Turquie

Turquie : Offensive généralisée contre les Kurdes

Le lundi 20 juillet 2015, le groupe ultra-réactionnaire de Daech (EI) a commis un attentat contre le centre culturel d'Amara à Suruç en Turquie, causant la mort de plus de 30 jeunes, membres de la Fédération des associations des jeunes socialistes d'Istanbul, qui se rendaient dans la ville de Kobani en Syrie pour sa reconstruction. Tirant prétexte de cet attentat, le gouvernement turc de l'AKP s'est lancé dans une campagne de « guerre contre le terrorisme » dont les cibles principales ne sont pas les djihadistes de l’EI, mais les militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et certaines sections de la gauche radicale turque. 

Le gouvernement turc  a en effet annoncé avoir arrêté plus de 1 300 suspects en un mois dans des opérations policières à travers le pays, dont la grande majorité sont des membres présumés du PKK. Sur le plan militaire, la situation est similaire, la grande majorité des raids aériens se concentrant essentiellement contre les bases militaires du PKK dans le sud-est de la Turquie et le nord de l’Irak. En riposte, le PKK procède à des attaques quotidiennes contre les forces de sécurité turques.

Le président turc Erdogan, qui est aussi le leader du parti conservateur de l’AKP, a d’ailleurs déclaré que le processus de paix engagé en 2012 avec la guérilla kurde était gelé et que ses forces de sécurité combattraient les rebelles kurdes jusqu’à ce que ces derniers «quittent la Turquie et enterrent leurs armes».

Les objectifs de cette prétendue campagne de « guerre contre le terrorisme » sont principalement d’affaiblir le mouvement populaire kurde en Turquie et en Syrie et de renforcer l’AKP.

 

 

Une répression à visée électorale

 

En Turquie, cette campagne a en effet aussi pour objectif de permettre à l’AKP de regagner une majorité relative pour gouverner seul le pays, à travers de possibles nouvelles élections législatives, en remobilisant l’électorat nationaliste d’un côté et en affaiblissant de l’autre le Parti démocratique du peuple (HDP), qui regroupe une grande majorité de la population kurde de Turquie et qui a réalisé un score historique de 13,1 %, obtenant 80 députés. Un résultat qui empêcha du coup l’AKP d’obtenir une majorité absolue aux législatives du 7 juin dernier, une première pour un mouvement qui régnait sans partage depuis 2002. L’AKP voudrait donc affaiblir le HDP pour récupérer une partie de l’électorat conservateur kurde. Les plus récents sondages donnaient à l’AKP entre 42 et 43 % des intentions de votes, ce qui lui permettrait de former seul un gouvernement ; le parti conservateur s’est donc laissé séduire par l’idée d’élections anticipées.

Il faut se rappeler que durant la dernière campagne électorale, le HDP a été l’objet de nombreuses intimidations agressives de l’AKP et particulièrement du président Erdogan, sans parler des agressions physiques des mouvements nationalistes turcs d’extrême droite ou bien des attaques à la bombe contre des réunions électorales du HDP. Plus de 150 attaques ont été enregistrées contre le HDP dans les semaines précédant les élections.

 

 

« Le PKK pire que Daech »

 

Dans le cadre de la révolution syrienne, le gouvernement de l’AKP a soutenu des acteurs islamistes et djihadistes contre les forces démocratiques syriennes et kurdes de la révolution. Le gouvernement turc a fermé les yeux sur le passage des djihadistes vers la Syrie de la Turquie, transformant cette dernière en une zone de transit pour les djihadistes venus du monde entier. Des collaborations entre l’armée turque et certains groupes islamistes et djihadistes ont également été découvertes.

A l’automne 2014, lorsque Daech assiégea durant de longs mois la ville de Kobani, provoquant le départ d’environ 200 000 personnes, le gouvernement de l’AKP a refusé de venir en aide aux Kurdes ou bien de laisser passer des combattants du PKK à travers la frontière pour combattre les djihadistes. Durant cette période, des tentes pour accueillir des réfugiés ont été détruites et une chaîne humaine d’activistes pacifistes, le long de la frontière avec Kobani, a été agressée à coup de grenades lacrymogènes. A cette période, le président turc Erdogan déclara que le PKK était pire que les terroristes de Daech…

Dans le cadre de cette guerre contre le terrorisme, le gouvernement turc a d’ailleurs remis sur la table son vieux projet d’établir des « zones d’exclusion aérienne » en Syrie afin, soi-disant, d’assurer la sécurité des populations déplacées, mais surtout pour s’opposer au PKK syrien, le PYD (Parti de l’Union démocratique). Dans ce contexte, l’actuel premier ministre turc A. Davutoglu n’a pas exclu l’envoi de troupes turques au sol en Syrie voisine pour assurer la sécurité de cette zone tout en soulignant que «s’il y a suffisamment de forces modérées (de l’opposition syrienne) en Syrie, un déploiement militaire d’autres pays, dont la Turquie, ne sera pas nécessaire».

Les Etats occidentaux ont soutenu le gouvernement de l’AKP dans sa campagne de « guerre contre le terrorisme » ; le gouvernement turc a d’ailleurs permis pour la première fois l’utilisation de la base aérienne d’Incirlik par les avions militaires américains pour mener des opérations contre des bases de l’EI en Syrie et en Irak. Il existe néanmoins une différence dans les objectifs de la campagne des Etats-Unis et des Etats occidentaux d’un côté, qui cible l’EI et Al-Qaida, et l’aviation turque qui concentre ses frappes sur les bases du PKK et ne s’occupe que très secondairement de l’EI.

Ces politiques agressives de l’AKP reposent sur la discrimination et la répression traditionnelles de l’Etat turc contre le peuple kurde, qui se traduisent aujourd’hui par la criminalisation du PKK et de ses membres, avec plus de 8000 prisonniers politiques kurdes en Turquie.

Il est donc nécessaire de condamner cette campagne militaire et répressive du gouvernement turc et de réaffirmer notre opposition à l’inscription du PKK sur la liste des organisations terroristes, comme le fait l’Union européenne.

Joe Daher