Du plafond de verre au «plafond de mère»

Le concept du «plafond de verre» a été développé à la fin des années 70 pour représenter la barrière invisible qui fait que la proportion de femmes employées descend à mesure que l’on monte dans la hiérarchie d’une entreprise. A la faveur de la sortie d’un livre homonyme, les médias popularisent aujourd’hui le concept de «plafond de mère» pour décrire les discriminations vécues par les femmes sur le marché du travail et dans l’emploi à l’arrivée d’un enfant.

Si le nombre de licenciements intervenant dès la fin du congé maternité reste inconnu, un sondage réalisé par l’association française Maman travaille en 2014 montrait que dans les répondantes, une mère sur 4 indiquait avoir eu des difficultés avec son employeur lors de sa reprise de travail. En Suisse, la statistique officielle montre effectivement que la présence d’enfants produit des effets très différents en termes de participation au marché du travail pour les mères et pour les pères.

En 2014, 20,2 % des mères d’enfant(s) de moins de 25 ans étaient ainsi sans activité professionnelle contre 4,4 % des pères dans la même situation ; 82,5 % des femmes en couple avec un enfant de moins de 15 ans travaillaient à temps partiel pour 13,3 % des pères en situation similaire. Si les théories essentialistes aiment voir dans ces différences la résultante d’aspirations individuelles qui seraient déterminées par le sexe biologique, il reste que la statistique permet de montrer que sur le total des personnes en sous-emploi, c’est-à-dire des employés à temps partiel qui aimeraient augmenter leur taux d’activité, 75 % sont des femmes. Des temps partiels contraints qui augmentent lorsqu’elles se mettent en couple puis à l’arrivée d’un enfant, tandis qu’ils décroissent dans un mouvement inversé pour les hommes lorsqu’ils deviennent pères.

 

Plafond de verre et plafond de mère, des causes communes

Si le plafond de verre et le plafond de mère rendent compte d’exclusions de portées différentes des femmes, une mécanique et des présupposés communs les fondent. Selon les stéréotypes, la maternité conduirait les femmes à désinvestir leur rôle professionnel. La simple potentialité de la maternité est donc un facteur de discrimination pour l’accès à un emploi, à plus forte raison quand il est valorisé dans la hiérarchie de l’entreprise. L’investissement différencié dans le travail domestique et le manque de structures d’accueil extrafamiliales pèsent également sur la possibilité même d’articuler une vie professionnelle et familiale, avec une différence de taille en termes de variable d’ajustement, les femmes disposant des ressources économiques nécessaires pouvant externaliser la part de ce travail domestique à d’autres femmes.

 

 

Un marché du travail pensé sur un modèle masculin

Aux sources du plafond de verre et du plafond de mère, on trouve enfin un dénominateur commun, soit le fait que le marché du travail et les normes qui dictent l’attitude idéale à adopter dans l’exercice d’un emploi sont pensés dans les termes d’une masculinité héritée du modèle de l’homme pourvoyeur de fonds construit par la société capitaliste, soit d’un investissement sans partage du temps professionnel au détriment des temps familiaux dont les externalités négatives doivent être réduites au maximum.

La question des inégalités vécues par les femmes sur le marché du travail et dans l’emploi ne peut donc être uniquement abordée sous l’angle des discriminations réelles vécues en raison de l’inégalité du partage du travail domestique et de la persistance des stéréotypes, mais aussi être combattue sous l’aspect de la valorisation particulière du modèle masculin d’engagement dans l’emploi auquel devraient aujourd’hui se conformer les femmes, sous peine de l’encourager.

Audrey Schmid