Grésillements à gauche à propos des droits politiques des étrangers

Suite à l’heureuse élection au Conseil national de Sibel Arslan (Basta ! Bâle-Ville), suissesse d’origine kurde, certaines voix à gauche ont laissé filtrer sur les réseaux sociaux leur rejet de l’extension des droits politiques des étrangers·ères, privilégiant la naturalisation comme véhicule d’intégration. Après le capotage de propositions similaires à la Constituante à Genève, le danger de mêler des voix de gauche égarées à celles des pires formations chauvines est toujours présent.

Dario Ciprut, co-fondateur et membre du comité de l’association Droits politiques pour les résident·e·s à Genève (dpge.ch), a vivement réagi sur Facebook à ce qu’il considère à juste titre comme une aberration antidémocratique. solidaritéS tenant à rappeler son soutien indéfectible à l’extension des droits politiques des étrangers·ères, notre rédaction s’est entretenue avec lui.

 

 

Que t’inspirent ces propos émanant de personnes se revendiquant de gauche et qui disent préférer la naturalisation aux droits politiques des étrangers·ères ?

Ils participent d’un climat revenant sur le devant de la scène dès qu’il s’agit d’étrangers·ères. Notre association DPGE fait suite à l’échec collectif à inscrire dans la Constitution de nouveaux droits démocratiques pour plus de 40 % de la population genevoise. Cela impose de réagir dès qu’une désunion à gauche sur cette extension pointe le nez.

Si des camarades s’abstiennent ou votent contre des avancées encore plus indispensables à Genève que dans les autres cantons, il est impératif de dissiper toutes confusions, au moins à gauche et si possible au-delà. Autrement, nous risquons la récidive du pitoyable résultat qui maintient une fraction bien trop importante de résident·e·s à l’écart de décisions affectant directement leur cadre de vie personnel et familial.

 

 

D’où viennent les réticences que tu dénonces ?

Vieille histoire qu’une conception de la souveraineté réduite à la nationalité. Involontairement entachée de préférence nationale, elle se révèle discriminatoire à qui vient d’ailleurs, dont on exige, sous couvert d’intégration, un patriotisme anticipé, d’ailleurs délaissé par nombre de nationaux. C’est d’autant plus paradoxal que notre système fédéral comprend d’incomparables degrés intermédiaires de souveraineté, et que ces sourcilleux avocats de la naturalisation défendent souvent bec et ongles les autonomies genevoises contre la Berne fédérale.

 

 

Faut-il pour autant rejeter la naturalisation comme voie d’accès à la citoyenneté ?

Non, mais je fais mon cheval de bataille de la citoyenneté locale dans le canton, distincte mais non opposée à la nationalité. Elle est le nécessaire prolongement, dans les conditions contemporaines de mobilité des populations, du droit fondamental reconnu depuis 1948 de participation civique aux affaires publiques, alors limité au pays d’origine. Sauf à priver une fraction de plus en plus importante du droit de participer à la vie politique, cette citoyenneté ne peut que dériver de la résidence, qui inscrit durablement une personne dans un espace politique commun. La naturalisation requiert un choix individuel allant au-delà. Cette différence substantielle subsistera tant que l’Etat nation restera une brique fondamentale de sociétés où peut s’exercer la démocratie politique.

 

 

Demander la naturalisation n’est-il pas un gage nécessaire de volonté d’intégration ?

La volonté de vivre parmi nous est suffisamment démontrée par la résidence permanente. Ce statut entraîne des obligations auxquelles devrait répondre un droit de participation citoyenne. Nul n’y est contraint, et bien des Suisses s’en abstiennent. L’intégration est tout autre chose qu’un droit dérivant d’un statut. Elle procède d’une démarche volontaire d’adhésion à un ensemble de valeurs exclusives et indissociables de l’imaginaire national institué.

La naturalisation est conçue en Suisse pour couronner la réussite de l’intégration, non en faciliter l’apprentissage, d’où un coût variable et une procédure administrative très longue. Prétendre l’inverse ignore la législation des préalables à la demande comme une « intégration réussie », mais aussi un degré de familiarité historique, géographique et linguistique exigé des candidat·e·s, qui dépasse souvent celui des Suisses du cru. Or, au fond, on n’est complètement intégré qu’au cimetière.

Au contraire, la participation aux décisions politiques locales, libre de ces préalables et après adaptation, agit comme apprentissage naturel des mœurs démocratiques suisses. Le pas facultatif vers la nationalité ne peut en être qu’encouragé !

 

 

Que répondre à l’accusation de découpage de la citoyenneté en tranches ?

Qu’elle est inconséquente et fallacieuse. Les partisan·e·s de l’indivisibilité, nostalgiques du modèle français, feignent d’ignorer que le découplage tant décrié d’avec le passeport est déjà effectif là où des étrangers·ères ont le droit de vote municipal. Ces inconséquents se gardent bien de revenir sur un découpage accepté par le peuple dans tous les cantons romands, Valais excepté. Le prétendu refus de « citoyens de seconde zone » ne fait en réalité qu’acculer les résident·e·s étrangers à une troisième zone !

 

 

Pourquoi ne pas défendre alors l’extension des droits politiques au niveau fédéral ?

La constitution prévoit que les droits politiques s’exercent au domicile. Les étendre aux étrangers·ères pour des objets ou instances municipales ou cantonales n’en modifie ni le texte ni l’esprit. Prétendre qu’il faudrait ne rien faire en attendant de très hypothétiques modifications au niveau fédéral n’est qu’un prétexte hypocrite pour différer d’indiscutables et indispensables avancées démocratiques de prérogative cantonale.

 

 

Comment poursuivre ?

D’autres objections (double nationalité, réciprocité, automaticité, droit du sang, devoirs patriotiques, etc.) se trouvent réfutées via le site de DPGE, qui a aussi pour tâche de faire pièce aux maximalistes de la naturalisation. J’invite les lecteurs·trices et sympathisant·e·s à soutenir nos activités.

Propos recueillis par la Rédaction