Anti-G8 à Genève, violences policières dénoncées

Anti-G8 à Genève, violences policières dénoncées

A l’occasion des événements du G8 à Genève s’est constituée la Permanence juridique G8, composée de juristes et de simples citoyen-ne-s, dans le but de défendre les droits fondamentaux des manifestant-e-s. La permanence s’est organisée sur la base de quatre principes, l’indépendance vis-à-vis des organisateurs et des autorités, la défense de tou-te-s les manifestant-e-s, quels que soient les actes qui leur sont reprochés, la neutralité vis-à-vis des parties et la confidentialité des témoignages. Elle a organisé des legal teams pour informer les manifestant-e-s de leurs droits et pour observer les faits. Elle a également recueilli les témoignages des personnes interpellées, arrêtées et des témoins et a organisé le suivi de leur défense et de leurs plaintes. Le 10 octobre, la permanence a publié son rapport1.

La permanence juridique a enregistré 63 cas de violences policières, qui ne représentent à ses yeux qu’une petite partie des violences commises. De nombreuses personnes ont préféré se taire ou ne connaissaient pas l’existence de la permanence. Compte tenu des armes potentiellement dangereuses engagées, le bilan des blessures est heureusement plutôt léger, à part le mollet d’un journaliste arraché par une grenade assourdissante.


Un des principes de l’Etat de droit moderne est le bannissement des châtiments corporels. La police est censée faire régner l’ordre, la justice doit infliger des sanctions lorsque des faits sont établis. Au besoin, la police est censée faire usage de violence proportionnée, si aucun autre moyen n’est à sa disposition. La permanence juridique dénonce des violences policières sortant de ce cadre dès le retour de la manifestation du 1er juin. Le journaliste grièvement blessé au mollet s’est vu tirer une grenade assourdissante à faible distance vers un barrage à Malagnou. On déplore également des matraquages et coups violents, des tirs de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc à courte distance, de menottes en plastique trop serrées, de mauvais traitement lors des détentions, etc.

Policiers masqués

En direct au téléjournal du 1er juin, la Conseillère d’Etat Micheline Spoerri dénonçait le centre culturel alternatif de L’Usine comme un «repère de casseurs». Ce même soir, une trentaine de policiers, masqués par des bandanas ou d’autres types de masques, investissait l’Usine. Rien ne les distinguait de manifestants, hormis un brassard orange peu visible marqué «police». Sans montrer de mandat et sans demander à entrer, les policiers se sont brutalement rués dans le centre, en faisant usage de matraques. Les personnes qui protégeaient l’entrée de l’Usine ne savaient pas à qui ils avaient affaire, policiers, manifestants ou autres. Un permanent de l’Usine a eu des plaies au cuir chevelu qui ont nécessité des points de suture. Plus tard, les observateurs parlementaires et quelques membres des legal teams ont pu entrer, mais les violences se sont passées sans témoins2.


Les policiers masqués ont également sévi le mardi 3 juin au soir, suite à l’interdiction de toute manifestation par le Conseil d’Etat. Le quartier de Plainpalais était quadrillé par des patrouilles qui matraquaient indistinctement, y compris des personnes qui cherchaient à rentrer chez elles.

Contingents policiers hors contrôle

De nombreux contingents sont venus renforcer la police genevoise lors des événements du G8, avec des policiers allemands, zurichois, fribourgeois et tessinois. Le mémorandum d’accord entre le Forum social lémanique, qui organisait la manifestation, et les autorités genevoises et fédérales stipulait que ces contingents étaient sous le haut commandement de la police genevoise et que ces autorités s’engageaient à faire respecter leur doctrine d’engagement. La permanence dénonce le non-respect de tous les observateurs (député-e-s, legal teams et Amnesty international) par la police allemande. Lors des heurts après la manifestation du 1er juin, les différentes unités manquaient visiblement d’un commandement central et ne savaient pas où se positionner par manque de connaissance du terrain, en l’absence de Genevois pour les guider. Les charges non coordonnées mettaient en danger les personnes qui cherchaient à se mettre en sécurité.


Certaines fois, les sommations n’ont pas été faites en français, langue de la plupart des manifestant-e-s, mais en allemand, voire en dialecte alémanique. Parfois même il n’y avait pas de sommation du tout. La permanence déplore un manque de communication de la police envers les manifestant-e-s, que ce soit pour des sommations ou l’indication d’itinéraires dégagés pour se rendre vers la gare ou au centre-ville après la manifestation du 1er juin.


Le 2 juin, les polices genevoise, zurichoise et allemande bloquaient 400 manifestant-e-s pacifistes au carrefour du pont du Mont-Blanc, afin d’arrêter des casseurs qui s’y étaient mêlés selon eux. Les manifestants ont alors refusé des fouilles et un contrôle d’identité. Un officier de police genevois ne contrôlait pas la situation lorsqu’il négociait, car les Zurichois s’avançaient vers les manifestant-e-s pendant ce temps. La Conseillère d’Etat Spoerri était inatteignable. Un ultimatum a été lancé après plusieurs heures d’attente et la police a tiré des balles en caoutchouc et de l’eau mélangée de gaz sans qu’il y ait menace et sans que les manifestant-e-s aient la possibilité de se protéger en cas de charge. Finalement, suite à des interventions politiques – entre autres la venue du Conseiller d’Etat Charles Beer – la situation s’est débloquée et les manifestant-e-s ont pu se diriger vers la Place Neuve. Les auteur-e-s du rapport dénoncent la disproportion des moyens engagés pour arrêter des casseurs et l’usage inutile de gaz et balles. De plus, le blocage de la manifestation pendant de longues heures a fait dégénérer inutilement la situation vers la gare, où des groupes de personnes curieuses ou solidaires des manifestant-e-s bloqué-e-s se sont affrontés à la police à plusieurs endroits.

Armes non létales mais dangereuses

Le rapport consacre également tout un chapitre aux armes dites non létales. Des personnes ont été blessées par des tirs de balles en caoutchouc à une distance insuffisante. Celles-ci peuvent provoquer des traumatismes crâniens, la perte d’un oeil ou d’autres lésions. On rappellera aussi les graves blessures infligées à un journaliste par une grenade assourdissante qui a explosé tout près de lui. Les lésions auditives causées par ces grenades peuvent également être très graves.


Les témoins des violences ont été intimidés. Des journalistes, photographes et caméramans ont été interpellés, parfois violentés et leur matériel détruit. Des membres des legal teams, des témoins et des passants ont aussi été menacés, voire blessés. Enfin, même le statut d’observateur parlementaire (député au Grand Conseil) ne suffisait pas à calmer la police.


La permanence consacre un chapitre à l’illégalité de l’interdiction de tout rassemblement prononcée le mardi 3 juin, qui viole la liberté de réunion. Une argumentation juridique démontre que ce procédé n’est pas légal et viole le droit. Un autre chapitre s’attaque aux interdictions d’entrée en Suisse, alors même que les personnes concernées n’avaient pas été condamnées pour violences dans d’autres pays.


En ce qui concerne les suites données aux violences, la permanence dénombre 11 plaintes déposées contre la police, tout en doutant que beaucoup puissent aboutir. Elle dénonce également la publication des photos de casseurs présumés sur Internet, pour des faits3 sans commune mesure avec la violation de la personnalité que constitue cette mise au pilori, ainsi que les longues détentions préventives (9 et 15 jours) subies au mois de septembre par deux militants4 pour participation à émeute.


La permanence condamne clairement la non-identification des policiers. Elle dénonce l’intervention de policiers en civil dont la fonction n’est pas de maintenir l’ordre. Elle demande le port visible d’un numéro de matricule pour les policiers en uniforme, afin de faciliter leur identification en cas de plainte. Cette obligation devrait également être étendue aux autres corps de police, confédérés et étrangers, intervenant sur le territoire genevois. Enfin un organisme indépendant doit examiner les plaintes pour violences policières.


Des faits similaires avaient été dénoncés en 1998 lors des suites d’une manifestation contre l’OMC. Si l’on n’a plus constaté de centres de détention secrets comme le dépôt TPG du Bachet, les faits relevés dans le rapport sont graves et méritent que des mesures soient prises. La balle est désormais dans le camp des politiques. Prochaine étape: la sortie du rapport de la commission extraparlementaire nommée début septembre.


Sébastien L’HAIRE

  1. Violences et abus de la police à Genève durant la période du G8 (mai – juin 2003) Rapport de la permanence juridique G8. Disponible sous: http://ch.indymedia.org/media/2003/10/14514.pdf ou sur commande à antirepg8@no-log.org. Suite aux frais occasionnés par la publication et la distribution de son rapport, la Permanence juridique G8 lance un appel de fonds dans le but de poursuivre cette diffusion. Association Permanence juridique G8, 1205 Genève, CCP 17-435257-2.
  2. Une vidéo édifiante a néanmoins été tournée par Indymedia. V. dossier video G8.
  3. Notamment le fameux délit d’émeute (art. 260 Code pénal) qui sanctionne la participation (même non active) à des attroupements lors desquels ont été commises des violences collectives, malgré les sommations des autorités. Des citoyen-ne-s ont décidé de s’auto-dénoncer pour avoir participé à la manifestation du 1er juin ou à d’autres lors desquelles des violences ont été commises. Plus de détails sur notre site www.solidarites.ch, rubrique pétitions.
  4. Dans des articles parus début septembre dans la presse, Mme Spoerri regrette que la police ne puisse procéder à des gardes-à-vue préventives pour empêcher des perturbateurs potentiels de nuire.