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Genève : Un accord tripartite (Etat, patrons, syndicats) pour renforcer les contrôles des conditions de travail - Y a-t-il entourloupe?

Y a-t-il entourloupe?

Le 2 septembre dernier, le gouvernement genevois avait invité les «partenaires sociaux» à son traditionnel point de presse hebdomadaire. L’enjeu était de taille, il consistait en une présentation d’un contre-projet à l’initiative lancée voici 5 ans par les organisations syndicales de ce canton. L’initiative proposait de renforcer les inspections sur les lieux de travail en doublant le nombre d’inspecteurs du travail et en autorisant des syndicalistes à faire eux-mêmes des contrôles.

A l’époque, le Conseil d’Etat avait recommandé au Parlement d’invalider juridiquement l’initiative et soutenait que «l’initiative est non seulement coûteuse mais également inadéquate et inefficace. Elle prétend pallier les insuffisances d’un système qui a fait ses preuves, et dont les syndicats font déjà intégralement partie. » Tout au plus, le gouvernement était-il prêt à lâcher quelques miettes s’il devait y avoir une votation : «Il conviendrait de prévoir un renforcement mesuré des effectifs de l’OCIRT pour que l’office puisse élargir son spectre d’investigations. »

De son côté, l’Union des associations patronales genevoises (UAPG) avait organisé un recours contre l’initiative devant le Tribunal fédéral afin de l’invalider. Dans un éditorial d’Entreprise romande, le directeur général de la Fédération des entreprises romandes (FER), Blaise Matthey, n’hésitait pas à comparer les futurs inspecteurs des entreprises avec la police politique de Staline : «Le temps de Beria et de sa sinistre police politique n’est pas si éloigné que cela de la proposition des syndicats. Eux qui se font fort de dénoncer le néolibéralisme feraient bien de se garder du néostalinisme ou du néotrotskysme qui semble les inspirer. »

A l’issue de la conférence de presse du 2 septembre, la présidente de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS), Manuela Cattani, a pourtant déclaré dans la presse : «Les syndicats sont très satisfaits. Nous sommes parfaitement dans la cible de notre initiative. »

Le contre-projet est-il vraiment dans la cible de l’initiative ? Sinon comment expliquer le revirement non seulement de l’Etat mais également des associations patronales ?

 

 

Un contre-projet dans la cible…

 

Force est de constater après lecture que le contre-projet tripartite n’introduit qu’une seule différence majeure par rapport à l’initiative : la composition de l’inspection des entreprises n’est plus uniquement syndicale mais est composée paritairement d’inspecteurs désignés pour moitié par les organisations syndicales et pour l’autre moitié par les organisations patronales. A la décharge de la CGAS, il est vrai que le Tribunal fédéral avait partiellement donné raison à l’UAPG en interdisant une composition uniquement syndicale de l’inspection des entreprises. Il semble toutefois que les syndicats aient réussi à négocier au mieux le texte du contre-projet pour éviter tout blocage patronal de l’entité nouvellement baptisée « Inspection paritaire des entreprises (IPE) ».

La seule composition paritaire de l’inspection des entreprises suffit-elle à expliquer le ralliement de l’UAPG et du gouvernement à l’initiative ?

 

 

Crise de la représentativité bourgeoise sur fond d’accords bilatéraux

 

Au-delà de la question somme toute technique de la composition de l’inspection des entreprises, force est de constater que le vote du 9 février a suscité un électrochoc au sein de la classe politique bourgeoise traditionnelle (PLR et son allié PDC). On assistait parallèlement à la montée en puissance de forces politiques d’extrême-­droite comme l’UDC et le MCG à Genève. Encore inexistantes il y a quinze ans, ces forces politiques représentent un tiers de l’électorat et mettent en péril la politique de concorde bourgeoise intégrant la gauche social-­démocrate et les Verts ; force symbolisée au niveau fédéral il y a encore quelques années par la mythique « formule magique » de la composition du Conseil fédéral.

Face au risque de perdre non seulement sa surface politique mais également de prochaines votations populaires décisives pour le patronat, le représentant politique historique de la bourgeoisie genevoise (le PLR) se devait d’agir. Comme l’a pudiquement mentionné le président du Conseil d’Etat genevois, François Longchamp, lors de la conférence de presse : «La situation sur le marché du travail est délicate. Il faut donc trouver des mesures qui apaisent l’inquiétude de la population. » En d’autres termes, l’Etat et les patrons préfèrent toujours mieux contrôler le marché du travail plutôt que de menacer les accords bilatéraux et la libre circulation des personnes. Il est vrai que l’implantation de nombreuses multinationales au bout du lac rend plus difficilement envisageable pour la bourgeoisie locale le retour à une politique de contingentement.

 

 

Risque de perdre en votation populaire

 

Le Tribunal fédéral ayant partiellement validé l’initiative des syndicats, l’Etat et les patrons se trouvaient également devant le risque que la fameuse « inquiétude de la population » se traduise par une acceptation de l’initiative en votation populaire à défaut d’un contre-projet suffisamment solide.

Alors que le Parlement cantonal devrait voter comme un seul homme le contre-projet tripartite avant la fin de l’année, l’unanimité politique de circonstance ne devrait pas cacher les réelles avancées obtenues par les organisations syndicales genevoises.

A l’heure où les organisations syndicales vaudoises se divisent sur la réforme de la fiscalité des entreprises, privilégiant pour certaines des compromis boiteux à la mobilisation des salarié·e·s ; à l’heure où l’Union syndicale suisse se retrouve aphone depuis le 9 février, les avancées obtenues sans concession à Genève devraient inspirer le mouvement syndical.

Jean Sachi