Le mauvais arbre porte de mauvais fruits


«…le mauvais arbre porte de mauvais fruits.»


«Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits doit être coupé et jeté au feu.»


Jésus Christ dans le Sermon sur la montagne


«J’ai redouté un court instant d’être confronté à une version moderne du Sermon sur la montagne»


Christiane Brunner, présidente du PSS, le 10 mai 2001


Le landerneau politique suisse était en émoi la semaine passée. Un quarteron de sociaux-démocrates1, membres du PSS, lançaient sous le feu des projecteurs médiatiques, un manifeste dit du «Gurten», soi-disant «provocateur» dans lequel, la vulgate blairienne – ou tatchérienne, comme on voudra – est exposée en dix versets d’un ou deux paragraphes.

par Pierre Vanek

On y «apprend» que le PSS n’est plus «le parti des travailleuses et travailleurs» mais qu’il est «tout autant le parti des personnes salariées que celui des entrepreneurs qui pensent socialement…» (1), que «Le PS serait bien inspiré de ne pas s’engager dans toute démarche référendaire (…) émanant de groupes d’activistes qui lui sont proches à un titre ou à un autre.» et qu’il «ne peut pas faire non plus siennes toutes les exigences particulières des organisations de protection de l’environnement, des syndicats, de la fonction publique ou d’autres groupes bien organisés.» (2).2


On y lit l’éloge d’un parti «rallié à la concordance» mais qui peut faire mieux pour mener «un travail politique complexe» et éviter un discours «tout en noir et blanc» qui «ne parvient pas à convaincre»3. On nous dit que «…dans la politique sociale ou dans celle à l’égard des personnes étrangères le PS doit et peut trouver des partenaires de coalition». (3)


Moins d’Etat


On y attaque l’«activité étatique» et sa «dynamique visant à défendre ses intérêts propres». On y déplore que les «efforts d’économie» louables soient «assimilés à un démantèlement social». Il faudrait «limiter la charge fiscale et réduire l’endettement de l’Etat» et miser avant tout sur «une bonne complémentarité entre le marché et l’Etat» et ne pas croire que les «solutions plus équitables et plus sociales» sont à chercher du côté de ce dernier. (4)


On reconnaît qu’«un réseau social dense assuré par l’Etat présente des avantages». Mais on souligne que «le PS en a sous-estimé les effets négatifs.» En effet l’Etat providence «conduit à la paralysie de la responsabilité individuelle». Au chapitre de la politique sociale il faut «mettre en oeuvre des incitations qui récompensent la disposition individuelle à entreprendre…» (5)


Moins d’étrangers, plus de marché


Au chapitre de l’immigration on fait assez fort dans la xénophobie en déplorant «la croissance continue de la proportion de personnes étrangères dans la population résidante, s’élevant aujourd’hui à 20% …» qui aurait conduit «à la saturation des capacités d’intégration…». Le remède est classique …et ouvertement raciste: «le nombre des personnes entrant chez nous en provenance de pays non membres de l’UE doit être limité.» (6)


En matière de santé il faut réduire les prestations, plutôt que de se préoccuper des modes de financement (7) «Le PS est trop confiant face à l’Etat et trop sceptique à l’égard du marché» lit-on encore. C’est par le marché et le «renforcement massif» des consom-mateurs/trices que ceux-ci «assumeront pleinement leur rôle moteur en faveur d’une économie sociale, écologique et innovante» et contribueront à «l’aboutissement de demandes importantes du PS, telles la bonne qualité de produits et des services…» (8)


Vive la mondialisation


Bien entendu ces braves gens chantent les louanges de la mondialisation capitaliste, dire qu’elle serait «un mal à rejeter» relève d’une «attitude sans nuances» alors que «nous sommes toutes et tous les profiteurs de la globalisation» (9) Enfin et évidemment, vient le couplet sur les services publics: lutter pour la défense du statut du personnel, pour le maintien des entreprises publiques et contre la libéralisation «accroît la charge outre mesure et c’est l’entier de l’édifice qui est mis en péril». Il faut au contraire «aborder avec pragmatisme» la délégation au privé de tâches de «service au public» et «partout où la concurrence est possible» soutenir cette dernière… (10)


Rien de nouveau sous le soleil


Ce salmigondis néolibéral, n’a rien de bien nouveau, ni de bien «provoquant». Il constitue le programme réel appliqué quotidiennement aux quatre coins du continent, par des élu-e-s sociaux-démocrates comme par le Conseiller fédéral Moritz Leuenberger, dans son programme de démontage du service public (Poste, CFF, etc) Il reflète fidèlement l’argumentaire de primat du marché qui a conduit l’essentiel du groupe socialiste aux Chambres à voter la Loi sur le marché de l’électricité (LME) contre laquelle nous nous sommes mis en campagne avec notre référendum… Ce qui est intéressant, c’est que ces néo-sociaux-démocrates, qui osent proclamer que le roi PSS est nu et qui exigent pour le surplus qu’on lui arrache les derniers lambeaux de phraséologie socialisante, pour habiller publiquement leur parti du prêt-à-porter issu du supermarché néolibéral ont bénéficié pour leur prestation publique d’un appui symbolique et politique plein et entier des sommets du PSS.


Brunner au front


Sa présidente, Christiane Brunner avait en effet fait le déplacement exprès de Genève pour remercier les auteurs de l’opération qui impulserait «une nouvelle dynamique de débat qui animera le parti socialiste», dont elle rappellera au passage son statut de «parti de gouvernement, garant de la cohésion fédérale»4 Elle soulignera que le Manifeste du Gurten «s’appuie sur le socle de valeurs communes» que partagent les «socialistes,


sociaux-démocrates ou travaillistes.» qui viennent de se réunir à Berlin dans le cadre du «congrès des partis socialistes européens» et avec lesquels elle est allée communier, etc. Présent également à la conférence de presse du Gurten on avait Reto Gamma, nouveau secrétaire général du PSS, qui «observait la scène» selon ce que rapporte le TagesAnzeiger. Naturellement, un certain nombre de membres du PS sont montés au créneau médiatique pour critiquer l’opération. «Le manifeste du Gurten reflète une ligne politique intermédiaire entre celles de Pascal Couchepin et de Christophe Blocher» a déclaré le Conseiller national Pierre-Yves Maillard, en annonçant que «les gens à la base du PS vont être effarés». Sur la caractérisation de la ligne, il a raison, mais il aurait pu dire aussi que ce texte représente également fort bien la ligne du conseiller fédéral du PSS Moritz Leuenberger et que la capacité d’«effarement» de la base du PS a déjà été bien mise à contribution, sans qu’il en ait découlé des perspectives politiques de rupture avec cette ligne, non seulement sur le plan des déclarations, mais en termes politiques et organisationnels.


Débat ou rupture ?


En effet, avec cette ligne là – à 100% bourgeoise – il n’y a pas un «débat» interne à mener, celui que Christiane Brunner appelle fort habillement de ses voeux, mais bien un combat à entreprendre, qui s’identifie avec la résistance au rouleau compresseur néolibéral et à la bataille sociale et politique contre ses représentant-e-s.5 Notre ami Maillard considère que la présence à la Conférence de presse du Gurten de Christiane Brunner aurait été un «couac». Mais n’est-ce pas Christiane Brunner qui est cohérente, s’il faut considérer qu’avec ces positions là on doit débattre – en famille – et non rompre, alors sa présence se justifie largement. Si Pierre-Yves Maillard et ses camarades de gauche du PS pensent qu’il n’ont pas à mener ce «débat», avec des positions qui sont largement dominantes dans la politique réel du PSS, mais qu’il faut rompre avec celles-ci: alors ils devraient plutôt se poser la question …d’une rupture avec le PSS et de la reconstruction d’une gauche de la gauche, ou plus simplement d’une gauche à peu près conséquente, à l’extérieur de celui-ci. C’est la voie que nous avons choisi à solidaritéS (et sur le plan institutionnel dans le cadre du front constitué par l’ADG).


Un «couac» fonctionnel


Or Maillard relativise les «thèses» du Gurten en les traitant d’«agrégat de trois-quatre pages de slogans dogmatiques venus de nulle part». Venus de nulle part? Vraiment? Au contraire, on voit très bien d’où viennent ces slogans …et surtout où ils vont!6 Leur aspect «provocateur», annoncé et voulu par leurs auteurs, n’est-il d’ailleurs pas fonctionnel au maintien du Business as usual au sein du PSS. D’un côté, une majorité des membres pourra se donner bonne conscience et se considérer comme fort à gauche à peu de frais, puisqu’ils s’en distanceront, du moins dans cette forme «dogmatique», alors que la majorité des élu-e-s et des membres d’exécutifs du PS pourront poursuivre cette même politique, en l’habillant – au cas par cas – de manière un peu plus acceptable et en faisant appel dès les prochains consultations électorales dans le réservoir de cette brave «base du PSS» effarée, mais consentante à repartir pour un tour. Ainsi Christiane Brunner, loin d’avoir commis un «couac» n’a-t-elle pas agi au mieux des intérêts du parti qu’elle préside? La question mérite d’être posée…




  1. Simonetta Sommaruga, Henri Huber, Tobias Kaester, et Wolf Linder.
  2. On accède au Manifeste du Gurten en passant par le site internet du PSS www.sp-ps.ch (v. sous Actualités), les numéros entre ( ) se raportent au numéro du verset en question
  3. Il faudra expliquer à Christoph Blocher qu’il n’a aucune chance de convaincre quiconque, comme chacun sait!
  4. Les citations de C. Brunner sont tirées du texte de Mme Brunner disponible en accédant au site du PSS
  5. P-Y Maillard cité dans Le Temps du 11.5.01
  6. Peter Bodenmann cité dans la Tribune de Genève du 11.5.01 relativise lui aussi le manifeste du Gurten «C’est une farce» a-t-il conclu à ce sujet…