Eco-logique : «Avenir de la planète et urgence climatique»

 La pensée occidentale moderne  est en effet marquée par une vision binaire mettant en opposition nature et culture. Cette conception a été consacrée par Descartes et la pensée des lumières avant d’être canonisée par le structuralisme. La représentation d’une nature séparée de la raison et de la pensée, distincte de l’humanité et des cultures qui la constituent, entraine une objectivation de la nature, réduite à un rôle d’objet sur lequel l’homme pensant peut établir un contrôle et en exploiter les ressources. Il s’agit là d’une conception fondamentalement utilitariste, qui s’accorde avec la modèle extractiviste capitaliste. Cette objectivation a en effet permis de penser aussi bien l’être humain que la nature « en terme de ‹ ressources › : ressources naturelles et ressources humaines à exploiter dans la visée d’un rendement économique.»

Un « inachèvement constitutif »

C’est en partant de la Grèce ancienne que Claude Calame s’emploie à prendre de la distance avec une conception jugée anthropo­centrique. Il nous décrit une pensée plus inclusive, dans laquelle « la nature constitutive de l’homme se trouve en relation interactive et contrainte avec le monde environnant ». Plus encore, la « nature humaine […] se diversifie sous l’influence du climat, dans l’interaction entre l’organique et le moral, le physique et le psychique ». Bien que présentant une conception utilitariste de la nature, la pensée grecque de l’Antiquité conçoit une perméabilité et des interactions entre l’homme et son milieu, qui partagent organiquement les mêmes qualités.

Plus loin le livre aborde les progrès scientifiques pour battre en brèche aussi bien l’idée d’une « nature humaine » que le déterminisme linéaire et mécaniste. La notion de plasticité est en effet centrale chez l’être humain. Les interactions avec le milieu, social et naturel, sont de l’ordre de la dialectique, l’ensemble évoluant à travers des dynamiques contradictoires. Les découvertes en génétique montrent que même dans la transcription des gènes, l’influence de l’environnement est déterminante. De même qu’entre l’homme et son milieu « il s’agit d’un réseau de relations complexes de continuité, de porosité et de réciprocité ». D’autre part, l’être humain est caractérisé par un « inachèvement constitutif », qui le fait se développer « à travers la culture et son exercice » dans un milieu et des circonstances historiques données.

De l’anthropo-poiétique

Le livre termine avec un plaidoyer pour « une construction écosocialiste de l’homme et son milieu » et la nécessité d’une rupture qui n’est pas seulement épistémologique mais aussi politique et économique. Claude Calame rappelle l’intérêt de l’œuvre de Marx dans cette optique, notamment en ce qui concerne le retour de la valeur d’échange à la valeur d’usage. Après avoir montré les ravages d’un capitalisme extractiviste qui confisque les avancées technologiques et scientifiques pour les mettre au service du profit personnel, dans une action destructrice aussi bien pour la nature que pour les êtres humains, il insiste sur la nécessité d’une subordination de l’appareil productif aux exigences sociales et environnementales.

Ce défi exige une nouvelle conception de l’homme et de la nature, l’auteur la nomme « anthropo-­poiétique ».Une conception qui abandonne l’opposition entre nature et culture pour une approche mettant au centre les notions de perméabilité et de connexions entre les communautés humaines et leurs milieux. Cette idée rompt radicalement avec la pensée libérale focalisée sur l’individu en concurrence avec ces proches pour un développement égoïste. Au-delà d’une domination de l’homme sur la nature elle ouvre la voie à une maîtrise démocratique des relations complexe avec notre environnement.

Jean Burgermeister

Claude Calame, Avenir de la planète et urgence climatique, 128 pages, Editions Lignes, Paris, janvier 2015