Le mouvement étudiant sud africain ébranle le pouvoir

Le mouvement étudiant Fees must fall (les taxes doivent être annulées), sans précédent depuis la fin du régime d’apartheid, a fait reculer le gouvernement du Congrès National Africain (CNA), parti au pouvoir, sur l’augmentation des frais d’inscriptions universitaire. Il s’agit de la plus importante protestation depuis le soulèvement de Soweto en 1976.

Le gouvernement du CNA voulait augmenter, entre 8 % et 12 %, les frais d’inscription et de logement dans les universités sud-africaines. Alors même qu’ils n’ont cessé d’augmenter ces dernières années, variant d’une université à l’autre et pouvant atteindre jusqu’à 60 000 rands (4350 francs environ) pour les étudiant·e·s en médecine.

C’est l’annonce de la hausse de 10,6 % des frais de scolarité et de 6 % des frais d’inscriptions à l’université de Witwatersrand (Wits) à Johannesburg qui a mis le feu aux poudres. Le 14 octobre dernier des milliers d’étudiant·e·s ont commencé à manifester, entraînant une mobilisation nationale massive et des occupations de bâtiments universitaires, poussant de nombreuses universités à fermer leurs portes. Au Cap, 3000 étudiant·e·s ont protesté devant les portes du parlement. Parallèlement à l’exigence de la gratuité des études, les étudiant·e·s ont également appelé à la fin des pratiques d’externalisation.

 

 

Combativité étudiante vs répression policière

 

La plus grande manifestation étudiante réunissant plusieurs dizaines de milliers de personnes a eu lieu devant les bureaux du gouvernement à Tshwane (Pretoria). Les manifestant·e·s ont exigé l’annulation de la hausse des taxes universitaires. Face à ce large mouvement, le gouvernement du Président Jacob Zuma n’a pas hésité à réprimer les protestataires ; la police a chargé les manifestant·e·s en utilisant des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des grenades assourdissantes, tandis que de nombreux étudiant·e·s ont été arrêtés. Ils ont été inculpé de trahison comme l’avaient été avant eux·elles les survivants du massacre de Marikana, suite à la grève des mineurs de 2012.

La combativité et la persistance des étudiant·e·s ont néanmoins contraint le gouvernement de Zuma à reculer et à déclarer qu’il n’allait pas augmenter les frais d’inscription pour l’année 2016.

 

 

La mobilisation continue sur fond de crise économique et sociale

 

Cette victoire des étudiant·e·s n’a pas totalement fait cesser la mobilisation dans de nombreuses universités sud-africaines. Ce mouvement étudiant a en effet lieu sur fond de tensions sociales et de crise économique. Un million d’emplois ont été perdus depuis la crise mondiale de 2007–2008.

Le mécontentement croissant des classes populaires s’exprime à travers différentes formes de mobilisations et de protestations, notamment la grève (on compte 35 grèves par jour dans le pays). La population s’organise et se mobilise pour protester contre les conditions de vie terribles – sans logement décent – et le manque de sécurité, d’électricité, de distribution d’eau et d’assainissement.

De même, la fin du régime politique d’Apartheid n’a pas remis en cause les inégalités criantes entre la population noire et blanche du pays : ainsi, selon les chiffres officiels, les familles blanches gagnent jusqu’à 6 fois plus que les familles noires. La bourgeoisie blanche conserve un pouvoir disproportionné sur l’économie et les autres secteurs importants comme l’éducation supérieure.

Le gouvernement sud-africain de coalition du CNA, avec le parti communiste et la COSATU (la centrale syndicale sud-africaine) est toujours plus décrié par les classes populaires à cause de ses politiques néolibérales, au service des patrons et des multinationales.

Le mouvement étudiant sud-­africain constitue un espoir pour une relance des luttes à tous les niveaux pour plus de démocratie et de justice sociale.

Joe Daher