Mouvement indépendantiste

Mouvement indépendantiste : Hommage à la Catalogne

Depuis quelques années, la Catalogne s'est transformée en un laboratoire politique qui mérite l'attention des mouvements de la gauche populaire du continent. Alors que la région ibérique affiche une richesse et un taux de croissance parmi les plus élevés d'Europe, elle assiste en parallèle au développement de mouvements de masse se revendiquant de la désobéissance civile et/ou de la justice sociale.

Si dans des situations de crise politique et de décrédibilisation du gouvernement central, affecté par des scandales de corruption comme c'est le cas pour l'exécutif de Madrid et pour la monarchie des Bourbons, un repli régionaliste ne saurait surprendre, le processus catalan présente deux aspects particuliers, dont nous pouvons tirer des leçons utiles.

 

Illustration de la couverture du livre Hommage à la Catalogne de George Orwell (1938)

 

Un processus populaire

Le premier est le caractère populaire d'un processus qui, à plusieurs reprises, n'a pas hésité à s'installer sur des positions de rupture explicite avec la législation espagnole, en défiant des décisions de justice émises par les institutions liées au gouvernement central. Ce fut le cas le 9 novembre 2014, lors du vote du référendum consultatif pour l'indépendance. Ce jour, plus de deux millions de personnes (40 % de l'électorat) ont participé à un vote pourtant déclaré illégal par le Tribunal constitutionnel espagnol. Ce fut encore le cas récemment, lorsque des manifestations de plusieurs millions de personnes ont revendiqué ouvertement l'indépendance, alors que la presse espagnoliste et les grands partis traditionnels ne cessaient de s'agiter en indiquant que cette revendication était illégale et contraire à la Constitution.

Le deuxième aspect intéressant est la poussée des forces progressistes, qui ont su saisir que cette dynamique était un terrain propice pour revendiquer un nouveau contrat social, non seulement à l'égard des corrompus de Madrid, mais également face à leur ancien complice de Barcelone ou Tarragone. On a donc pu assister au développement rapide des forces anticapitalistes, comme les Candidatures d'Unité Populaire (CUP), ou réformistes de gauche, comme la coalition dynamisée par Podemos Catalunya Si Que es Pot (CSQP), devenue ensuite En Comu Podem. En septembre dernier, la liste podemiste a obtenu 9 % des voix et 11 sièges au parlement régional. En décembre, lors des élections pour le parlement central, elle a obtenu 12 député·e·s et presque 25 % des voix.

Une évolution positive qui s'explique d'une part par le leadership assumé par la maire de Barcelone, la très populaire militante pour le droit au logement Ada Colau, et de l'autre par l'abandon par le mouvement de toute ambigüité dans le soutien du «droit de décider» et à la tenue du référendum sur l'indépendance. Le mouvement assembléiste des CUP a, quant à lui, triplé ses voix et obtenu 10 sièges au parlement régional, alors que pour les élections de décembre il a appelé à l'abstention.

Une évolution qui revêt également un caractère fortement symbolique. A la suite à la percée des CUP au parlement régional, il est devenu usuel de voir, au milieu des chemises et cravates, des foulards kurdes et des t-shirts arborant des slogans antifascistes ou zapatistes. Les symboles de la monarchie, comme les bustes du roi, ont été couverts par des draps noirs ou évacués des hémicycles catalans et les discours se revendiquant ouvertement de la désobéissance face aux lois injustes et de l'anticapitalisme ne sont plus tabous dans la presse et les parlements

 

 

La mise à l'écart d'Artur Mas

La gauche catalane a donc le vent en poupe et profite certainement de la faiblesse des grands partis espagnolistes traditionnels, de droite comme de centre gauche, qui par leur opposition dogmatique aux revendications autonomistes ont perdu en grande partie de leur représentativité et de leur pouvoir. Le mouvement profite également du choix du gouvernement central qui, après des décennies d'impunité garantie aux dirigeants corrompus issus de la bourgeoisie catalane, a choisi le pire moment pour déclencher d'importantes opérations anticorruptions contre des cadres du parti Convergencia y Unio, dans l'entourage très proche de l'ancien président Artur Mas […]

Les CUP se sont ainsi trouvés, avec 10 député·e·s sur 135, dans la position de contraindre Artur Mas, leur adversaire historique, à se retirer de la course pour la présidence de la région. D'autre part, le mouvement a pu négocier des engagements historiques en matière de politique sociale. Un processus très difficile où l'organisation a dû faire face à des attaques intenses visant à miner son unité et la pousser à la scission, ainsi qu'à une campagne de diffamation menée par la presse patronale, qui craint comme la peste la montée en puissance des CUP. Mais malgré la tourmente, ils ont su maintenir la ligne, d'autant plus légitime qu'elle a été débattue et votée dans des assemblées auxquelles ont participé plusieurs milliers de militant·e·s du mouvement.

La décision collective a finalement été celle du soutien à un gouvernement d'unité indépendantiste qui puisse mener à la «désannexion» d'Espagne en 18 mois. Un choix visant à accentuer le processus de rupture démocratique et de justice sociale, qui comporte toutefois des risques et des contradictions, puisqu'il s'agit de partager un bout de chemin avec des forces libérales.

Face aux doutes et aux critiques quant aux options de la gauche catalane, à l'expérience victorieuse des CUP et au développement de mouvements plus transversaux, comme ceux liés à Podem, la meilleure réponse réside dans le constat que la Catalogne vit aujourd'hui des mobilisations populaires remarquables et semble être en marche pour changer à jamais le cours de son histoire. Quel chemin devra-t-elle entreprendre pour ce faire? Le choix appartiendra à ses classes populaires ainsi qu'à leurs organisations, seuls maîtres de leur destin.

Olivier Peter

Coupure et intertitres de la rédaction