Nicaragua: une résistance longue et têtue

Nicaragua: une résistance longue et têtue

Au Nica les damnés de la terre en marche viennent de gagner une bataille!

En 2001 déjà, grâce à la présence de camarades d’ici au Nicaragua, le mouvement de solidarité en Suisse avait lancé une campagne de soutien à l’auto-organisation des travailleurs-euses agricoles de la zone nord du pays et au renouveau de la lutte sociale pour renverser le cours de la contre-réforme agraire. Juillet 2003: à nouveau, des camarades suisses sont sur place, suite à un appel du maire sandiniste de Matagalpa et de l’Association des Travailleurs de la Campagne (ATC) régionale pour soutenir le travail syndical auprès des paysans et l’organisation de leur marche. Que s’est-il passé depuis la mobilisation en 2001? Qu’ont-ils obtenu après des jours et des nuits hors de chez eux? Quel espoir y a-t-il dans cette nouvelle étape de lutte? Nous avons reçu deux «dépêches» de camarades sur place qui nous font revivre à chaud un combat… et une victoire!

(réd)


En 2001, pour la première fois au Nicaragua, les ouvriers-ères agricoles sont sortis de leurs communautés expliquer leur situation catastrophique dans les haciendas de café. En effet, depuis la fin des années 90, alors que le prix international du café s’écroulait, les propriétaires n’ont plus investi dans leurs plantations. Ils n’ont plus offert de travail à leurs ouvriers-ères. Ils se sont bornés à leur faire ramasser ce qui poussait «à la grâce de Dieu». Evidemment, s’ils ne pouvaient plus maintenir leurs plantations en état, ils ne pouvaient non plus maintenir les milliers de familles travaillant et vivant dans leurs haciendas, les privant de salaire, de nourriture, de logements, de maîtres d’école et de médicaments. Cette population a attendu patiemment de voir comment allait évoluer la situation et comment leurs patrons obtiendraient de l’aide du gouvernement, pour leurs cultures et leurs travailleurs-leuses. Ils ont attendu… jusqu’à ce que la mort commence à faucher les premiers enfants et vieillards.

Les «plantones» de 2001

Ils sont alors sortis de la campagne qui masquait leur drame pour aller simplement le mettre au jour au bord de la route. Sans mégaphones, sans pancartes, s’expliquant avec dignité à qui s’arrêtait pour savoir la raison de leur présence sur la route allant de Sébaco à Waslala où se trouvaient une dizaine de «plantones», comme on a baptisé ces regroupements.


Quelques personnes et organismes se sont réunis à Matagalpa pour venir en aide à ces groupes manifestant leur révolte. Bien que sans moyens, en conjuguant leur détermination avec une timide solidarité urbaine, ces «plantones» ont poussé les maires sandinistes de la région à intervenir pour que le gouvernement prenne des mesures assurant temporairement survie et travail.

Les accords de Las Tunas en septembre 2002

En 2002, même situation de fond. Après avoir donné des réponses immédiates qui feraient rentrer toutes ces familles dans leur campagne pour les rendre à nouveau invisibles, le problème se posa à nouveau. A nouveau, plusieurs dizaines de morts de faim ou d’épidémie, soit dans leurs communautés démunies, soit lors de «plantones». Cette fois, l’ATC avait repris de l’énergie et offrait des possibilités d’organisation pour la lutte, avec des moyens moins improvisés que lors de la première révolte. C’est ainsi que les familles en lutte marchèrent sur la capitale, Managua, avec l’intention de présenter leurs revendications au président, Enrique Bolaños. Ils n’eurent pas à aller beaucoup plus loin que Sébaco: ils s’arrêtèrent à Las Tunas, où le gouvernement signa en septembre 2002 des accords avec un volet social: travail temporaire et assistance médicale principalement, et un volet production: légaliser 20 grandes fincas aux mains des travailleurs, répartir des parcelles pour l’autosubsistance aux milliers de sans-terre, réparer les routes du Nord, aider à long terme les producteurs de café. Les familles retournèrent dans leurs haciendas, rassérénées par les mesures d’urgence du gouvernement au niveau social et par les promesses des accords. Mais, à part les emplois temporaires qui calmèrent un temps la faim, ils ne furent jamais honorés.

Juillet 2003: chemin de croix impressionnant

Ce mardi 29 juillet, un cortège silencieux traverse Matagalpa. Chargés de rouleaux de plastic noir, de sacs avec un peu de nourriture, de petits enfants et de croix de bambous pour déclarer le côté pacifique de la manifestation, suivie par des policiers «anti-motines» de Managua. Ce chemin de croix semble sorti d’un autre âge, où les indigènes étaient déjà capables de marcher, d’attendre, de jeûner jusqu’à être écoutés et pris en compte. Evidemment, ce spectacle est plus impressionnant encore à l’ère des portables, des véhicules à air conditionné et des feux rouges, même dans la petite ville de Matagalpa. Les gens sur leur pas de porte ne crient ni soutien, ni désapprobation. Au silence des manifestant-e-s, répond celui des spectateurs. Ainsi donc, il existe aujourd’hui des Nicaraguayens qui se déplacent, s’habillent et dorment… comme ça? Comme ces gens sortis de la montagne, sales, harassés, mais têtus?


Comparé avec les manifestations de 2001, ce cortège a l’air mieux organisé. Un défilé continu et certains distribuent même un tract minuscule avec les revendications du mouvement:

  • Des parcelles de terre pour les familles sans terre,
  • La légalisation des fincas en possession des travailleurs,
  • Un emploi productif permanent,
  • La prise en charge gratuite des soins médicaux,
  • La planification de logements ruraux et de cantines infantiles,
  • La réparation des routes,
  • Le soutien à la production de café.


Le lent cortège se dirige depuis 6 jours vers Managua. Il y a au moins 5000 marcheurs-euses, bébés, enfants, vieillards. Des dizaines sont tombés malades et ont été transportés dans les hôpitaux. Mais la marche de la faim continue, avec l’espoir qu’au plus vite, avant les premiers morts d’inanition, avant d’arriver à Managua, le gouvernement discute avec elle de la mise en route effective des accords de Las Tunas.


Si l’évêque de Matagalpa est intervenu en faveur du mouvement pour lui permettre de poursuivre sa marche, que la police avait ordre de stopper avant qu’elle n’aborde la route panaméricaine, si les maires et certains députés sandinistes régionaux soutiennent le mouvement, si l’ATC régionale a permis par son travail syndical la mobilisation, le gouvernement reste pour l’heure insensible, arrogant, et la population même peine à montrer son soutien, démobilisée depuis des années par la crise économique et par la corruption des politiques.


Viviane LUISIER

Gérald FIORETTA
(de Matagalpa 4 août)