«Selma»

«Selma» : 50 ans plus tard, la lutte pour les droits des noirs se poursuit aux USA

A la fin de décembre, alors que culminaient les manifs sous le mot d’ordre Black Lives Matter protestant contre les assassinats de Michael Brown à Ferguson au Missouri et d’Eric Garner à New York, le film Selma était projeté dans les cinémas à travers tout le pays.

Célébrant le 50e anniversaire de la marche de Selma à Montgomery en Alabama, le film évoque le mouvement pour les droits civiques des Afroaméricains au sommet de sa puissance, alors qu’il était en train de faire pression sur le Congrès pour lui faire adopter le Voting Rights Act de 1965. Or, dans les rues des USA, un demi-siècle plus tard, il est clair que les Noir·e·s des Etats-Unis continuent à devoir se battre contre les discriminations, mais peut-être plus que jamais face à la brutalité et au racisme policiers.

Selma, dirigé par l’Afroaméricaine Ava DuVernay qui en a écrit le scénario avec Paul Webb, David Oyewolo jouant le premier rôle de Martin Luther King, examine les relations difficiles entre le Révérend King, à la tête de la SCLC (Southern Christian Leadership Conference) et dirigeant du mouvement pour les droits civiques et le Président démocrate Johnson. Dans une scène dramatique, Johnson veut obtenir que King ralentisse le mouvement, mais celui-ci résiste, la marche va de l’avant. Johnson voit alors Edgar Hoover, chef du FBI. Ils s’entendent sur l’envoi d’enregistrements de rapports sexuels de King avec une maîtresse, à l’épouse de celui-ci. Mais, faisant la paix avec sa femme, King poursuit son action.

 

 

Une violence raciste impuissante face au mouvement de masse

 

King a choisi de soutenir la marche de Selma à Montgomery, afin de dramatiser la revendication du droit de vote pour les Afro­américain·e·s, sachant que le gouverneur de l’Alabama Wallace ferait tout pour l’arrêter et que la violence en découlant attirerait sympathies et soutiens de nombreuses personnes au Nord. Selma comprenait en fait trois marches. Quand le 7 mars, le Dimanche sanglant, 600 manifestant·e·s atteignent le pont Edmond Pettus, des gendarmes de l’Etat et des miliciens du comté attaquent violemment les marcheurs au lacrymogène et au gourdin. La police laissera une femme, Amelia Boynton, couchée sans connaissance sur le pont. Son image, publiée et retransmise par TV aux quatre coins du monde a un impact puissant. King conduit la deuxième marche du 9 mars, mais malgré que la police ait dégagé la route, King renonce à continuer la marche. Cette nuit-là, des racistes battent à mort un pasteur blanc, James Reeb.

Sous la pression de ces évènements, le 15 mars, le Président Johnson demande au Congrès de voter la Voting Rights Bill. Le gouverneur Wallace refusant de protéger les marcheurs, Johnson envoie alors 2000 soldats et place 1900 membres de la garde nationale de l’Etat d’Alabama sous les ordres d’officiers fédéraux. Avec cette protection, King mène plusieurs centaines de ma­ni­festant·e·s de Selma à Montgomery, capitale de l’Etat, où ils sont accueillis par une foule de 25 000 supporters des droits civiques des Afroaméricains. Le Congrès votera la loi peu après.

 

 

Remettre les Noirs au centre de leur propre histoire

 

Le film de DuVernay a pris deux héros étasunien : Martin Luther King, un héros pour les Afro­américains, et Lyndon Johnson, un héros pour les progressistes du parti démocrate, et les a présentés tous les deux comme des gens réels, qui ont pu se comporter « héroïquement », mais seulement grâce au mouvement des Noirs. King est montré comme un dirigeant, avec ses doutes et ses moments de faiblesse, qui s’appuie sur l’équipe dirigeante du SCLC, Ralph Abernathy, James Bevel, Diane Nash, James Orange, Hosea Williams, Andrew Young, ainsi que sur les tra­vail­leurs·euses noirs qui forment le mouvement et lui donnent tant sa force numérique que son esprit. Le film montre aussi les tensions et la lutte entre le SCLC de King et les jeunes plus radicaux du SNCC (Student Non-Violent Coordinating Committee) tels que James Forman et John Lewis. Johnson, sous pression du mouvement dirigé par King, se voit forcé contre son gré de faire passer le Voting Rights Act.

Le but de DuVernay était de faire un film qui remette le peuple noir au centre de sa propre histoire, plutôt que de refaire un film où c’est une personnalité blanche qui se trouve au centre de l’histoire du mouvement de lutte des Afro­américains. Ce faisant, elle transforme King. Dans ce film il n’est pas le prêcheur héroïque remis en scène par des milliers d’écoliers chaque janvier pour la journée Martin Luther King à travers la récitation de son discours I Have a Dream, mais plutôt le stratège d’un mouvement en lutte, travaillant à forcer le Congrès à modifier des lois pouvant changer les vies de millions de personnes.

 

 

La marche du mouvement continue…

 

Ironiquement, le Martin Luther King Estate, qui possède le copyright de tous les discours de King, a refusé qu’elle les emploie dans le film, alors qu’il en avait autorisé l’usage pour des pubs d’Apple, Chevrolet et Mercedes. DuVernay et Webb ont donc écrit des discours dans le style de King et Oyelowo les a prononcé, non dans le style grandiose qui nous est familier par les retransmissions annuelles du discours I have a dream de 1963, mais dans le style persuasif et terre à terre d’un leader en dialogue avec des dirigeants locaux et la base de son mouvement. Nominé pour l’Oscar du meilleur film, Selma a remporté celui de la meilleure chanson originale.

Quand le film se termine avec Glory chanté par John Legend et Common, qui inclut une référence à «marcher à travers Ferguson les mains en l’air», il est clair que Selma représente un trait d’union entre la lutte historique pour les droits des Noirs et la lutte dans la rue aujourd’hui, et peu de publics sont restés insensibles à ce message. 

 

Dan La Botz