Tessin

Tessin : «Touche pas à mon hôpital»!

La logique marchande ne cesse de se répandre dans le secteur de la santé. Impulsée depuis plusieurs années au niveau fédéral, la politique de privatisation déploie ses effets de manière toujours plus concrète dans les cantons. Nous avons déjà évoqué dans nos colonnes la brutalité des restructurations hospitalières dans le canton de Neuchâtel. Au Tessin aussi, la planification hospitalière est d'une actualité brûlante.

Les prémisses de la subordination du domaine de la santé à la logique capitaliste remontent au moins à la mise en place de la LAMal (1996). La Loi sur l'assurance maladie, alors portée par la conseillère fédérale socialiste Ruth Dreifuss, était censée faire baisser les primes et diminuer les coûts de la santé, notamment en favorisant la concurrence entre les caisses pour permettre plus d'«efficience» dans le secteur de la santé.

Elle devait ainsi profiter au porte-monnaie de la population ainsi qu'aux caisses publiques. Résultat? Une explosion des primes et des coûts de la santé supportée par les assuré·e·s et par l'Etat, contre une explosion des bénéfices engrangés par les assureurs. Tout cela au détriment de la qualité des prestations ainsi que des conditions de travail du personnel soignant. Le libéralisme économique en matière de santé n'a pas marché comme on nous l'avait promis.

On se souvient également de l'introduction en 2012 d'une rémunération uniforme des soins en milieu hospitalier sur le plan national: les forfaits par cas liés au diagnostic (DRG). A nouveau, l'objectif affiché était un gain d'efficience et d'économie au travers de la mise sur un pied d'égalité des établissements publics et privés.

 

 

Vers un hôpital cantonal unique?

C'est précisément ce changement du mode de financement des hôpitaux qui sert aujourd'hui de principal argument au gouvernement tessinois ainsi qu'à la majorité parlementaire pour défendre le projet dit de «planification hospitalière», conclu en décembre dernier.

Ce projet prévoit des économies draconiennes dans les hôpitaux, à commencer par la suppression de différents services, notamment des urgences et d'autres unités de soins de base, en particulier pour les structures des vallées du nord du canton. La disparition des hôpitaux de Faido et Acquarossa semble, dans ce contexte, inévitable.

Les quelque 80 000 habitant·e·s de ces vallées devront ainsi allonger considérablement leurs déplacements pour se faire soigner. D'autres hôpitaux devraient eux aussi connaître d'importantes transformations, afin de supprimer 241 lits au total. Celui de Bellinzone verrait par exemple sa capacité d'accueil réduite de 157 à 83 lits, alors même que la suppression des établissements du nord du canton laisse envisager un important report de patient·e·s.

 

 

En sus des réductions de prestations

Le projet s'achemine aussi vers une privatisation croissante du secteur hospitalier, au travers de la transformation de certains établissements en structures mixtes publiques/privées. Ainsi , l'hôpital de Lugano devrait céder son centre d'obstétrique à une structure de ce genre et le centre pour mères et enfants de Sorengo serait contraint de fusionner avec le groupe privé Genolier. A Locarno, il est tout bonnement prévu de fusionner l'hôpital régional avec une clinique privée, dans le cadre d'une SA dont la participation serait à 50 % privée.

 

 

Résistances contre le démantèlement de la santé publique

La concentration des structures, la suppression pure et simple de services ou d'hôpitaux ou encore le renforcement des partenariats avec des groupes privés engendreront une dégradation importante en matière de santé. Aux dires des opposant·e·s au projet, ce n'est rien de moins que le remplacement, à moyen terme, des différents établissements hospitaliers existants en une seule et unique structure pour tout le Tessin qui se dessine.

On imagine combien cela affectera la qualité et l'accessibilité des soins pour l'écrasante majorité de la population qui ne peut se payer des soins en cliniques privées et qui devra se débrouiller par ses propres moyens pour se rendre aux urgences, à peut-être plus d'une heure de route. Sans parler des répercussions pour le personnel hospitalier, dont les conditions de travail sont déjà difficiles. L'intensité des rythmes de travail et la standardisation des processus de soin ne feront que s'accroître un peu plus si le projet devait être appliqué comme prévu.

La résistance contre ce démantèlement s'organise depuis longtemps déjà. Dans les vallées directement menacées par la disparition possible de l'hôpital le plus proche, des pétitions pour son maintien ont déjà recueilli des milliers de signatures et le mouvement ne semble pas près de faiblir. En juin 2013, le Mouvement pour le socialisme (MPS) déposait une initiative intitulée Giù le mani dagli ospedali (Touche pas à mon hôpital) , visant à garantir le maintien des unités de soins de base dans les différentes structures hospitalières cantonales, ainsi que les départements de soins intensifs et un service d'urgences, y compris pour les établissements des vallées moins habitées. L'objectif était de bétonner un service public digne de ce nom, au moment où l'introduction des forfaits par cas et l'extension du financement aux cliniques privées laissaient présager des bouleversements en matière de santé cantonale. Les initiants avaient vu juste.

Aujourd'hui, c'est un référendum contre le projet de planification hospitalière cantonale qui vient d'être lancé. Espérons que le slogan « Giù le mani» leur soit de bon augure, lui qui avait symbolisé la lutte victorieuse des employés des CFF contre la fermeture des ateliers de Bellinzone il y a quelques années.

Giulia Willig

Traduction et intertitres de notre rédactiom