflet de cette situation.


Aujourd’hui la rue réagit, et c’est tant mieux! Samedi 13 décembre, les femmes l’ont clamé sur tous les tons, ce n’est pas ainsi qu’elles comprennent la démocratie, n’en déplaise à Couchepin: «Wir lassen uns weder wegBlochern noch ausMerzen» («nous ne nous laisserons ni balayer, ni éliminer»).


Décembre 2003 a été un mois noir pour la cause des femmes. Qu’à cela ne tienne, le printemps 2004 sera celui de la revanche et du combat. Toutes encouragées de s’être spontanément rendues si nombreuses à Berne pour montrer qu’il ne suffit pas de les évincer du gouvernement pour les rendre muettes, les femmes se sont promis d’organiser une journée de grève nationale à l’occasion de la journée internationale des femmes, le 8 mars 2004.


Marianne EBEL