Une mobilisation cruciale dans la construction

Entretien avec Tony Mainolfi, responsable du secteur de la construction pour le syndicat UNIA à Genève.

La Convention nationale du secteur principal de la construction (CN) arrive à échéance à fin 2015. Peux-tu nous dire quels en sont les principaux enjeux et dans quel contexte ce renouvellement conventionnel va-t-il avoir lieu?

 

 

Il faut tout d’abord rappeler que la CN est une des conventions collectives les plus importantes de Suisse et qu’elle concerne 80 000 maçons. Ce renouvellement conventionnel est donc d’une importance capitale pour l’ensemble des sa­larié·e·s du bâtiment, tous secteurs confondus, mais aussi au-delà. Economiquement, le secteur de la construction se porte très bien et les bénéfices des entreprises se maintiennent à des niveaux enviables, ce qu’admet avec satisfaction la Société suisse des entrepreneurs (SSE). Pour les travailleurs et travailleuses, la situation est bien évidemment moins rose. Depuis plusieurs années, la pression pour tenir des délais toujours plus serrés n’a cessé d’augmenter; les maçons disent qu’il faut « terminer avant d’avoir commencé ». Cela traduit parfaitement la réalité. Corollaire de cette logique, les boîtes licencient les salarié·e·s âgés qui n’arrivent plus à suivre et recourent massivement au travail temporaire comme variable d’ajustement.

Le travail est donc devenu beaucoup plus dur et précaire. Les grandes entreprises qui se plaignent d’un marché tendu et concurrentiel ont largement contribué à cette réalité en externalisant des tâches (comme le ferraillage) et en mettant les sous-traitants dans l’obligation de pratiquer des prix qui, de fait, empêchent le respect des dispositions conventionnelles et salariales. A Genève, mais aussi à Zurich, nous avons régulièrement dénoncé des cas de dumping salarial, dont un grand nombre sur des chantiers publics. 

 

 

Face aux problèmes que tu évoques, quelles sont les principales revendications syndicales?

 

Il est clair que la CN dans sa version actuelle ne répond que très partiellement au besoin de protéger les travailleurs et travailleuses face aux maux évoqués plus haut, tout en permettant aux patrons de pratiquer la sous-enchère salariale. Les demandes syndicales, issues d’un sondage réalisé sur les chantiers en 2014 auprès de 15 000 sa­larié·e·s reflètent cette réalité et portent donc logiquement sur des mesures qui protègent leur santé et permettent de lutter efficacement contre le dumping salarial. La revendication principale demande l’instauration d’un « fonds intempéries » qui doit permettre aux sa­larié·e·s d’arrêter le travail en cas de mauvaises conditions météorologiques sans avoir à en supporter les conséquences économiques comme c’est le cas actuellement ! Sur ce point, le bras de fer sera dur, mais c’est une demande forte et ancienne des maçons.

Un autre problème a surgi au cours des derniers mois; celui du maintien de l’âge de la retraite à 60 ans, arraché de haute lutte il y a dix ans. A moyen terme, la Fondation FAR (retraite anticipée) connaîtra une situation de sous-couverture qui implique de trouver des moyens financiers nouveaux, sans quoi une baisse des prestations, donc une augmentation de l’âge de la retraite, serait automatique.

Et quelle est la stratégie adoptée par la SSE?

 

Le pourrissement! Mais il fallait s’y attendre, vu la ligne dure adoptée l’année dernière lors des négociations salariales où les maçons n’ont rien obtenu malgré la volonté d’Unia de mener une campagne offensive. La SSE avait quitté la table de négociations et n’est pas pressée d’y revenir pour négocier la CN. Elle semble favorable à une simple reconduction du texte actuel et a refusé toutes les dates de rencontre proposées par Unia depuis le début de l’année.

Comme je l’ai dit auparavant, la CN actuelle lui convient, car les brèches existantes sont suffisamment grandes pour pouvoir exercer une pression constante sur les travailleurs et augmenter les profits. De plus, elle cherche à contourner Unia qu’elle considère trop hostile et même à tenter de créer un syndicat bidon (Novatrava) avec qui «négocier». La tentative s’est soldée par un échec total.

 

 

Justement, parle-nous maintenant du contexte syndical; existe-t-il une capacité de mobilisation qui soit à la hauteur des enjeux?

 

Le premier test grandeur nature aura lieu le 27 juin avec la manifestation nationale des maçons à Zurich. Il est indispensable que celle-ci réussisse pour montrer à la SSE que son arrogance à des limites et que l’automne sera ponctué d’arrêts de travail si rien ne bouge d’ici là. Le contexte national est loin d’être homogène en termes d’implantation syndicale et de capacité de mobilisation. Il y a des régions, dont Genève fait partie, qui ont traditionnellement une bonne capacité de mobilisation, et d’autres où des pas importants restent à faire. Cependant, l’important travail de mobilisation en cours montre qu’il y a des raisons d’être optimiste quant à la réussite de cette première étape.

A l’approche d’un possible vide conventionnel dès le premier janvier 2016, la pression augmentera aussi du côté de la SSE qui – le partenariat social à la mode helvétique étant ce qu’il est – n’a pas vraiment intérêt à voir s’éterniser une situation de ce genre. Le risque à éviter est celui du statu quo et d’une reconduction de la CN sans aucune avancée. La question est de savoir si le rapport de force sera suffisant pour y parvenir. Une chose est sûre, si 12 000 maçons défilent dans les rues de Zurich le 27 juin, il sera possible d’envisager des arrêts de travail sur les chantiers cet automne. 

 

Propos recueillis par Pablo Cruchon