Claude Calame censuré par «Le Temps»

Claude Calame censuré par «Le Temps»

A sa demande, nous publions ici le contenu de la dernière lettre que Claude Calame, professeur à l’Université de Lausanne, a adressé au journal Le Temps, en date du 24 août, et qui n’a pas été publiée. Il s’agissait d’une réponse aux opinions défendues par Joëlle Kuntz dans les éditions des 20 et 23/24 août de ce quotidien, à propos de l’attentat contre le siège de l’ONU à Bagdad. Depuis le début de cette année, Claude Calame avait adressé trois autres lettres au Temps, le 31 mars, le 20 avril et le 9 juin, qui ont subi exactement le même sort. Notre comité de rédaction ne peut que dénoncer cette censure, qui frappe les opinions critiques, réfractaires au conformisme «pro-impérialiste» ambiant. (réd)


La disparition de Sergio Vieira de Mello dans l’attentat qui a détruit une partie du siège de l’ONU à Bagdad est un paradoxe aussi tragique qu’il est abject. Tragique parce que la violence a frappé celui-là même qui s’est distingué dans la défense effective des Droits de l’homme, abject parce que par définition ce genre d’opération frappe aveuglément.


Est-ce à dire qu’il convient de s’associer à la croisade anti-terroriste lancée par les Etats-Unis, dans un partage du monde digne des pires années de la guerre froide, pour sauver l’action pacificatrice de l’ONU? En ce qui concerne l’Irak, ce serait en tout cas oublier que l’ONU est dominée par son Conseil de sécurité et que c’est lui qui a imposé, dans le consensus des nations les plus puissantes du monde, un embargo qui, loin de provoquer la chute de Saddam Hussein, a entraîné des dizaines de milliers de morts parmi les civils, en particulier parmi les enfants.


Quand donc comprendra-t-on que l’invasion anglo-américaine de l’Irak n’est que l’une des formes extrêmes assumées par la vaste entreprise néo-coloniale que représente la «mondialisation» conduite par l’intermédiaire de la Banque Mondiale, du Fond Monétaire International et de l’OMC pour le contrôle par les plus grandes entreprises occidentales des ressources naturelles et humaines des pays les plus pauvres? N’a-t-on pas assez dit qu’au-delà de liens présumés du régime avec al Qaïda ou de la détention d’«armes de destruction massive», c’est essentiellement à la défense des intérêts pétroliers de quelques grandes compagnies anglo-américaines que la population irakienne doit bombes et occupation militaire?


Aussi peu justifiables et aussi délétères que le régime de Saddam, les actes de terrorisme sont malheureusement devenus la seule possibilité de vilipender et de rejeter, de manière véhémente et hélas aveugle, la domination économique, idéologique et désormais militaire des pays industrialisés. Quelque suspectes qu’en soient les sources de financement, quelqu’intégristes qu’en soient les fondements idéologiques et quelque douteux qu’en soient les effets stratégiques, ils marquent le rejet d’un mode de vie fondé sur consommation, profit et domination économico-militaire. Sous cet aspect, les Etats-Unis ne constituent que la cible privilégiée. De même que les Palestiniens, les Irakiens en ont assez de la lourde tutelle occidentale.


Claude CALAME