Asile

Asile : A propos des «abuseurs d'ambassades»

Le 28 septembre, l’Assemblée fédérale a adopté les mesures d’urgence présentées par la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga. Ce premier volet du découpage de la réforme de la loi sur l’asile (LAsi) par l’héritière, aussi collégiale qu’apostate, des durcissements de Christoph Blocher ne fait qu’anticiper deux potions ordinaires, déjà en chantier et gardées en réserve de session parlementaire.

L’ emblème du cervelas débité en rondelles illustre ainsi à merveille le saucissonnage de ce legs indigeste. La magistrate nous a fait gober la première ration en urgence, inhibant l’effet suspensif du référendum ordinaire. Refuser d’ingurgiter ce hors d’oeuvre est, en dépit des esprits effarouchés par le plat de résistance, indispensable pour éviter l’intoxication.

Si l’ensemble du menu mérite d’être approfondi, nous ne traitons ici que de l’apéritif : l’abrogation de toute procédure d’asile à partir d’une ambassade suisse.

La pseudo-exception helvétique

Le conseil fédéral affirme sans sourciller dans son message du 26 mai 2010 sur l’ensemble de la révision projetée que : «La Suisse est aujourd’hui le seul Etat européen à admettre le dépôt d’une demande d’asile auprès de son ambassade dans le pays de provenance concerné.»

Cet argument, le seul repris dans le condensé dudit message, se révèle par-là être une pierre angulaire pour des autorités par ailleurs plus gourmandes d’exceptionnalité humanitaire que fiscale ou bancaire. Mais, s’alignant de fait sur les moins-disants des Européens en la matière, elles ruinent une réputation qu’un simple balayage de Toile révèle être de l’esbroufe.

Par exemple, les demandeurs peuvent, sur accord de l’OFPRA, obtenir à l’étranger un visa de long séjour «au titre de l’asile», qui permet d’entrer légalement en France pour y déposer la demande. Des sites d’information aux migrant·e·s tels minu.me/7mkx l’attestent. Mieux, le site officiel vosdroits.service-public.fr/F2232.xhtml précise : «Si l’étranger est porteur d’un visa de long séjour délivré au titre de l’asile, la préfecture lui remet un récépissé de 6 mois, mention étranger admis au titre de l’asile», l’autorisant à travailler.

Autre exemple, la Suède a ouvert début juillet l’ambassade d’Ankara et le consulat d’Istanbul aux ressortissant·e·s syriens (v. minu.me/7mn7). Rechercher en plusieurs langues permet d’étendre la liste des pays européens où existent des dispositifs ne diffèrant que marginalement de celui en vigueur jusqu’ici dans nos ambassades.

Gloriole surfaite à part, invoquer l’urgence d’évincer 2.1 % de demandeurs additionnels en moyenne depuis 2006 (4 % en 2011, pic absolu en 33 ans d’existence) abuse une opinion que les experts galonnés auraient dû alerter. Députés, chroniqueurs, et médias ont été complices, ou sujets à vanité nationaliste, au point d’omettre de vérifier les informations biaisées que leur ont hypocritement servies les autorités.

Cynisme à contre-courant

Pourquoi céder du terrain aux éternels trépignements de l’UDC qui avait il y a cinq ans, afflux aux ambassades aidant, poussé l’ODM à mettre illégalement sous le boisseau 7 à 10 000 demandes d’asile irakiennes déposées au Caire et à Damas, sinistre prologue à l’abrogation actuelle de ce droit ?

Pour d’évidentes raisons géopolitiques, les demandes ont dans la région pris l’ascenseur en 2006. Le rôle, minoritaire, des ambassades dans cet afflux, a précipité la course des autorités à la baisse de l’attractivité supposée de notre «pays de cocagne», apparemment peu affectée par les précédents volets de durcissements.

En abolissant aujourd’hui, après d’autres, la possibilité d’adresser une demande d’asile depuis l’étranger, la Suisse va carrément à contrecourant d’une évolution reconnue indispensable au niveau de l’UE. L’absence d’accès légal au territoire européen pour les demandeurs de protection internationale constitue une véritable prime à la clandestinité et aux profiteurs d’un marché que les barricades rendent toujours plus lucratif. Elle est responsable de plusieurs milliers de morts tragiques des plus vulnérables.

A l’heure où l’urgence de mécanismes légaux d’entrée et l’indépendance des procédures par rapport au mode d’arrivée est reconnue, des commentateurs mal inspirés minimisent la portée d’une abolition qu’ils tiennent pour plus symbolique que substantielle (sic)3. Ils s’abritent derrière la possibilitê de visas humanitaires alors que la récente majorité de Somaliens et Erythréens, faute de représentation suisse, vient d’en être exclue. Refouler ces demandes dès 2006 aurait envoyé plus de mille authentiques réfugié·e·s à la noyade : macabre symbolique.

Urgence suspecte, provisoire durable

L’Office fédéral de la Justice, sollicité par la commission des institutions politiques du Conseil des Etats, estimait les conditions constitutionnelles de l’urgence imparfaitement remplies. Mme Sommaruga a passé outre. Pire encore, ce même office met en garde que l’abolition d’une procédure existante, telle celle des ambassades, au contraire des nouvelles dispositions de la loi votée en urgence, caduques après 3 ans faute d’adoption en ordinaire, aurait valeur définitive même sans mention dans la future révision.

Bel argument en faveur du référendum, seul moyen de ne pas subrepticement pérenniser cette mesure intolérable.

C’est en rejetant d’authentiques candidat·e·s à l’asile, sans aucunement contribuer à l’accélération des procédures, que le gouvernement entend aujourd’hui résoudre un afflux qu’il a renforcé en étranglant l’immigration légale de travail ou le regroupement familial et détournant le droit d’asile de son but. Les vrais abuseurs du droit d’asile sont tout trouvés: ils sont au gouvernement.

Dario CIPRUT

Article prévu pour «Le Temps» mais publié par «Le Courrier» simultanément à notre parution.