Il y a 30 ans: LIP, une lutte exemplaire

Il y a 30 ans: LIP, une lutte exemplaire

Avec la lutte des paysans du Larzac ou celle contre l’implantation de la centrale nucléaire à Plogoff, la lutte des travailleurs à LIP – qui démarre au printemps 1973 – est l’un de ces combats emblématiques qui ont marqué les consciences. Une expression vivante de «la France d’en bas», la vraie (pas le gadget médiatique utilisé démagogiquement par le Premier
Ministre en exercice).


«A partir d’avril 1973, une entreprise horlogère de Besançon-Palente, employant 1300 personnes, produisant des montres, se trouve menacée de liquidation et une grande partie des salariés est menacée de se retrouver au chômage. […] Autour du mot d’ordre «Pas de licenciements, pas de démantèlement», le personnel a mené une lutte exemplaire sur de nombreux points:

  • réalisation d’une unité des syndicats locaux, malgré les divergences idéologiques;
  • existence d’un comité d’action regroupant des syndiqué/es et des non-syndiqué/es;
  • volonté de militants d’imposer le droit à la parole des travailleurs;
  • pratique d’assemblées, qui permettront l’expression de tous et toutes, et qui deviendront quotidiennes à un certain moment du conflit;
  • occupation des locaux, saisies de documents comptables et administratifs […], contrôle des livres de compte saisis;
  • saisie du stock des montres (environ 30.000), ce qui a constitué le trésor de guerre des LIP;
  • dans une deuxième phase de la lutte: poursuite de la production et vente de cette production dans tout le pays, ainsi que du stock saisi. Ce choix a permis aux salarié/es en lutte de réaliser des paies «dites» sauvages par certains journalistes; […] outre les assemblées générales quotidiennes, la mise en place de sept commissions a été le moyen pour associer le maximum de travailleurs à la gestion du combat»1.

Les «ventes sauvages» de montres ont permis, non seulement d’assurer le salaire des travailleurs-euses de LIP, mais encore de vérifier l’ampleur du soutien populaire à cette lutte. Ainsi, le 29 juillet 1973, une marche de 100000 personnes confluait sur Besançon.


Parmi les participant/es, des délégations suisses: l’implication du trust horloger EBAUCHES SA dans le démantèlement de LIP avait en effet suscité une vague de solidarité, notamment dans les ré-gions horlogères de notre pays.


Si on analyse de manière détaillée les conséquences de cette lutte ouvrière, on constatera que sa dynamique s’est heurtée à l’opposition non seulement de la bourgeoisie – qui la considérait à juste titre comme une constestation de son pouvoir –, mais aussi à celle d’appareils syndicaux (la CFDT) en préparation de leur recentrage. Alors même que Charles Piaget et les principaux animateurs du mouvement appartenaient à la CFDT et se réclamaient du programme autogestionnaire officiel de cette dernière.


Exemple significatif: lorsque l’éventualité d’une candidature de Charles Piaget aux présidentielles de 1974 – comme incarnation du «mouvement social», au-delà des seuls courants d’extrême gauche – fut mise en discussion, le futur recentreur en chef de la CFDT, Edmond Maire, se permit de déclarer qu’un ouvrier horloger n’avait pas les compétences nécessaires pour être président de la République (!).


En conclusion, rappelons – hormis le fait que les ancien-ne-s de Lip se retrouvent pour le 30ème anniversaire – que Charles Piaget (âgé aujourd’hui de 74 ans) reste actif au sein du mouvement AC. Application concrète de la vieille devise régionale: «Comtois, rends-toi! Nenni, ma foi»2.


Hans-Peter RENK

  1. Document «Quelle lutte contre les licenciments», édité par la CNT-France
  2. La bibliographie sur LIP est monumentale, et dépasserait les limites de ce journal. Citons notamment:
    Wiaz et Piotr, Les hors-la-loi de Palente: bande dessinée. Paris, Société internationale d’édition, 1974
    Jean Divo, L’affaire LIP et les catholiques de France-Comte. Yens-sur-Morges, Cabédita, 2003 (analyse du rôle des militant/es de l’Action catholique ouvrière, dont plusieurs appartenaient à la CFDT-LIP, et à la répercussion du conflit dans les milieux catholiques, à une époque post-Vatican II et post-Mai 68, où ces milieux étaient touchés par la vague de contestation du capitalisme)