«À part peut-être Madame Thatcher!»

En mars 2015, la Commission fédérale pour les questions féminines a lancé un projet «Votez femmes!», dont le but est de faire élire plus de femmes, quelles que soient leurs listes et couleurs politiques. En adoptant un angle débarrassé de toute politisation féministe, ce projet manque toutefois sa cible, en même temps qu’il contribue à naturaliser les différenciations entre hommes et femmes.

Comme tout organe de pouvoir, la composition du parlement, formé en majeur partie d’hommes hétérosexuels blancs aisés, est le reflet des discriminations subies dans l’espace public et privé par les groupes dominés. Outre les stéréotypes de genre, les causes de la sous-­représentation des femmes dans les parlements et exécutifs se retrouvent en effet dans les discriminations tendanciellement subies tout au long de leur parcours de vie, tant sur le marché du travail que dans la répartition du travail domestique, qui réduisent les ressources en temps et en argent mobilisables pour ce type d’engagement.

Pas forcément moins bien élues comme candidates, elles sont surtout moins présentes sur les listes électorales, particulièrement celles des partis de droite qui se trouvent majoritaires au parlement. Force est de reconnaître le caractère problématique de cette sous-­représentation en tant que révélatrice de discrimination. Mais l’exigence de la parité dans les institutions, aussi légitime soit-elle, doit s’articuler à celle de la participation effective des ex­ploité·e·s et oppri­mé·e·s à la vie politique. On ne saurait ainsi faire du « vote femme », tout parti confondu, une fin en soi, à moins de confondre cause et conséquence, et de faire de la présence en plus grand nombre de femmes au parlement le moteur assuré d’une plus grande égalité dans le reste de la sphère publique et privé.

 

 

«Etre femme», un fait sociologique ?

 

Evoluant dans des strates et contextes sociaux différents, les femmes forment en effet une catégorie sociologique hétérogène aux intérêts souvent divergents, suivant qu’elles cumulent ou non les discriminations, selon l’apport de la perspective intersectionnelle dans les analyses féministes. Intégrant les relations croisées des oppressions de sexe, de classe et de « race », cette perspective permet en effet de comprendre que si les expériences de sexisme fondent un dénominateur commun à toutes les femmes, la forme et le degré prises par ces oppressions diffèrent largement selon que l’on est notamment bourgeoise ou prolétaire, blanche, noire ou jugée étrangère, et qu’il existe dès lors également des rapports de domination entre femmes.

L’énumération des objets politiques sur lesquels des femmes, à l’instar d’hommes de leur parti, se sont prononcées en contradiction avec les intérêts d’autres femmes, serait fastidieuse. Dans l’histoire récente, les prises de position sur l’élévation de l’âge de la retraite des femmes, sur l’extension des heures d’ouverture imposées aux vendeuses, ou sur le remboursement de l’avortement, montrent cependant que la « solidarité » entre femmes en politique s’arrête bien souvent aux portes de l’idéologie partisane ou des intérêts de classe. L’aveuglement qui consiste à penser qu’une plus grande présence des femmes dans les parlements devrait automatiquement conduire à des options politiques plus égalitaires tient donc de cette méconnaissance de l’intersectionnalité des rapports de domination.

 

 

Les «bonnes raisons de voter femmes»

 

En 1985, le chanteur Renaud sortait un titre intitulé Miss Maggie, une dénonciation de la sauvagerie des politiques alors imprimées par Magaret Thatcher, sous fond d’ode à la supposée supériorité morale des femmes. Ce faisant, il introduisait subtilement la question de la naturalisation de comportements jugés typiquement féminins, en mettant en scène le contre-stéréotype politique par excellence de sa génération.

Trente ans plus tard, notre époque reste profondément marquée par le sexisme ordinaire, preuve en est qu’on pense encore nécessaire de donner des légitimations au fait d’élir des femmes. On voit donc fleurir ces derniers mois des catalogues de « bonnes » raisons pour lesquelles voter femmes, qui surfent sur le stéréotype selon lesquelles les femmes, ou mieux la femme, feraient de la politique différemment. Sur leur site objectif-10.ch, lancé en faveur d’une parité d’élu·e·s aux prochaines élections, l’Association vaudoise pour les droits de la femme [sic] et le Centre de liaison des associations féminines vaudoises inscrivent ainsi une liste de 10 bonnes raisons pour voter femmes.

On apprend notamment au détour de ce florilège que «les femmes amènent des idées nouvelles» et que «les hommes et les femmes gouvernent bien lorsqu’ils gouvernent ensemble». Entre biologisation des comportements politiques et appel à la complémentarité des sexes chère à l’idéal hétéronormatif du couple, ces argumentations pour la parité contribuent en fait à la perpétuation des stéréotypes de genre et s’inscrivent donc de manière contre-productive par rapport à l’objectif d’abolition des discriminations engendrées par ces mêmes stéréotypes.

 

 

Votez féministes !

 

Il n’y a pas de « bonne » ou même de « mauvaise » raison de voter pour des femmes, de même qu’il n’existe pas un modèle féminin monolithique, mais des femmes avec des trajectoires plurielles. Les femmes ne forment ni une communauté d’intérêts homogène, ni une essence qui les conduirait à faire de la politique mieux ou moins bien que leurs congénères masculins. Un vote spécifiquement en faveur de femmes n’a donc de sens, pour nous, que s’il s’inscrit dans une démarche politique visant à faire élire, non pas seulement des femmes, mais des femmes qui défendent les intérêts de la majorité des femmes, autrement dit des féministes.

Audrey Schmid