Portugal

Portugal : Gouvernement anti-austérité ou répétition de la tragédie grecque?

Un accord gouvernemental entre le Parti socialiste portugais, le Bloc de gauche, le Parti communiste portugais et les Verts a provoqué la chute du gouvernement de droite de Pedro Passos Coelho, onze jours après son entrée en fonction. Après l’acceptation d’un 3e Mémorandum par Syriza en Grèce, que pouvons-nous attendre de ce nouveau gouvernement portugais ?

 Le 10 octobre dernier, les différentes composantes de la gauche portugaises, unies pour la première depuis la Révolution des Œillets, il y a 40 ans, ont fait chuter l’administration minoritaire de Passos Coelho, ceci grâce à une motion rejetant son programme de gouvernement. Celle-ci a été soutenue par les 123 député·e·s de l’opposition, contre les 107 de la droite.

 

 

Un gouvernement du PS appuyé par la gauche radicale

Quelques jours auparavant, après plusieurs semaines de négociations, le Parti socialiste (PSP) avait passé un accord avec le Parti communiste (PCP) et les Verts (PEV), qui complétait celui conclu précédemment avec le Bloc de gauche (BE). Et c’est sur la base de ce double accord que la gauche antilibérale a accepté de soutenir le gouvernement du PSP, appui qu’elle lui retirerait immédiatement s’il ne respectait pas ses engagements.

En effet si les mesures prévues étaient mises en œuvre, la vie de millions de portugais s’en trouverait améliorée.

 

 

Les conditions du soutien de la gauche antilibérale au gouvernement PSP

 

  1. Renonciation au projet de réduction de la taxe sociale unique (TSU), versée par les patrons et les employé·e·s pour les retraites, et fin du gel des pensions.
  2. Meilleure protection contre les licenciements. Chasse aux faux contrats de prestation de services pour les transformer en contrats de travail. Relance des négociations pour le renforcement des conventions collectives. Suppression du régime de mobilité spéciale au sein de la fonction publique, qui facilite les licenciements.
  3. Abandon des nouvelles privatisations envisagées, notamment renonciation aux récents processus visant à la concession des transports urbains de Lisbonne et Porto. Protection de l’eau comme bien public.
  4. Diminution des tarifs de l’électricité pour les familles les plus précaires, ainsi que diverses dispositions concernant la santé et l’éducation allant de la réduction des taxes non remboursées par la sécurité sociale à la réutilisation des manuels scolaires.
  5. Rétablissement des salaires de la fonction publique et augmentation de ceux du secteur privé.
  6. Retour à quatre jours fériés pour l’ensemble des salarié·e·s.
  7. Renforcement de la progressivité de l’impôt sur le revenu, ainsi que suppression du quotient familial qui favorise les familles les plus aisées. Limitation de la hausse de la taxe foncière.
  8. Arrêt des cadeaux fiscaux aux entreprises qui bénéficient d’une réduction de l’imposition des bénéfices; réduction de 12 à 5 ans de la durée permettant de déduire les pertes des entreprises; diminution des avantages fiscaux sur les dividendes.
  9. Hausse du salaire minimum à 557 euros, dès le 1er janvier 2017, et à 600 euros, d’ici la fin de la législature.
  10. Renonciation à la saisie de logements pour non paiement de dettes publiques. En ce qui concerne les dettes hypothécaires, en cas d’impossibilité de trouver un arrangement sur les délais ou les taux d’intérêts, transfert de la propriété à la banque avec extinction intégrale de la dette, ce qui n’est pas le cas actuellement.

 

Certes, ces dispositions ne visent en réalité qu’à un assouplissement de l’austérité. En effet, l’accord PSP-PCP-Verts-BE esquive la question de l’audit, du moratoire, voire de l’annulation de la dette publique, enjeu qui sera pourtant décisif si le nouveau gouvernement souhaite disposer d’une marge de manœuvre suffisante pour résister aux pressions extérieures. Mais la gauche antilibérale pouvait-elle bouder l’adoption de telles mesures, dès lors que le PSP y consentait publiquement ?

 

 

Une confrontation inévitable

Il est évident que pour relancer l’embauche, il faudra des investissements afin de créer de nouveaux emplois, et que c’est l’Etat qui devra jouer ce rôle stratégique, après des années de récession. Le Portugal dispose certes d’une situation plus favorable que celle de la Grèce, en raison d’une dette publique nettement inférieure (130 % du PIB, au lieu de 200 %).

Tout porte cependant à croire que le Portugal doit se préparer à des chantages comparables à ceux auquel le premier gouvernement Syriza a été soumis de la part des institutions européennes. Et pour y répondre, il ne pourra s’appuyer que sur la mobilisation populaire, qui a été jusqu’ici beaucoup moins puissante et soutenue qu’en Grèce, ainsi que sur la solidarité des travailleurs·euses européens.

 

 

Le sens de notre solidarité

L’expérience d’Athènes est certes là pour montrer qu’entre un programme de rupture, qui nécessite une confrontation extrêmement dure avec les institutions de l’UE, et la capitulation totale, il n’y a guère de troisième voie négociable avec Bruxelles. Ceci dit, la décision prise par le Bloc de gauche, le PCP et les Verts de soutenir un gouvernement social-démocrate sous conditions, marque le début d’une nouvelle expérience politique de lutte contre l’austérité au sein de l’UE.

Dans le contexte d’un tel bras de fer, il ne nous appartient pas de juger de la tactique adoptée par nos camarades portugais, mais de tout faire pour renforcer notre solidarité avec eux. Celle-ci passe notamment par l’intensification de la mobilisation, ici en Suisse, contre la nouvelle offensive néolibérale de la droite et des classes dominantes contre les salaires, les conditions de travail, les retraites, les assurances sociales, les services publics, la redistribution fiscale, etc.

Jorge Lemos