Indonésie 1965

Indonésie 1965 : Un bain de sang impérialiste

Il y a 50 ans, le 30 septembre 1965, un massacre inouï débutait en Indonésie. Plus d’un million de membres ou sympathisant·e·s du Parti communiste indonésien (PKI) furent assassinés, jetés dans des fosses communes, torturés.

Des dizaines de milliers  de personnes furent emprisonnées sans jugement dans des camps. Disparitions, enlèvements, torture, ostracisme et mise au ban de familles entières… ont été par la suite les méthodes de gouvernement d’un régime qui a pillé les ressources nationales indonésiennes au profit de compagnies étrangères.

Colonie des Pays-Bas, occupée pendant la 2e Guerre mondiale par le Japon, l’Indonésie se proclame indépendante en août 1945. Comme au Vietnam, l’indépendance est combattue par un corps expéditionnaire (anglais en l’occurrence) et l’ancien Etat colonial veut restaurer sa domination. Mais le mouvement national obtient gain de cause en 1949.

 

 

Le troisième PC du monde exterminé

 

Autour de la figure du nationaliste Sukarno, initiateur du mouvement des non-alignés avec la conférence de Bandung en 1955, l’armée coexiste avec un Parti communiste (PKI) entré au gouvernement, fort de 3 millions de membres soutenu par des organisations de masse en comptant des dizaines de millions et qui a obtenu 16,6 % aux élections de 1956.

Sur des questions comme la réforme agraire indispensable, les tensions vont croissant dans le pays. Pour Washington, le PKI devait être détruit et l’Indonésie ramenée sous la botte impérialiste à un moment où débute l’intervention US au Vietnam. Pour boucler le cordon sanitaire isolant les révolutions chinoise et vietnamienne, contrôler les voies maritimes entre Océan Indien et Pacifique, accéder aux énormes richesses naturelles de l’archipel indonésien, garder dans le giron impérialiste le plus grand pays musulman du monde…

La terreur blanche déclenchée le 30 septembre 1965, avec le plein appui et le soutien logistique de la CIA et de puissances impérialistes, dont la Grande-Bretagne, a ensuite servi d’« opération modèle » pour se débarrasser d’Allende au Chili 7 ans plus tard. Elle représente, comme le Chili, une expérience historique qui exige un devoir de mémoire envers nos camarades assassiné·e·s, qui exige justice et réparation pour les victimes, mais qui demande aussi qu’on revienne sur cette histoire écrite dans le sang pour en tirer tous les enseignements politiques dont celui-ci a été le prix.

 

Terreur blanche… et salons genevois, au profit des multinationales

 

Aujourd’hui pourtant, l’occultation du massacre indonésien dans les mémoires est spectaculaire. Revenons donc aux événements : le 30 septembre 1965, un « coup d’Etat » comprenant l’assassinat d’une demi-douzaine de généraux par un groupe de militaires (GS30) – est imputé aux communistes. Le futur dictateur, dont le règne durera 30 ans, le Général Suharto, reprend rapidement la main en quelques heures et donne le signal du pogrom anticommuniste qui le conduira au pouvoir absolu et s’étendra bien au-delà des rangs du PKI : syndicalistes et paysans revendiquant la réforme agraire, opposants au système des castes, communauté chinoise… l’étendue du massacre fut énorme.

En 1966, l’ambassadeur US à Djakarta déclarait : «Les USA voient plutôt d’un bon œil et admirent ce que l’armée est en train de faire. » Et, en effet, comme plus tard au Chili, le sang des victimes servit à mettre en place un laboratoire de politiques néolibérales…

Dont une pierre importante fut posée à Genève en novembre 1967. Date d’une conférence de trois jours, au bout du Lac, organisée, sponsorisée et financée directement par le groupe Time-Life Inc. où se rencontrèrent une délégation de grandes multinationales, avec à leur tête David Rockefeller. Les grands pétroliers et les banques en étaient bien sûr, General Motors, Imperial Chemical Industries, British American Tobacco, Siemens, US Steel, FIAT, Lehmann Bros, Firestone, Goodyear, Chase Manhattan, SBS, … et bien d’autres étaient au rendez-vous, avec en face une équipe d’économistes formés aux USA pour représenter le régime de Suharto.

Arrivée dans un avion ad hoc offert gracieusement par la Pan American Airways et logée par l’Intercontinental Hotels Group, cette délégation infâme, débita en tranches les ressources de leur pays, de la bauxite aux bois tropicaux… dans le cadre des premières actions de la dictature de Suharto que la Banque mondiale qualifierait, 30 ans plus tard, après le génocide au Timor oriental, d’«élève modèle». Nous reviendrons dans un prochain article sur cette conférence « genevoise ».

Pierre Vanek