Paul Ariès

Paul Ariès : «Écologie et cultures populaires»

De prime abord, la figure de Paul Ariès, décroissant de gauche exigeant que la justice sociale guide la lutte pour la sauvegarde de la planète, aujourd’hui proche du Front du gauche, est sympathique. Son dernier ouvrage, sous-titré « Les modes de vie populaires au secours de la planète », déçoit pourtant.

La raison en est simple : on apprend peu de choses sur les modes de vie populaires en tant que pratiques actuelles susceptibles de contribuer à la sauvegarde de la planète. Cela aurait demandé de longues enquêtes, à l’image du travail de Michel Verret mis au jour dans les années 70 (voir encart) et mis à jour des réalités contradictoires. Or Ariès est plutôt du genre auteur pressé, avec 28 livres à son actif depuis 1997. Même si une partie de ces ouvrages recycle ses contributions de journaliste (Le Sarkophage, puis La Décroissance et aujourd’hui Les Zindigné(e)s), son antiproductivisme ne s’applique visiblement pas à sa propre production. Ce qui nous vaut à-peu-près, synthèses d’ouvrages en une phrase et sujets costauds expédiés en une page.

L’idée de départ est de montrer d’une part que les milieux populaires – diversement et plus ou moins définis selon les passages – non seulement ne produisent pas plus de CO2 que les riches, par exemple parce qu’ils voyagent moins et moins loin, et d’autre part qu’ils sont dépositaires de mode de vie pouvant préfigurer la transition écosocialiste vers Le socialisme gourmand (ouvrage paru en 2012). Cette valorisation d’un écologisme du peuple lui permet de s’en prendre vertement à la décroissance de droite, « austéritaire » – et l’on voit bien que son ancien compagnon de route de La Décroissance, Vincent Cheynet, est dans le viseur – mais aussi à ceux qui comme Hervé Kempf (Comment les riches détruisent la planète) accordent du crédit à la thèse de l’imitation des modes de vie des puissants par les classes inférieures.

 

On peut sans dommage le suivre un bout sur cette voie-là. Mais un bout seulement, car il défend par ailleurs l’idée que «même dominée une culture reste toujours authentique et vivante» (p. 88). Hors de l’histoire, les cultures dominées ? Prenons deux exemples dans les domaines survolés par Ariès.

 

 

Du jardinage et de la pornographie

 

Parmi les modes de vie populaire positifs, rendant compte d’un rapport à la nature plus sain que celui des classes dominantes, Paul Ariès, visiblement inspiré par Verret, cite les jardins ouvriers ou familiaux. Le problème est que ces jardins ouvriers ont connu un recul prononcé et que les jardins collectifs ont beaucoup évolué (voir Françoise Dubost «Jardins ouvriers, familiaux, collectifs, ces mots qui prennent racine» sur le site agrobiosciences.org). Et là où ils sont restés à vocation alimentaire, il faudrait encore interroger les pratiques. Pour ce qui concerne notre pays, on sait bien que les jardins familiaux sont souvent une catastrophe écologique, pesticides et engrais devant permettre de produire de « superbes » légumes. Sans parler des conflits de voisinage rocambolesques et des règlements autoritaires. Non, la culture des dominés n’échappe pas par essence aux valeurs dominantes.

On peut le vérifier à propos d’un autre passage du livre d’Ariès, celui de la culture du beau (la beauté du geste) dans les milieux populaires. Il cite l’étude d’Isabelle Sommier sur les actions spectaculaires (les « beaux coups ») de la CGT, condamnant toutefois la part de machisme qu’elles comportent «comme est condamnable l’exhibition de photographies porno­graphiques dans les vestiaires ouvriers, signe cependant d’une réappropriation des lieux» (p. 167). Ne s’agit-il justement pas d’une situation où se lit, dans une pratique populaire, le signe d’une domination sexiste ? Comme une preuve de ce que la culture des dominés peut aussi comporter des éléments de domination et d’oppression. Et qu’il faut savoir l’aborder dans ses dimensions contradictoires. 

 

Daniel Süri

 

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Du mésusage de Michel Verret

 

Paul Ariès rend un hommage appuyé à Michel Verret. Longtemps membre du PCF, qu’il quittera « comme on quitte un mort », ce philosophe et sociologue est l’auteur d’une trilogie très intéressante sur L’Espace ouvrier, Le Travail ouvrier et La Culture ouvrière. Nombre d’éléments avancés par Ariès proviennent de ces travaux, qui datent, comme le savait Verret. Longuement cité dans Ecologie et cultures populaires, il constate « la décollectivisation des usages de socialisation, désormais accessibles aux individus sans la médiation obligée du groupe, qu’il s’agisse de consommation, d’information, de communication. […] Le rétrécissement relatif et absolu de la classe, sous les effets de désouvriérisation consécutif aux délocalisations–désectorisation du capital; […] son éclatement enfin, sous les effets de la précarisation générale, entre une élite en surclassement, évoluant vers le travail des signes et une masse critique déstabilisée, voire même reprolétarisée sous les formes les plus démunies, voire les plus nues.»

Mais de ce constat lucide du bouleversement et de l’effondrement des collectifs ouvriers, Ariès ne tire aucune conclusion pour son propos, se contentant de noter « Ce pessimisme final de Michel Verret ne tient-il pas à l’‹ étroitesse › de son objet d’étude ? A-t-on autant raison de désespérer en parlant des gens du commun ?» (pp. 114–155).

Le problème n’est pas celui du désespoir, mais bien celui que sans les collectifs pour les faire vivre, les pratiques différentes des milieux populaires disparaissent peu à peu ou sont absorbées par le capitalisme. Verret le voit, d’où son pessimisme, en 1991. Vingt ans plus tard, Ariès ignore encore cette évolution dynamique et contradictoire et bien qu’il s’en défende, finit pas naturaliser et essentialiser les milieux populaires, à qui il attribue des « prédispositions écologiques » (p. 119).

Sans oublier le (d)étonnant : « Les Français ont en effet l’égalité et la fraternité chevillées au corps ! » (p.210) DS