Margaret Thatcher, Pinochet et le IIème pilier

Margaret Thatcher, Pinochet et le IIème pilier

Rappelons que la LPP, la loi qui institue le IIème pilier obligatoire, a été proposée par le Conseil fédéral en 1975, dans la foulée de l’échec de l’initiative du Parti Suisse du Travail «pour une véritable retraite populaire», qui prévoyait une AVS couvrant les 60% du revenu le plus favorable sur 5 ans.


A cette époque, la LPP avait reçu l’appui enthousiaste de l’Union syndicale suisse (USS) et du PS suisse (PSS), qui prétendaient qu’ainsi les salarié-e-s pourraient acquérir une influence significative sur l’économie capitaliste par la «révolution inaperçue» du «socialisme des fonds de pension», pour reprendre la formule de 1976 d’un spécialiste en théorie du management, Peter Drucker.1 La loi LPP sera définitivement adoptée par les Chambres en 1985.


Pendant cette même période, il n’y a pourtant que le Chili d’Augusto Pinochet pour introduire un système obligatoire de pensions privées, en 1981. Il est vrai que les généraux et les Chicago boys de Santiago se débarrassent du même coup de leur système de retraite public, plutôt que de le laisser dépérir, comme en Suisse et en Angleterre.2


En 1985, Margaret Thatcher plaide cependant fortement en faveur du modèle suisse de «2ème pilier» obligatoire privé, qu’elle cite en exemple à son cabinet, ce qui a le don d’irriter son Chancelier, Nigel Lawson, qui s’y oppose au nom de la «liberté individuelle» de contracter. Ce dernier évoque ainsi cette controverse dans ses mémoires: «Margaret [me] répondit que les assurances privées obligatoires étaient depuis longtemps la pratique en Suisse. ‘Mais, Premier Ministre, rétorquais-je. ‘c’est bien connu qu’en Suisse, ce qui n’est pas interdit est obligatoire’ (…) Au moins, cessa-t-elle de me lancer la Suisse au visage».3


En pratique, la valeur réelle des rentes servies par l’AVS britannique – le SERPS – a régulièrement diminué depuis par le jeu cumulatif de la non adaptation à la croissance des salaires et d’amputations diverses. Elles ont ainsi passé en quelques années de 20% à 14% du salaire masculin moyen. Il n’en fallait pas plus pour rendre les fonds de pension pratiquement «obligatoires», à qui ne peut pas se contenter d’une très maigre retraite publique…


(jb)

  1. Peter Drucker, The Unseen Revolution. How Pension Fund Socialism Came to America, New York et Londres, 1976.
  2. Robin Blackburn, Banking on Death or Investing in Life. The History and Future of Pensions, Londres & New York, 2002.
  3. Nigel Lawson, The View From N° 11, Londres, 1992.